La couverture du soldat de Lidia Jorge

La couverture du soldatLa couverture du soldat est offerte à la narratrice par son père, qui est aussi son oncle. Entendez par là que Maria Ema, sa mère, a fauté avec Walter Dias avant le mariage, mais que ce n’est pas Walter que Maria Ema épousera mais son frère Custodio Dias. Custodio est l’aîné des sept frères Dias, et le seul qui restera au pays, à Valmares avec le père. Il sera le gardien, l’ancre familiale mais aussi celui qui n’évoluera pas.

La narratrice, qui tantôt est « je », tantôt est « elle », reconstruit l’histoire familiale à partir de ce qu’elle a pu en comprendre. Entre silences, vociférations et accusations, elle tente de dessiner le portrait d’un père toujours physiquement absent mais terriblement présent : des quatre coins du monde il envoie des dessins d’oiseaux les plus exotiques. Et puis un jour, sa couverture de soldat, celle sur laquelle, dit-on, il a culbuté tant de femmes…

Ce roman de Lidia Jorge se révèle assez complexe et mérite d’être lu d’une traite. La chronologie n’est pas claire, pas plus que l’énonciation. Le lecteur est comme pris dans un rêve ou un collage d’instants qui illustrent la personnalité fuyante de Walter Dias. Qui exprime aussi toute la difficulté de se forger une identité quand on est une enfant illégitime, à la personnalité affirmée de surcroit. L’aînée de Maria Ema ne s’efface pas, elle n’est pas de ces femmes portugaises qui se soumettent : si elle ne quitte pas sa famille, elle n’en vit pas moins une vie qu’on qualifie de dissolue. C’est que le Portugal change…

Francisco Dias, le grand-père, le patriarche, passera les trente dernières années de sa vie à attendre le retour de ses fils partis en Amérique. Selon lui, il est de leur devoir de revenir et ils reviendront. Mais de Walter il ne veut pas, ce fils excentrique et indigne n’est pas son héritier. C’est pourtant le seul qui un jour rentre, au volant d’une voiture américaine alors qu’il n’y pas encore l’électricité dans la maison de Valmares.

Première découverte de Lidia Jorge à l’occasion de l’émission L’Europe des écrivains. Le style poétique et intime n’aide pas à entrer dans cet univers émotionnellement sobre : on ne s’épanche pas dans la famille Dias. Le silence prévaut, les sentiments s’enfouissent et les âmes dépérissent, s’assèchent. Dès lors l’émotion est plus suggérée que décrite au lecteur qui se laissera prendre à cette écriture répétitive, allusive et parfois trop sobre. On ne peut pas parler de roman familial, tant on est axé sur Walter et la narratrice, tant les autres semblent être des figurants. Et surtout, il ne se passe rien au sens que les événements ne sont pas racontés (on ne sait pas toujours ce qui se passe, y a-t-il par exemple eu inceste ?) : ce qui prime, c’est l’errance psychologique d’une enfant puis d’une femme abandonnée par son père, qui cherche à se construire.

Une lecture atypique pour moi, qui m’emmène loin de mes univers habituels.

La couverture du soldat

Lidia Jorge traduite du portugais par Geneviève Leibrich
Métailié (Bibliothèque portugaise), 1999
ISBN : 2-86424-318-0 – 201 pages – 16 €

O Vale da paixao, parution au Portugal : 1998

18 commentaires sur “La couverture du soldat de Lidia Jorge

  1. Tu as complètement raison pour la lecture d’une traite, je ne l’ai pas fait et le regrette d’où mon envie de le relire déjà.
    En revanche, je n’aurais pas utilisée le terme « sobre ». L’émotion n’est pas décrite mais elle est sous-jacente en permanence et à mon sens ultra présente et pesante, comme une soupape qui n’attend que d’exploser. En tout cas c’est mon ressenti, j’étais à flux tendu tout le temps de la lecture…
    ça a été une lecture difficile pour moi aussi mais très très riche qui nécessite un long temps de « digestion » pour éventuellement y revenir avec un nouveau regard. Une très belle découverte en ce qui me concerne ! Il faut dire que l’on m’a offert le livre, ce qui lui donne d’emblée une aura positive 😉

    1. J’ai utilisé le mot « sobre » au sens de non exubérant… Les Latins pour moi sont plutôt des gens expressifs (c’est une image bien sûr, comme un poncif personnel, il y a des Latins qui sont exubérants et d’autres qui ne le sont pas), aussi cette retenue dans l’expression des sentiments m’a marquée, voire même un peu gênée…

    1. Mon choix était dépendant de ce que proposait la bibliothèque. Il n’est pas exclu que je lise d’autres Portugais, bien peu nombreux sur ce blog. Peut-être que l’émission de ce soir nous révèlera des auteurs un peu moins austères…

  2. J’ai l’impression que ce titre ressemble davantage au premier roman que j’ai découvert de cette auteure (Le vent qui siffle dans les grues) qu’à celui que j’ai lu à l’occasion de cette Europe des écrivains (une belle idée, soit dit en passant…). Lidia Jorge, qu’on l’apprécie ou non, a en tous cas un style qui lui est propre.

    1. Pour ma part, si je dois la relire, ce sera plutôt avec le roman que tu nous as présenté dans lequel l’histoire du pays est bien plus présente.

  3. Je voulais lire Lidia Jorge pour le challenge UE/Portugal, mais je sens que ce sera avec un autre titre. Enfin, style poétique et intime, ça me fait peur quand même. J’espère que ce n’est pas une constante chez l’auteure.

  4. Très beau billet même si je m’embrouille déjà entre les pères qui sont des oncles etc. Je suis assez tentée par la découverte de la littérature portugaise mais pour le coup, ça me parait trop exigeant pour moi en ce moment. A voir, plus tard…

    1. Comme dirait l’autre, il faut avoir du temps de cerveau disponible pour ce genre de lecture 🙂 A mes yeux c’est exigeant, mais on en tire un certain plaisir, notamment parce que la plume est très belle.

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