Cannibale de Didier Daeninckx

CannibaleMai 1931 : exposition coloniale de Paris. L’Empire français est fier de ses douze millions de kilomètres carrés et de ses cent millions d’habitants. Du Gambon à la Nouvelle-Calédonie, de Pondichéry au Dahomet, en passant par la Cochinchine, Chandernagor, et Ankor-Vat, les possessions françaises paradent au parc de Vincennes.

Le jeune Gocéné a fait le voyage depuis Nouméa, ainsi qu’une trentaine de jeunes Kanak auxquels on n’a pas demandé leur avis. Il a promis à Waito de veiller sur sa fille Minoé. Parqués dans des cases qui sont autant de prisons dont ils n’ont pas le droit de sortir, ils sont obligés de danser à moitié nus, de pousser des cris de bêtes, de creuser des troncs d’arbres durs comme de la pierre, tout ça pour faire couleur locale, pour conforter les Français dans l’idée qu’ils se font des Kanak et non pas pour leur faire découvrir une civilisation qu’ils ignorent. Car aux yeux des métropolitains, ces Français-là ne valent guère plus que des animaux. D’ailleurs, pour remercier un zoo allemand de prêter in extremis ses alligators au zoo de Vincennes, on décide en haut-lieu de leur prêter dix Kanak qui sont donc emmenés de force par le train. Parmi eux : Minoé. Pour tenir sa promesse, Gocéné, accompagné de son ami Badimoin, va fuir le zoo et arpenter la capitale jusqu’à la gare de l’Est où s’éloigne le train pour Francfort. Poursuivis par la police, ils trouvent aide et refuge auprès d’un balayeur sénégalais.

Le pire dans ce roman, c’est qu’il s’inspire d’un fait réel : des dizaines de Kanak ont bel et bien été exhibés lors de l’Exposition universelle de 1931 et étiquetés « cannibales authentiques ». Et ils n’étaient malheureusement pas les seuls représentants du grand empire français alors à son apogée. Une honte alors pour eux ; une honte aujourd’hui pour nous.

Publié en 1998, au moment des accords de Nouméa (décolonisation progressive du territoire néo calédonien), ce court roman a sorti de l’ombre cet épisode peu glorieux de notre histoire. Il donne la parole à ceux qui ont été humiliés, à ceux qui se sont vus dénier toute dignité. Mais Daeninckx a l’habileté de ne pas tout peindre en noir et de donner à voir aussi ceux qui furent choqués par ces traitements, à l’image de son Francis Caroz, « un ouvrier sans histoires, un homme qui ne supportait pas qu’on tue des innocents, qu’ils soient noirs ou blancs... ». Comme pour nous signifier que tant qu’il y aura des hommes pour résister, nulle cause n’est perdue.

Le seul reproche que je ferais à ce texte, c’est de ne pas rendre sensible le choc culturel que Gocéné et Badimoin vivent en découvrant Paris. Certes, ce dernier est effrayé en découvrant le métro, c’est bien le moins, mais ils ne sont finalement tous deux pas outre mesure étonnés par la métropole, pourtant si différente de leur terre natale.

On retrouve la même thématique dans le film de Régis Wargnier Man to Man qui traite de Pygmées africains dans les années 1870.

Didier Daeninckx sur Tête de lecture

Cannibale

Didier Daeninckx
Gallimard (Folio n°3290), 2006
ISBN : 2-02-040883-3 – 107 pages – 3,60 €