J’ai lu ce livre il y a plus de vingt ans. J’avais alors été émerveillée et lu aussitôt après Jude l’Obscur et A la lumière des étoiles. Quelques années après j’ai vu le film de Roman Polanski, à la télé certainement : deuxième émerveillement. J’ai gardé en tête bien des scènes et en relisant ce roman aujourd’hui, je les revoyais telles qu’alors, certaines avec une constance incroyable. Je n’ai pas pu m’empêcher de revoir le film aussitôt après et c’est toujours aussi beau, trente ans après sa réalisation.
Par un jour qui n’aurait jamais dû être, Jack Durbeyfield rencontre un pasteur qui lui apprend qu’il est le dernier descendant d’une famille jadis illustre, les d’Urberville. Ce pauvre fermier et sa femme se mettent en tête de retrouver leur gloire passée en commençant par envoyer leur fille aînée, Tess, chez une riche Mrs d’Urberville habitant non loin de là. Ce qu’ils ignorent c’est que cette riche famille ne fait qu’usurper le nom de d’Urberville et que la vieille dame a un fils, Alec, connu pour sa débauche.
La belle Tess sera victime de l’arrogant gentleman et rentrera chez elle après quatre mois, portant leur enfant illégitime. Le bébé ne vivra pas longtemps et pour oublier son infamie, Tess décidera de partir travailler ailleurs, dans une laiterie. Là, elle mènera une vie de bonheur paisible dans le simple travail et la bonne humeur. Elle y rencontre Angel Clare, fils de pasteur en rupture avec la religion, qui a décidé d’être fermier et d’étudier à travers le pays les méthodes les plus modernes de son futur métier. Angel et Tess tombent amoureux, il lui demande de l’épouser, mais sa faute passée l’empêche d’accepter.
Je pourrais aller plus loin mais j’en ai déjà beaucoup dit, et il faut je crois découvrir cette histoire sans en savoir trop. C’est tout simplement le destin d’une paysanne, comme il y a dû y en avoir des tas, qui s’est laissée abuser et dont la faute initiale a ruiné la vie. Le destin s’acharne contre elle, de même que les préjugés moraux d’une société fermée sur elle-même. Tess est victime de sa beauté et de la stupidité des hommes, de leurs préjugés et de leur domination.
Il est étonnant qu’un homme écrive une telle histoire à la fin du XIXè siècle alors que la femme est assignée à une place, à un rôle avec lesquels elle ne peut transiger sous peine de déchoir. Pourtant Thomas Hardy comprend, explique et souligne l’injustice du sort de Tess. Celle qui pardonne n’est pas pardonnée parce que les préjugés sont plus forts que l’amour. C’est à pleurer bien sûr, mais c’est très beau, tragique du début à la fin. Car Tess ne se révolte pas, elle accepte, et sa résignation est sa seule dignité.
C’est aussi une très belle description du monde agricole, des conditions de vie très dures et précaires de ces paysans qui n’ont que la force de leurs bras pour survivre et rester dignes.
Certains trouveront des longueurs à ce roman qui est aussi très descriptif. Mais les descriptions s’intègrent parfaitement à l’action et mettent le lecteur sur des charbons ardents. Tess va-t-elle avouer son passé à Angel ? Celui-ci va-t-il revenir la chercher ? On s’inquiète, on s’exclame (« Ah non, pas lui ! »), on attend la sentence du destin, bref, on vit avec Tess à chaque page.
Près de cent ans plus tard, Polanski réussit une adaptation magistrale avec une Nastassia Kinski aussi belle qu’émouvante. Elle est belle dans la misère comme dans l’opulence, d’un naturel saisissant, toute en retenue et en force : magnifique. Certaines scènes sont gravées dans ma mémoire : celle où elle mange des fraises avec Alec, et celle où il lui apprend à siffler, toutes deux extrêmement sensuelles et pourtant tout en pudeur.
Le film dure trois heures dix et pourtant, Polanski a coupé bien des passages du livre. L’épisode de la laiterie dure beaucoup plus longtemps dans le roman, Tess ne cessant de tergiverser quant à sa révélation ; les retrouvailles avec Alec sont elles très différentes car Thomas Hardy a fait de lui un prédicateur qui retombera dans ses errements à cause de Tess. Ce personnage est d’ailleurs beaucoup plus noir pour le romancier qui en fait un cynique, alors qu’il me semble que chez Polanski, il y a beaucoup d’amour dans cet homme, qui prend le dessus sur son arrogance. Les interprétations masculines pourtant n’arrivent pas à la cheville de Nastassia Kinski qui illumine le film de ses jeunes années.
Une jeune actrice anglais, Justine Waddel a repris le rôle de Tess en 1998 pour une série BBC que je n’ai malheureusement pas vue. Dans une autre adaptation plus récente (2008), c’est Gemma Aterton qui joue le rôle titre ; pas vue non plus. Ont-elles su faire oublier Nastassia Kinski ?
Tess d’Urberville
Thomas Hardy traduit de l’anglais par Madeleine Rolland
Plon, 1979
ISBN : 2-259-00461-X – 398 pages (existe en poche)
Tess of the d’Urbervilles, parution en Grande Bretagne : 1891