Victoria et les Staveney de Doris Lessing

Victoria et les StaveneyVictoria et les Staveney : la mère de la petite Victoria est très malade. L’enfant n’a jamais eu de père et personne n’est là pour venir la chercher à l’école. Edward Staveney, qui devait exceptionnellement la prendre en même temps que son jeune frère à lui, Thomas, l’a complètement oubliée. En effet, qu’est-ce qu’un adolescent de la bourgeoisie londonienne peut bien avoir à faire d’une petite fille noire ? Il revient pourtant, et l’enfant passe une nuit dans sa magnifique maison, souvenir qui ne la quittera pas.
Bien des années plus tard, Thomas retrouve Victoria devenue vendeuse dans une boutique de disques. Sa vie n’a pas été rose, mais elle est libre, belle et intelligente. Lui se passionne pour la musique africaine et les femmes noires le font fantasmer. Il a dix-sept ans, elle dix-neuf et ils vont s’aimer le temps d’un été. De cet amour naîtra Mary, adorable métisse, dont Thomas ne connaîtra l’existence que six ans plus tard, après le mariage de Victoria, la naissance de son deuxième enfant, Dickson, et la mort de son mari. Les Staveney vont aussitôt chérir la petite fille, lui ouvrant les portes du monde des riches auquel son petit frère, trop noir, trop turbulent, n’aura jamais accès.

Le racisme est au cœur de Victoria et les Staveney, mais pas le racisme direct qui met  les Noirs en marge de la société. Non, c’est un racisme plus sournois, bourgeois, qui fait une différence entre les jolies petites métisses à la peau claire et les petits garçons noirs comme la suie. Les Staveney sont pleins de bonnes intentions : Edward milite pour le quart monde, contre la misère, se rend en Afrique et publie des articles dans les journaux sur la situation des plus pauvres, le père est socialiste bon teint. Ils font montre d’une générosité invraisemblable envers Mary, la chair de leur chair, mais ne s’inquiètent jamais du sort de Dickson qui fréquentera une école réputée dangereuse tandis que sa sœur se verra ouvrir des portes bien plus prestigieuses. Ils accaparent la petite fille mais sa mère ne les intéressent pas.

Doris Lessing pointe du doigt les inégalités sociales qui font que certains seront toujours plus différents que d’autres.  Les préjugés ne tardent pas à se faire jour sous le masque de l’hypocrisie sociale que l’auteur met en scène efficacement parce qu’elle la connaît bien. Quelques pages suffisent au propos, cependant, les événements s’enchaînent avec une trop grande rapidité pour ce qui est de la narration. Sans chapitre, sans saut de paragraphe, on passe d’une époque à l’autre. Il y avait matière à bien plus de précisions sur la vie de Victoria, les soins apportés à sa tante, le renoncement aux études, ses petits boulots, son mariage. J’aurais aimé en savoir plus sur elle. Mais Victoria et les Staveney, publié indépendamment, faisait à l’origine partie d’un recueil de nouvelles intitulé Les grands-mères, il est peut-être plus fort dans ce contexte.
D’autre part, je trouve l’écriture de Doris Lessing extrêmement froide, minimaliste avec des phrases très courtes qui s’attardent peu sur le ressenti de Victoria. Tout est très factuel et la jeune femme reste finalement assez éloignée du lecteur.

La brièveté de Victoria et les Staveney conjuguée à l’absence d’empathie envers l’héroïne font que finalement, Victoria est plus un symbole qu’un personnage et je regrette qu’elle ne soit pas les deux.

Doris Lessing (née en 1919) a reçu le prix Nobel de littérature en 2007. Elle est décédée le 17 novembre 2013.

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Victoria et les Staveney

Doris Lessing, traduite de l’anglais par Philippe Giraudon
Flammarion, 2010
ISBN : 978-2-0812-3345-4 – 150 pages – 16 €

Victoria and the Staveneys, parution en Grande-Bretagne : 2008

40 commentaires sur “Victoria et les Staveney de Doris Lessing

  1. C’est plutôt le côté « tout d’un bout sans paragraphe » avec lequel je pourrais avoir du mal… De Lessing, je n’ai lu que « Le carnet d’or » que j’ai trouvé un peu trop complexe pour mon petit cerveau et je suis curieuse de voir ce que je pourrais lire d’autre de l’auteure.

    1. Le carnet d’or est son livre le plus connu je crois, et vraiment épais, alors même si tu n’as lu « que » celui-là, ça fait déjà beaucoup !

  2. De l’auteur j’avais lu le début d’une auto bio romancée (mais le titre?) et abandonné. Bon, il faut bien choisir, j’ai l’impression, si on ne veut pas être déçu.
    Mais j’adore la couverture (ça c’est un comm vachement utile!)

  3. Ah là là!
    Une sacrée cliente celle là!
    Je n’avais pas lu grand chose d’elle depuis Shikasta, en 81, une atmosphère très étrange genre fin du monde, assez glaçant.
    Je crois que je ferais bien de le relire avec le recul.
    Un très grand auteur, c’est certain.

    1. Vu le titre du recueil dans lequel ce texte est contenu au départ, peut-être souhait-elle plus mettre l’accent sur la figure de la grand-mère, mais en fait ici, c’est à l portée sociale qu’on s’intéresse.

    1. Inaccessible non, pas du tout, en tout cas pas à cause de l’écriture. C’est un peu déstabilisant au départ ces paragraphes qui s’enchaînent, mais pas insurmontable.
      D’ailleurs, je ne voudrais pas généraliser, mais avec Saramago et Garcia Marquez, ça fait trois prix Nobel que je lis coup sur coup et je crois bien qu’ils se débarrassent de la ponctuation et des conventions typographiques (saut de paragraphe), tout ce qui aère le texte. Avec eux, c’est immersion totale !

  4. Nan mais…. la couverture de ce roman me fait me rappeler que sur mon bureau j’ai un paquet de bonbons mûres et framboises (exactement les mêmes que la couverture) qui est ouvert… il m’appelle maintenant ! 😀

  5. De Doris Lessing, j’ai adoré Le Cinquième Enfant qui brosse un portrait corrosif de la maternité.

  6. J’ai lu « Un enfant de l’amour » pour le blogoclub de septembre et j’aimerais en lire d’autres. Le sujet de celui-ci m’intéresse. Je le note malgré tes réserves.

  7. Je crois en avoir lu quatre dont  » Un enfant de l’amour » et  » le cinquième enfant » m’avaient plu.
     » Le Rêve le plus doux » encore un roman d’elle que j’avais aimé ( pas complètement toutefois) sur l’engagement social et politique en Grande Bretagne dans les années 70. Il y avait aussi d’autre thèmes les rapports amoureux dans ces années-là l’émancipation des femmes, un récit riche et un peu confus parfois.

    En revanche le récit  » Les Grand-mères » ressemble à celui dont tu viens de parler, en tout cas pour les défauts : pas assez approfondi, avec des personnages qu’on n’a pas le temps de bien connaître…

  8. J’ai lu Doris Lessing dans mes jeunes années mais elle n’est jamais parvenue à me faire vibrer vraiment, je te suis totalement quand tu parle de froideur et de sécheresse
    J’aime que les romans provoquent de l’émotion et je n’en ai jamais beaucoup ressenti avec elle Bizarre

    1. Bizarre pour le prix Nobel ? C’est ce que je pense aussi, non pas suite à ma courte lecture, mais plutôt à tout ce que j’ai pu glaner sur son compte : je ne sais pas si elle marquera la littérature…

  9. c’est drôle, j’avais un bouquin de Lessing dans les mains il y a deux jours à la bibliothèque municipale… et je l’ai reposé. Je ne connais pas cet auteur. Mais quand je lis les mots « froideur » et « sécheresse »!?… mouais…

  10. J’ai beaucoup entendu parler de cet auteur, et j’aimerais bien découvrir ce qu’elle écrit. Je crois que je commencerais bien avec ce livre-là !

    1. Je crois que ses écrits sont assez variés, d’après les commentaires, mais il faut bien commencer par quelque chose… alors un texte court, pourquoi pas…

  11. J’ai lu du Doris Lessing il y a très longtemps. Incapable de me rappeler le titre, seul souenir : ça m’avait plu ! Et là, en plus avec une couverture pareille, comment résister ? 😉

  12. Je n’ai jamais lu Doris Lessing. Ce livre m’a l’air vraiment bien pour commencer avec cette auteure et donc je le note dans ma LAL.

  13. Je ne l’ai pas terminé…Victoria me paraissait trop artificielle, trop peu consistante pour une héroïne, juste là pour illustrer un problème de société…
    (pour l’anecdote j’ai pris le livre à la bibliothèque pour la couverture!)

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