Jack Maggs est un hommage dickensien intelligent, à savoir qu’il peut se lire en ne sachant pas qu’un des personnages est un double de Dickens et que d’autres sont inspirés de héros du grand écrivain anglais. Point n’est besoin d’être un dickensien averti pour humer le parfum des Grandes espérances, même moi qui ne suis pas venue à bout de ce pavé, je l’ai senti.
Dès qu’il arrive à Londres, Jack Maggs se rend 27 Great Queen Street chez Mr Henry Phipps, mais celui-ci est absent. Mercy Larkin, servante dans la maison voisine, le voit roder et espère qu’il est là pour la place de valet de pied qui vient de se libérer chez son maître, Percy Buckle. Il n’en est rien, mais Jack Maggs se fait quand même engager car il a besoin d’une couverture : c’est un ancien forçat qui, s’il a achevé sa peine, ne peut plus poser les pieds sur la mère patrie.
Son nouveau maître, Percy Buckle est un épicier enrichi par héritage qui se pique de littérature. Il fréquente le jeune et talentueux Tobias Oates, écrivain et journaliste, mais aussi magnétiseur. Et c’est à ce titre qu’il se rapproche de Jack Maggs, dans un premier temps pour soulager un tic facial, puis pour le faire parler sous hypnose et en savoir plus sur les mystères de cet homme. Ainsi apprend-il insidieusement son passé de bagnard. Pour Tobias Oates, l’occasion est trop belle de s’introduire « dans les couloirs moisis de l’Esprit criminel » : il a bien l’intention de faire de Jack Maggs le héros de son prochain roman.
Mais Jack Maggs n’est pas un objet d’études, c’est un homme qui peut être violent et qui est revenu de Nouvelle-Galles du Sud pour retrouver celui qu’il considère comme son fils. Dans les carnets qui sont destinés à cet Henry Phipps, il raconte son enfance d’orphelin miséreux dont on fit un voleur dès l’âge de sept ans.
Bien sûr, ce roman n’est pas le premier qui s’écrit à la façon de Dickens, ni même le premier à reprendre un certain nombre de ses personnages. L’intérêt ici c’est que le créateur, Dickens, rencontre sa créature, Jack Maggs allias Magwitch, le forçat échappé. Il est ici question de création littéraire, de vampirisation d’un homme par un autre pour qu’il serve de modèle, d’appropriation malhonnête de la vie d’un tiers. L’héritage est le fil rouge du roman : plusieurs personnages voient leur vie bouleversée par la réception d’un bien, d’une idée, d’un état d’esprit. Il est clair que pour Peter Carey, c’est en trichant que l’on fait sien ce qui appartient à autrui ou à une autre classe sociale. Ainsi Oates/Dickens est un voleur et un menteur, un jeune prodige de l’écriture mais aussi un parvenu qui court après l’argent et trompe sa femme avec sa jeune belle-sœur.
Beaucoup de personnages dans ce roman, notamment des petites gens, tous mus par des passés difficiles, souvent pauvres voire crapuleux. C’est la misère passée, ou la peur de la misère qui les motive car en ces années 1830 à Londres, elle règne et tue impunément. L’ambiance victorienne est bien là, toute en préjugés, avec des bourgeois qui doivent à tout prix tenir rang et réputation et une domesticité sournoise. Les rues sont sombres, boueuses et dangereuses à souhait ; on y abandonne les enfants, on s’y perd. Dans les grandes maisons, on s’espionne, on se venge, on se trahit. Voilà pour les emprunts au XIXe siècle auxquels s’ajoutent des thèmes dont on ne parlait pas en littérature comme l’homosexualité et l’avortement (forcément clandestin).
Avec brio, Peter Carey met en scène des personnages vivants car contradictoires, animés par l’amour et le mensonge, le dévouement et l’envie. Des êtres complexes pour une intrigue riche de plusieurs lignes narratives, qui revient sur le passé de certains et laissent entrevoir l’avenir glorieux de Tobia Oates.
Après ma déception à la lecture de Haut vol : histoire d’amour, j’avais envie de me réconcilier avec Peter Carey, un des grands écrivains australiens contemporains. C’est chose faite en ce jour anniversaire.
Peter Carey sur Tête de lecture.
Jack Maggs
Peter Carey traduit de l’anglais (australien) par André Zavriew
10/18, 2000
ISBN : 2.264-03031-3 – 340 pages –
Jack Maggs, parution en Australie : 1997
je suis toujours tenté par ce genre de romans, mais il m’arrive d eles abandonner en route s’ils sont trop fouillis
Luocine
On ne se perd pas dans celui-là, tout est très clair côté narration.
Tant mieux si il peut se lire sans connaître l’oeuvre de Dickens, car j’aurais été bien embêté….
Je n’ai pas percuté dès les premières pages, il faut bien l’avouer (je suis loin d’avoir lu tous ses romans et de connaître sa vie par coeur), puis petits à petits, certains détails plus vrais que nature ont attiré mon attention.
Très intéressant. <et Alex a raison, tant si l'on peut s'y plonger sans être un dickensien averti.
Rien de plus rasoir qu’un livre hommage que seuls les quelques happy few peuvent apprécier…
Pas accroché non plus à « Haut vol… » (abandon à mi-parcours) mais j’avais bien aimé « Au pays des mangas avec mon fils ».
Celui-ci pourrait me plaire pour peu que j’aie envie, à un moment donné, de lire un roman victorien.
Je crois que les romans victoriens modernes sont ceux que je préfère…
Je ne connais pas encore cet auteur mais le thème évidemment me tente !
Les romans victoriens ont souvent leur petit succès sur la blogo…
J’ai aussi abandonné récemment « De grandes espérances » et j’avoue que celui-ci ne me tente pas des masses non plus.
Moi, il m’a plus plu car débarrassé de tout l’attirail victorien pur jus qui au final m’ennuie.