
Pourquoi tant d’années sans lire Roger Jon Ellory, je ne sais… J’ai pourtant beaucoup apprécié ses romans et Seul le silence fait partie de mes romans noirs favoris. Avec Une saison pour les ombres je retrouve cet auteur si talentueux qui sait tout à la fois animer des personnages, créer une ambiance aussi familière et qu’inquiétante et raconter une histoire.
Nous partons pour Jasperville, une ville du nord du Québec où nul ne va de gaîté de coeur. Fondée dans les années 60 par Canada Iron pour exploiter le minerai de fer, c’est un enfer sur Terre où il peut faire jusqu’à -40°. Un homme a fui la ville vingt-six ans plus tôt mais doit y retourner.
Le néant lugubre et sans relief de l’hiver. Le soleil qui ne se levait pas, l’obscurité qui n’en finissait pas, et la sensation que le froid venait de l’intérieur du corps et ne partirait jamais. Ensuite l’été humide, les marais, les nuées de mouches et de moustiques.
Henri Deveraux choisit pourtant de s’y installer avec sa femme Elizabeth et ses deux jeunes enfants Juliette et Jacques. Bientôt naîtra Calvis. Il y a aussi William, le père d’Elizabeth qui a jadis dû quitter l’Angleterre en raison de détournements de fonds. L’argent lui est resté. C’est une famille unie et heureuse. Henri est travailleur, il ne boit pas. Mais papi William ne tarde pas à travailler du chapeau. Il raconte à ses petits-enfants des histoires sordides souvent issues des légendes indiennes locales. Celle du wendigo par exemple.
On le trouve dans des lieux comme Jasperville, où les gens se perdent facilement et où il fait trop froid pour pouvoir survivre sans abri ni chaleur. Il attend de rencontrer des gens seuls et affamés pour pouvoir les posséder. C’est ainsi qu’on le présente. Comme un esprit cannibale. Les Algonquins croient que le wendigo fait de l’homme un cannibale. Voire que l’esprit wendigo peut pousser l’homme jusqu’au meurtre, à une soif de sang insatiable.
Ce qui se dessine dans Une saison pour les ombres, c’est qu’un lieu aussi malsain et néfaste que Jasperville peut pousser certains esprits faibles à croire en ces légendes.
Dans cette ville coupée du monde, une jeune fille est retrouvée morte déchiquetée. Puis une deuxième deux ans plus tard, puis une autre encore. Nulle enquête n’est menée car il n’y a qu’un homme pour représenter les services de la Sûreté. Les habitants pensent que les victimes ont été attaquées par des animaux sauvages. C’est mieux plutôt que de penser qu’un habitant de cette petite communauté peut commettre des atrocités pareilles. Ou bien que la légende indienne n’en est pas une… Le mensonge est plus confortable.
Calvis Deveraux pense qu’un homme et coupable et il décide de faire justice lui-même puisque rien n’a été fait depuis des décennies. En effet, le fonctionnaire chargé de faire justice changeant tous les deux ans, aucun suivi n’est possible entre les différents meurtres. De plus, il est totalement seul, sans aucun moyen. Quand débute Une saison pour les ombres, Jacques Deveraux reçoit un coup de fil du seul représentant de la police de Jasperville qu’il a quitté pour ne jamais revenir. Bastien Nadeau lui annonce que Calvis est en détention au commissariat, qu’il a l’air possédé et qu’il a besoin d’aide. Et qu’il n’a plus que lui Jacques, son frère.
Tous les autres membres de la famille Deveraux ont été détruits par Jasperville. Dans la première moitié du livre, alors que Jacques y retourne, les souvenirs de son enfance permettent au lecteur de comprendre son histoire familiale. De même que le lourd sentiment de culpabilité qui pèse de plus en plus au fur et à mesure qu’il se rapproche de son frère. Ce frère qu’il a laissé à Jasperville, âgé de douze ans avec pour seule compagnie un père devenu alcoolique et violent. Il avait alors promis à Carine qu’il reviendrait la chercher et qu’il vivraient ensemble, loin de Jasperville. Mais Jacques n’est jamais revenu. Et le voilà de retour face à son passé, ses fantômes et les responsabilités qu’il a fuies.
Ellory a ce don, trop rare chez les écrivains, d’immerger le lecteur dans une ambiance. On est happé par cette ville, saisi par ces personnages que l’on voit, que l’on comprend et pour lesquels on compatit car ils sont vivants. Jacques Devereaux est un torturé comme on les aime, un dur fragile au prise avec ses démons, ses loyautés, ses erreurs.
Ce qui est incroyable au final, c’est qu’on n’a pas envie de quitter Jasperville. Il faut bien qu’un livre se termine, qu’un mystère trouve sa résolution, mais la fin arrive trop tôt, j’en aurais bien repris quelques centaines de pages.
R.J. Ellory sur Tête de lecture
Une saison pour les ombres
R.J. Ellory traduit de l’anglais par Etienne Gomez
Sonatine, 2023
ISBN : 978-2-35584-990-9 – 408 pages – 25 €
The Darkest Season, parution originale : 2022
J’ai beaucoup aimé « Seul le silence », moins « les anonymes », mais il faut reconnaître que l’auteur sait maintenir la tension et l’intérêt jusqu’au bout d’un livre. Je suis tentée par ta lecture d’aujourd’hui, je vais attendre qu’il arrive à la bibliothèque.
Il va y avoir du monde sur le coup, c’est certain !
C’est un auteur vers lequel j’aime bien revenir de temps à autre. Bon, là, je dois dire que le sujet ne m’emballe pas, mais à tenter tout de même.
Peu importe le sujet. Comme tu le disais récemment à propos de Peter Heller : il peut écrire sur n’importe quoi, c’est toujours bien.
ça fait un bout de temps que j’entends parler (en bien) de R.J. Ellory ! Je note donc ce titre.
Sur la légende du Wendigo, j’ai lu le roman de Graham Masterton (il y a très longtemps)
J’ai lu aussi le Masterton mais ici, ça n’a rien à voir. Il ne s’agit pas de fantastique ou d’horreur. Il s’agit, entre autres sujets, des conséquences sur les gens fragiles de ce genre de superstitions, ce qu’ils sont amenés à croire ou à faire. C’est vraiment très bien vu.
un billet qui donne envie . Je vais mettre ce livre dans ma liste, celle qui n’en finit pas de s’allonger !!!
Ces sacrées listes sont un puits sans fond, mais quel plaisir d’avoir toujours envie de lire 😉
Comme toi, je me demande pourquoi je ne reviens pas plus souvent vers cet auteur, dont j’ai beaucoup aimé, hormis « Seul le silence », « Les anonymes ». Mais j’ai l’intention de renouer avec lui sans doute cette année : je me suis fait dédicacer l’un de ses titres lors de sa venue au salon girondin du livre de poche d’octobre dernier (il a eu beaucoup de mal à comprendre mon prénom, comme beaucoup d’autres, ce que j’ai du mal à m’expliquer -Ingrid Bergman, quand même… !-)
Je ne me souviens plus de quel titre il s’agit, par contre…
D’après ce que j’ai lu ici et là, il y a dû y avoir un ou deux titres un peu moins bien ces dernières années. Mais comme je suis loin d’avoir tout lu, il me reste du bon à découvrir, chère Ingrid (tu n’as pas essayé de lui faire écrire Ingannmic quand même ?!).
Non, je n’oserais tout de même pas … du coup, lors du même salon, en rencontrant Joseph Incardona, je me suis appliquée à bien lui épeler mon prénom, jusqu’à ce qu’il me rappelle que c’était celui de l’un des personnages de son roman « Derrière les panneaux il y a des hommes », que j’avais lu !! (quelle truffe)..
Quelle belle chronique ! Ca me donne bien envie ! J’ai déjà lu un des romans de cet auteur et c’est vraiment bien !
Pour moi, c’est un des meilleurs auteurs de romans noirs/psychologiques actuels.
Je garde un souvenir moins enthousiaste de Seul le silence mais il ne me semble pas avoir détesté. Ouhlala ça commence à remonter tout ça. Il faudrait que je retente cet auteur quand même un jour, pour être fixée.^^ Peut-être avec ce roman, tiens.
Oui, le temps passe à toute vitesse… et il y a des lectures dont on se souvient et d’autres qu’on oublie. Pour Seul le silence, je crois que je n’oublierai pas.
Ses derniers romans m’avaient déçu, mais celui-ci semble meilleur.
Il est à nouveau au mieux de sa forme.
un auteur que je n’ai toujours pas lu, depuis Seul le silence que j’avais noté devant toutes les super critiques…et il attend toujours que je le lise!
Il te reste donc de nombreux excellents livres à lire !
J’avais lu « Seul le silence » en 2013, et mon sentiment était partagé, mais pas si négatif que ça. Ce roman est sans l’occasion de lire à nouveau cet auteur.
Je te le recommande vivement.
Je n’ai jamais lu l’auteur alors le découvrir à travers ce roman dont l’ambiance semble finement travaillé me tente bien !
Oui, je pense que c’est une excellente porte d’entrée dans son oeuvre. Mais attention : tu risques de devenir addict !
J’ai beaucoup aimé certains titres de cet auteur. Pour celui-ci, et oui Jasperville est un lieu très romanesque et qui fonctionne très bien mais l’expression des regrets du héros m’a lassée et la fin est assez décevante …