
L’éclat d’obus est indissociable de son contexte. Ecrit pendant la Première Guerre mondiale par un écrivain trop vieux pour s’engager, ce roman témoigne de l’engagement de ceux qui ont soutenu la France par leurs écrits et fait partie des rares encore lisibles aujourd’hui. C’est en connaissance de cause qu’on ouvre L’éclat d’obus et qu’on supporte les élans patriotiques de l’auteur. Ce roman se lit aussi comme un documentaire sur la littérature en temps de guerre.
Paul Delroze et sa jeune épouse Elisabeth viennent de se marier le matin même : ils arrivent à Corvigny, village situé à une poignée de kilomètres de la frontière allemande, où le père d’Elisabeth a un château qu’il vient d’offrir en mariage à sa fille et à son gendre. On est le 30 juillet 1914.
Le comte d’Andeville, père d’Elisabeth ne veut plus y vivre car c’est sa femme Hermine qui a choisi et aimé ce château, où ils n’ont que peu vécu car elle a rapidement souffert d’une maladie mortelle, laissant Elisabeth, quatre ans et Bertrand, un bébé.
En chemin avant d’arriver au château, Paul raconte à sa femme le drame de sa jeunesse. Quand il a eu onze ans, son père l’a emmené pour un tour de France. Ils font un jour du vélo, après un détour imprévu aux alentours de Strasbourg. Il se met à pleuvoir, ils aperçoivent une chapelle dans une clairière où ils vont s’abriter. Ils sont sur le point d’entrer, quand en sort un homme en qui père et fils reconnaissent le Kaiser Guillaume II, et une femme. Le Kaiser est en colère contre elle ; ils s’éloignent sans rien leur dire. Père et fils sont estomaqués. Surtout quand la femme revient et demande au père de rejoindre le Kaiser qui désire lui parler. Il refuse : elle le poignarde et il meurt.
Paul et Elisabeth visitent le château (elle n’est pas revenue depuis ses 4 ans) dont un boudoir où se trouve le portrait d’Hermine d’Andeville, mère d’Elisabeth. En ce portrait, Paul reconnait immédiatement la meurtrière. Il fuit sa femme, entend le tocsin et décide de rejoindre son régiment sans revoir Elisabeth.
Ces deux deuils, où la piété filiale est impliquée des deux côtés, vont donner lieu à des développements rocambolesques mêlant tragédie familiale et espionnage de guerre. La route de l’intrépide Paul Delroze va croiser celle de ce qu’il convient d’appeler un génie du mal, qui agit sans scrupule pour la Grande Allemagne. Le Kaiser lui-même sera impliqué puisque Paul va réussir à faire prisonnier l’affreux prince Conrad qui va lui servir de monnaie d’échange.
Maurice Leblanc met en scène la guerre du côté de l’arrière et des villages qui voient déferler les troupes allemandes au tout début de la guerre. Pas de scènes de tranchées, Paul Delroze ne prenant qu’une fois part aux combats directement, lors d’un assaut.
Paul multiplie les actes de bravoure, mais les Français doivent reculer devant l’armée allemande :
« Durant la journée passée en Belgique, il avait vu les ruines d’une petite ville anéantie par les Allemands, les cadavres de quatre-vingts femmes fusillées, des vieillards pendus par les pieds, des enfants égorgés en tas. »
Car les Allemands sont des monstres :
« Oh, comme son père avait raison de les exécrer ces gens-là. Partout c’était la dévastation stupide et l’anéantissement irraisonné. Partout l’incendie et le pillage et la mort. Otages fusillés, femmes assassinées bêtement, pour le plaisir. Eglises, châteaux, maisons de riches et masures de pauvres, il ne restait plus rien. Les ruines elles-mêmes avaient été détruites et les cadavres torturés. »
Cependant, les soldats français reçoivent un ordre d’attaque :
« Epuisés, à bout de souffle, luttant à un contre deux depuis des jours, n’ayant pas le temps de dormir, n’ayant même pas le temps de manger, ne marchant que par le prodige d’efforts dont ils n’avaient même pas conscience, ne sachant pas pourquoi ils ne se couchaient point dans le fossé pour y attendre la mort, c’est à ces hommes-là que l’on dit : « Halte, demi-tour. Et maintenant droit à l’ennemi ! ». Et ils firent demi-tour. Ces moribonds retrouvèrent la force. Du plus humble au plus illustre, chacun tendit sa volonté et se battit comme si le salut de la France eut dépendu de lui seul. Autant de soldats, autant de héros sublimes. On leur demandait de vaincre ou de se faire tuer : ils furent victorieux. »
Et Paul, sur le point de courir libérer sa femme toute proche et en grave danger, reçoit l’ordre de se replier pour quitter la région le lendemain. Va-t-il se porter au secours de sa jeune femme ?
« Il se rappelait cette phrase abominable du prince Conrad, rapportée dans le journal d’Elisabeth : ‘C’est la guerre… C’est le droit, c’est la loi de la guerre.’ Cette loi, il en sentait peser sur lui le poids formidable, mais il sentait en même temps qu’il la subissait dans ce qu’elle a de plus noble et de plus exaltant : le sacrifice individuel à tout ce qu’exige le salut de la nation. Le droit de la guerre ? Non, le devoir de la guerre et un devoir si impérieux qu’on ne le discute point, et qu’on ne doit même pas, si implacable qu’il soit, laisser palpiter, dans le secret de son âme, le frémissement d’une plainte. Qu’Elisabeth fût en face de la mort ou du déshonneur, cela ne regardait pas le sergent Delroze, et cela ne pouvait pas le détourner une seconde du chemin qu’on lui ordonnait de suivre. Avant d’être un homme il était soldat. Il n’avait d’autre devoir qu’envers la France, sa patrie douloureuse et bien-aimée. »
Publié en feuilletons durant l’automne 1915, L’éclat d’obus fait clairement partie de la propagande de guerre. Il suit de près les événements et ne cherche pas à édulcorer les atrocités commises, bien au contraire (Elisabeth est violée par la prince Conrad).
Dans la version feuilletonesque, pas d’Arsène Lupin qui n’apparaît que dans la version remaniée en recueil (1923), non pas à la fin en Deus ex machina comme l’indique Wikipedia mais en plein milieu du roman alors que Paul est blessé à l’hôpital.
Je n’ai pas lu ce livre (version avec Arsène Lupin) mais j’ai pris grand plaisir à l’écouter lu par le toujours inégalable René Depasse : 9h 50 d’écoute en deux parties à télécharger sur le site littérature audio.com. On peut lire en ligne une version de 1916.
Thématique Première Guerre mondiale sur Tête de lecture
L’éclat d’obus
Maurice Leblanc (première parution : 1915)
Cette couverture comme elle est vieille ! Je DOIS lire les Lupin depuis longtemps ! Peut-être pour les prochaines grandes vacances…
Et dans cet opus il n’y a pas de Lupin ?
Il fait une très brève apparition, tellement brève qu’on sent bien qu’elle a été ajoutée ensuite. Le véritable héros, c’est Paul Delroze, pas décevant dans ce rôle.
j’aime beaucoup Arsène Lupin. je m’étais donné pour objectif de lire toute la série, et puis bien sûr je ne m’y suis pas tenue. J’avais déjà lu auparavant plusieurs aventures, mais jamais celle-ci. Cela me donne bien envie de me replonger dans les rocambolesques péripéties de Lupin! Mais il faudra que je lise L’aiguille creuse, avant celui-ci.
Tu devrais essayer en version audio. Moi ça me plait parce que c’est comme si je lisais quand je ne peut matériellement pas lire : en course, en conduisant, en faisant le ménage, en marchant dans la rue en courant autour du lac… C’est un mode de lecture que je trouve adapté aux lectures plutôt divertissantes, qui ne demandent pas beaucoup de concentration ni de réflexion. Et puis voilà, je suis tout à fait sous le charme de rené Depasse qui est liseur formidable, je viens juste d’en finir un autre, pas facile du tout car avec beaucoup de dialogues et il s’en sort à nouveau très bien, malgré son emphase et son ton aristocratique.
Mais pourquoi tout le monde parle d’Arsène Lupin alors que ce n’en est pas un ?? Je ne dis pas que j’ai envie de courir le commander en librairie (je suppose qu’on peut encore le trouver en version papier ?) mais je note pour la vie à l’arrière.
Il est certain que ce n’est pas un livre qu’on a forcément envie de lire d’emblée. Ni que les fans d’Arsène Lupin lisent en priorité vu qu’il n’y fait qu’une très brève apparition, en guest star… Je ne l’ai lu (écouté) que dans le cadre de mes lectures sur la Première Guerre mondiale, et dans ce cadre, il est instructif puisqu’il donne une idée précise de ce que les écrivains non combattants pouvaient faire concrètement en matière d’engagement.
Sympa, je note pour mon challenge 😉
Tu fais bien car ce roman offre un point de vue aujourd’hui tout à fait original.
Pas trop tentée, pour ce côté trop propagande et patriotique, je préfère de la littérature plus réaliste.
Je comprends bien, c’est un roman qui se lit plus comme le témoignage d’une époque…