Trente ans de recherches pour écrire ce livre, mais quel résultat ! Dès la première phrase (« Après avoir tué l’homme aux cheveux roux, je suis allé chez Quinn m’offrir un souper d’huîtres« ), le lecteur de La nuit de l’infamie marche dans les pas de Edward Glyver, ou peut-être devrais-je dire Edward Glapthorn, ou Edward Duport. Impossible de lâcher cette incroyable confession qui nous entraîne dans l’Angleterre des années 1850, suivant le laborieux chemin d’un homme en quête d’identité.
Edward Glyver a grandi dans le Somerset, au bord de la mer, assistant impuissant au travail acharné de sa mère qui jour et nuit écrit des romans sur sa table de travail pour les faire vivre. Intelligent, vif et soutenu par une mystérieuse bienfaitrice, il rentre à Eton où il fait la connaissance de Phoebus Daunt qui est d’abord son ami puis qui va briser tout son avenir universitaire en fomentant un vol. Edward jure de se venger car sa carrière, et donc son avenir, est brisée.
A la mort de sa mère, Edward découvre ses carnets secrets qui lui permettent de comprendre que cette femme n’était que sa mère adoptive, qu’elle l’a élevé par amitié pour une autre, une certaine lady Tansor. Décidé à en savoir plus, Edward se fait engager à l’étude Tredgord qui rédigea jadis un acte entre les deux femmes, et devient dès lors Edward Glapthorn. Il parvient à rencontrer le baron Tansor, dont la première femme est morte et qui reste sans héritier après son second mariage. Edward apprend alors que le baron envisage d’adopter le radieux Phoebus Daunt, devenu poète à succès, pour qu’il hérite de sa fortune.
Je ne peux résumer tous les fils de cette intrigue incroyablement complexe et subtile. Tous les personnages ont un rôle important dans cette machiavélique intrigue qui nous mène de révélations en rebondissements. Le parcours d’Edward est méticuleusement décrit, ses découvertes, ses espoirs, ses erreurs et la perfide machination dont il est victime. Six cents pages magistrales pour expliquer son geste assassin et inaugural au lecteur de La nuit de l’infamie tétanisé d’angoisse.
C’est absolument passionnant et surtout d’un incroyable réalisme. On glisse sur le pavé londonien, on pénètre dans les gargotes avec Edward, on respire comme lui le doux parfum d’Evenwood. Mais pour être méticuleuses, les descriptions ne sont pourtant pas pesantes car elles contribuent aux mystères qui entourent le destin d’Edward Glyver.
Les personnages de La nuit de l’infamie ne sont pas en reste, mystérieux pour certains, perfides ou généreux pour d’autres, mais toujours forts. Des personnalités déterminées, passionnées jusqu’à la ruine et la destruction, prêtes à tout pour toucher au but. Trahir, voler, mentir, assassiner : rien ne peut arrêter ces personnages qui pourtant, en surface, font les délices du bon goût et de la bonne société victorienne. Redoutables.
Souvent érudit, parfois complexe, l’impitoyable vengeance d’Edward Glyver est un très grand moment de lecture, méticuleux, imparable, effrayant. Un excellent livre d’inspiration victorienne qui fait fi des bas-fonds et du sordide pour donner littéralement vie à un destin. La nuit de l’infamie : l’essence même du romanesque.
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La nuit de l’infamie : une confession.
Michael Cox traduit de l’anglais par Claude Demanuelli
Seuil, 2007
ISBN : 978-2-082702-7 – 634 pages – 22 €
The meaning of Night, parution en Grande Bretagne : 2006