Le rating, c’est l’audimat, le point d’audience en plus ou en moins qui donne la température d’une émission. Les télévisions privées ne fonctionnent qu’au rendement et doivent donc plaire au plus grand public possible. C’est au cœur du monde impitoyable du reality show que le vénézuélien Alberto Barrera Tyszka plonge son lecteur.
Rien ne va plus sur Canal 6 : la chaîne plonge, il faut ab-so-lu-ment inventer une émission populaire qui fasse remonter l’audimat. Rien de tel pour ça qu’un reality show, le public adore. Mais il faut quelque chose de nouveau, du jamais vu. Rafael Quevedo, ancien créateur désormais chargé des projets spéciaux sort une idée géniale de son chapeau : un reality show avec des indigents. On irait ramasser des clochards dans la rue et on les enfermerait dans une belle maison chic, dont le gagnant serait à la fin propriétaire.
C’est dans ce contexte de surchauffe que le jeune Pablo Manzanares devient son assistant. Son assistâne disent les mauvaises langues, voire même son lèche-cul. C’est le surnom que lui donne Manuel Izquierdo, le scénariste recruté par Quevedo pour mettre en scène son idée de génie. Mais Izquierdo méprise Quevedo et surtout, il ne croit pas en cette histoire. Heureusement, le projet évolue et bientôt, ce ne sont plus des clochards qu’on recrute mais des victimes des pluies diluviennes et autres coulées de boue qui ont laissé de nombreux habitants de Caracas sans foyer. Pour son émission d’un genre nouveau, Quevedo décide que ces sinistrés joueront un rôle : il ne s’agira donc pas de télé réalité mais les spectateurs ne le sauront pas.
Le lecteur suit ces magouilles à travers le scénariste désabusé Izquierdo et le jeune Pablo, tous deux narrateurs à la première personne. Pablo est tout neuf dans le milieu, encore étudiant et on n’a pas envie qu’il devienne un de ces requins. Izquierdo lui se détache du système qui a fait sa gloire et son cynisme est réjouissant. Il connaît les arcanes du métier et ne manque pas d’évoquer ses souvenirs. Parce qu’ils sont de vrais personnages et non des pantins agités par une production avide, ces deux-là sont les seuls vraiment humains et c’est à eux qu’on s’attache : aux amours en dents de scie de Pablo (Emiliana ? Vivian ? à nouveau Emiliana ?) et à l’obscur passé d’Izquierdo qui se rend compte que malgré tout, sa vie ressemble à un banal feuilleton télé.
Alberto Barrera Tyszka ne se départit jamais d’un ton critique et drôle tout à fait réjouissant. On plonge dans l’univers des fameuses telenovelas qui plaisent tant aux sud-américains (qui ne se souvient, chez nous, de la série Isaura par exemple). L’immuabilité et l’insipidité de leur scénario sont gages de succès.
… la protagoniste devait être blanche, blonde et vierge. Toujours. Elle ne pouvait s’éprendre que d’un homme. Elle ne pouvait coucher qu’une seule fois, avec de seul homme évidemment, et devait en outre avoir cet incroyable à-propos de tomber immédiatement enceinte. Une autre des lois incontournables se rapportait au cadre, aux décors et aux lieux où se déroulait l’histoire : tous devaient être élégants, riches, marqués de façon évidente par la splendeur, la beauté et le luxe.
L’ambiance est à la comédie, mais le regard porté sur le monde de la télé n’en est pas moins acerbe. On y est prêt à n’importe quoi pour faire de l’audience y compris à manipuler les gens. Sans parler de mentir et d’humilier. Un monde sans morale qui semble empoisonner tout ce qu’il touche. Combien de temps y demeure-t-on innocent et honnête ?
Rating est le troisième roman d’Alberto Barrera Tyszka publié par les éditions lyonnaises Zinnia : belle découverte !
Rating
Alberto Barrera Tyszka traduit de l’espagnol par Nicole Rochaix-Salmona
Zinnia Editions, 2015
ISBN : 979-10-92948-11-0 – 222 pages – 14€
je me demande si ce n’est pas un peu dépassé les émissions de téléréalité non? comme je ne regarde pas la télé ce qui me surprend c’est que des gens la regardent encore en y croyant !
Voilà 15 ans que je n’ai plus la télé. Je n’ai jamais vu d’émissions de télé réalité, pas le moindre épisode, mais la l’inverse de toi, je ne doute pas une minute de la crédulité des gens…
Le Vénézuela … Tu fais fort, et en plus c’est extrêmement attirant ce bouquin. (mais où vas tu chercher tout ça?)
Je livre bien volontiers mes sources : voici un site qui s’intéresse à l’actualité culturelle latino américaine en France : http://www.espaces-latinos.org
Oh ! Auteur vénézuélien ! Je n’ai pas encore eu l’occasion d’explorer par là-bas et je crois que ça me plaira bien de le faire à travers ce livre. Une critique drôle et réjouissante du monde des reality shows, merci pour cette découverte !
Descente en librairie aujourd’hui et devine avec quoi je reviens ? Les remèdes du docteur Irabu !
Je ne suis pas cliente de télé-réalité, mais comme toi je pense que ça plaît bien aux gens, sinon ce serait fini depuis un bon moment. Un livre sur l’envers du décor, voilà qui est intéressant (et je ne crois pas que l’on puisse garder son innocence très longtemps, à moins de fuir en courant)
J’ai bien aimé le ton, ni moralisateur ni donneur de leçons. C’est drôle sans être délirant le bon dosage d’humour.
Ca a l’air sympa. Tu as lu ses autres romans ?
Non, je le découvre avec ce titre, probable que je continue.
Cool, originale comme lecture. J’adore l’idée de départ, cynique à souhait et je ne crois pas avoir déjà lu de littérature vénézuélienne. Je me le note sans hésiter.
Parmi les Latinos-américains, le Vénézuéliens ne sont pas les plus traduits…
Je dois dire que je suis beaucoup moins enthousiaste sur ce roman. J’en suis à la page 120 environ et je n’ai toujours pas accroché. Je trouve que cela traîne en longueur et que l’on s’éloigne régulièrement du sujet avec les deux narrateurs qui racontent chacun leur vie. J’attendais beaucoup de ce livre mais je suis globalement assez déçue.
Quel dommage ! J’ai été ravie de la découverte, suis partie sans problème dans cette histoire dont j’ai apprécié le ton à la fois humoristique et acerbe. J’espère que tu trouveras meilleures les 100 pages restantes 😉