n recueil de nouvelles, intitulé Sept années de bonheur, avec le titre écrit en rose sur la couverture, ça n’était pas gagné d’avance…C’est donc grâce à quelques bons échos et à un goût de plus en plus prononcé pour l’humour juif que je me décidai à découvrir les textes de cet auteur israélien déjà largement traduit en français. Et j’ai bien fait, mille fois.
Tout commence alors qu’Etgar Keret attend à la clinique où sa femme est en train d’accoucher de leur premier enfant : leur fils Lev, devient le point focal du recueil, celui vers qui le narrateur revient sans cesse. On est donc tout de suite plongé dans un tonalité très intime : Etgard Keret se raconte, raconte sa famille et son quotidien d’écrivain. Il multiplie les formules qui bientôt transforment le lecteur en confident : « dans le cadre discret, presque intime, du présent récit, je veux bien reconnaître que ce n’est pas entièrement faux : je n’ai pas de vie, du moins pas au sens traditionnel, quotidien de ce mot« .
Ces nouvelles démontrent exactement l’inverse : la vie d’Etgar Keret devient vite passionnante, certainement bien plus dans ces textes que dans la réalité. Il a à l’évidence un don pour transformer en anecdotes attrayantes les petits événements qui ne le sont pas : les bons mots de son fils, la promenade au square, le voyage en taxi. Et le sport aussi, car Etgar, la quarantaine, se fait du souci pour sa ligne et sa santé, et décide qu’il doit avoir une activité physique. La plus indiquée semble être le yoga. Et encore. Après une première séance, la prof décide de l’inscrire à un cours spécial, plus indiqué que celui des débutants :
C’était d’ailleurs assez sympa, la première fois depuis longtemps que dans une assemblée c’était moi qui avais le moins de ventre. […] J’étais certain d’avoir enfin trouvé ma place dans l’univers cruel de l’activité physique. Mais le groupe ne cessait de rétrécir : comme dans une émission de télé-réalité, chaque semaine une nouvelle femme était éliminée et ses copines débordantes d’enthousiasme disaient avec des tremblement dans la voix qu’elle avait accouché.
Au bout de trois mois, tous les membres de notre groupe avaient accouché, sauf moi.
Même quand il parle de situations difficiles, l’humour n’est jamais loin. Il a appris de son père, dit-il, « quelque chose du désir non pas d’embellir la réalité, mais de ne jamais renoncer à trouver un angle qui mette la laideur sous un meilleur éclairage« . On n’oublie donc jamais qu’il vit dans un pays en guerre, où l’université ferme, où les sirènes et alarmes sonnent à toute heure et obligent toute la famille à immédiatement descendre de voiture pour se jeter dans le fossé le plus proche. Papa et maman jouent alors au pastrami avec le petit Lev : ils font comme un sandwich autour de leur petit garçon, pour le protéger.
A l’inverse, le drôle peut devenir sérieux : maman Keret s’étonne de l’intérêt de son petit-fils pour un jeu où « tout ce qu’il y a à faire, c’est lancer des oiseaux au lance-pierre pour qu’ils détruisent des bâtiments habités par des cochons verts« . Comble de l’étonnement, son propre fils et sa belle-fille sont aussi fans. Et Etgar d’enclencher la machine à réflexion pour finir par conclure :
Si Angry Birds a un tel succès chez nous et partout ailleurs, c’est que nous adorons tuer et démolir. D’accord, les cochons ont bel et bien volé nos œufs au début du jeu mais, entre nous, ce n’est qu’un prétexte pour déchaîner contre eux une bonne vieille rage de derrière les fagots. Plus j’y pense, plus la chose prend clairement forme dans mon esprit.
Sous l’adorable apparence de ces bêtes rigolotes et de leurs voix cocasses, Angry Birds correspond parfaitement à l’esprit qui anime l’intégrisme religieux et le terrorisme.
Dans ces courts textes réjouissants, Etgar Keret manie aussi bien l’ironie, la cocasserie, la confession et la réflexion sur le monde tel qu’il va, notamment en Israël, depuis Tel-Aviv où il a donc vécu Sept années de bonheur entre la naissance de son fils et la mort de son père. Le drame et le malheur ne sont jamais loin, mais le nouvelliste se sert de l’écriture et de la création, de l’invention au quotidien pour les tenir le plus éloignés possible des siens. Et nous convie ainsi à quelques épisodes savoureux qui à la façon d’un stroboscope construit un fils, un mari, un père et un écrivain.
Sept années de bonheur
Etgar Keret traduit de l’anglais par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso
L’Olivier, 2014
ISBN : 978-2-8236-0393-4 – 196 pages – 18 €
Seven Good Years, première parution : 2013
J’ai beaucoup aimé cette lecture, j’en garde un bon souvenir. Il vient de sortir en poche.
Parfait si ça peut lui donner plus de visibilité. Je ne sais pas pour ma part pourquoi je n’avais pas encore repéré cet auteur…
J’avais tellement aimé Au pays des mensonges…il faut que je relise cet auteur. Je note celui-ci.
Je découvre l’auteur et ne doute pas de choisir d’autres ouvrages avant longtemps.
tu parles plusieurs fois de nouvelles ? mais ce sont des chroniques, d’un tissu uniquement autobiographique ! Je l’avais chroniqué après l’avoir moi aussi bien apprécié . Ici tu t’attaches à des moments plutôt légers, mais il y a aussi des dimensions plus dramatiques , (comme l’histoire du « sandwich » humain que tu cites et qui ne peut que faire frémir) et qui sont profondément liés à la vie en Israêl. Et puis ces très beaux portraits de famille (la soeur qi’il a « perdue », le frère qu’il adule) . C’est amusant, en le lisant j’avais bcp de plaisir …et l’impression que j’allais l’oublier aussitôt , mais il n’en est rien !
J’ai choisis les mots clés « écrits autobiographiques » et nouvelles », ce qui nous donne des nouvelles autobiographiques, ça colle bien je trouve… Et oui, ce sont en effet des chroniques sur un pays en guerre, avec ce côté autobiographique qui nous les rendent si proches. Il fait aussi un très beau portrait de son père et de sa mère, ces survivants de l’Holocauste. Je n’en ai pas assez parlé dans ce billet : merci de le faire !
Coup de coeur, oui, pas étonnant, non? On en redemande… J’ai démarré un autre recueil de nouvelles de cet auteur, différent mais cela pourrait te plaire aussi. (Au pays des mensonges Actes sud)(yep, donner en commentaire des idées lecture, j’adore)
Excellent ce livre oui ! Ce qui m’épate toujours, ce sont ces gens qui auraient mille raisons d’être déprimé, anxieux, désespéré, et qui soit ne le laissent pas paraître, soit sont d’une vitalité hors normes, arrivent à garder le sens de l’humour, un peu de légèreté, malgré tout. Je l’avais fait lire à une collègue par la suite, elle a été aussi conquise que moi. On en parle encore.
Oui, il a une façon d’envisager le monde malgré tout, qui fait du bien. C’est un livre viral je crois : après mon billet et ma promo maison, mon mari veut le lire et il l’aime déjà !
Je ne suis pas trop fan des nouvelles. Elles ont souvent un côté trop rapide, inachevé, voir baclé…
Celles-là ne sont rien de tout ça : ce sont des instants de vie, qui forment un tout et non des textes qui n’ont rien à voir entre eux. Et en plus, c’est souvent drôle.
le petit coeur qui saute, j’aime ! titre noté, j’aime bien les nouvelles, et en ce moment ça m’irait bien !
Et puis c’est bien plus drôle que ce que j’ai chroniqué jusqu’à présent cet été. Le prochain ne sera pas triste non plus, mais ça ne va pas durer 🙂
J’ai adoré ce recueil, ces saynètes drôles, vives, toujours profondes derrière une apparente légèreté
http://tu-vas-t-abimer-les-yeux.blogspot.fr/2015/03/7-annees-de-bonheur-etgar-keret.html
Je crois qu’il n’y a pas de déçus !