Joe est payé pour faire le ménage dans le commissariat de Christchurch, et il le fait bien : il est l’employé modèle du titre, cependant ironique. L’ironie vient du fait qu’il est aussi le tueur en série que traque la police. Très au fait donc de l’avancée des recherches, des pistes privilégiées et preuves accumulées, Joe n’a rien à craindre et continue à tabasser et trucider des femmes. Avec plaisir même.
Dès les premières pages, j’ai su que Joe et moi, ça n’allait pas être possible. Et de fait, à aucun moment je n’ai pu sourire des plaisanteries et de l’humour du Boucher de Christchurch. L’auteur fait pourtant tout pour ça, sans beaucoup de finesse.
Joe est le narrateur du roman : il raconte sa vie quotidienne, Cornichon et Jéhovah ses poissons rouges qu’il aime d’amour, sa maman envahissante et Sally, l’employée (qu’il juge) un peu neuneu du commissariat. Il se décrit aussi, dans un style qui, sous une apparente modestie, laisse affleurer son fantasme d’omnipotence.
Je ne suis qu’un type normal. Un Joe moyen. Avec un hobby. Je ne suis pas un psychopathe. Je n’entends pas de voix. Je ne tue pas pour Dieu ou Satan, ou le chien du voisin. Je ne suis même pas religieux. Je tue pour moi. C’est aussi simple que ça. J’aime les femmes et j’aime leur faire des choses qu’elles ne veulent pas me laisser faire. Il doit y avoir 2 ou 3 milliards de femmes sur cette terre. En tuer une par mois, c’est pas grand-chose. C’est juste une question de perspective.
Un assassin ordinaire en quelque sorte. Duquel le lecteur doit se sentir plus ou moins proche, et plutôt plus que moins pour pouvoir supporter de le lire. Joe manie donc beaucoup l’humour noir.
Elle commence à crier, alors je pousse son visage contre le lit pour la faire taire, et ça marche plutôt bien. Je lâche son bras. Il ne bouge plus. Il est étalé selon un angle inédit pour un bras. Son autre bras est écrasé sous elle. Quand j’essaie de bouger celui qui est brisé, ça fait comme un craquement là où l’os est cassé.
Je me débarrasse de mon pantalon d’un coup de pied. Notre histoire d’amour est brève et profondément satisfaisante, à part qu’il semble que j’aie exercé trop de pression sur l’arrière de sa tête, car quand j’ai fini, et que je me retire, je l’ai étouffée. On dirait que je n’arrive à rien faire comme il faut ces temps-ci.
Joe pleure quand meurent ses poissons rouges. Joe ressent des sentiments très ambivalents à l’encontre de sa maman : il voudrait tantôt la tuer, tantôt la hacher menu. Joe rejette viscéralement les homosexuels, au point d’en vomir. Le papa de Joe s’est suicidé… Bref, Joe est un concentré, un cas d’école. Charmeur en apparence, mais aussi perturbé que froidement intelligent. Sa technique pour éloigner de lui tout soupçon est de se faire passer pour simple d’esprit. Ce déclassement social est compensé par sa toute puissance sur les femmes qu’il séduit par son humour et son charisme.
Le problème est qu’à aucun moment je n’ai apprécié cet employé modèle ni les efforts de l’auteur pour nous le rendre sympathique. Même quand il se fait coincer les couilles par une tueuse en série plus maligne que lui : qu’ils soient hommes ou femmes, les criminels sexuels ne sont pas ma tasse de thé.
A l’inverse de bien des lecteurs, je n’ai pas admiré Joe pour sa maîtrise dans l’art de la double vie, ni même pour ses talents d’enquêteur. Car oui, Joe mène l’enquête puisque parmi les crimes attribués au Boucher de Christchurch, il est très bien placé pour savoir qu’il en est un qui n’est pas de sa main. Qui donc a voulu se faire passer pour lui ? C’est le nœud de l’intrigue, très peu crédible tant par la nullité des inspecteurs chargés de l’enquête que par l’incroyable perspicacité de Joe.
A lire Un employé modèle, on pense à American Psycho de Bret Easton Ellis : Patrick Bateman y raconte en détail les sévices qu’il fait subir aux femmes, aux sans-abris et à tous ceux qu’il déteste. Un livre à la fois grandiose et repoussant qui fait voler en éclats les limites du supportable pour communiquer au lecteur le dégoût, la souffrance et la violence. Le livre de Paul Cleave est bien loin de ça, cherchant à faire de son Joe un gars sympa dont on peut rire ou se moquer.
L’humour très noir de ce roman ne fonctionne pas avec moi. De quelque façon qu’on me le présente, un type qui frappe les femmes à mort, les martyrise et y met le feu ne me fera jamais rire ni sauter de joie. Il n’y avait pas d’ambigüité avec American Psycho, il y en a ici et ça me déplaît. Je ne suis pas cependant hermétique à l’humour à base de serial killer, j’avais par exemple beaucoup aimé et beaucoup ri à l’épopée meurtrière d’Hélène Jégado.
Pas grand-chose à voir non plus avec Dexter, la série au flic psychopathe qui se veut justicier : Joe est un pervers dominateur qu’on veut faire passer pour le gendre idéal.
Première déception avec les éditions Sonatine.
Un employé modèle
Paul Cleave traduit de l’anglais par Benjamin Legrand
Sonatine, 2010
ISBN : 978-2-35584-033-3 – 350 pages – 22 €
A lire tes commentaires sur fb, je savais déjà que ce n’était pas pour moi, déjà que je n’ai pas pu lire BEE… Brrrrr
Oui, un début de lecture difficile dont j’ai fait état sur le groupe, que la suite n’a pas arrangé, vraiment pas.
J’en ai bon souvenir ( mais pas une extase non plus…), sans que ce bon souvenir soit confirmé par les lectures qui ont suivi ( un père idéal, et surtout » la collection » que j’ai trouvé décevant.
Son dernier » un prisonnier modèle » m’a laissé sur ma faim…..
Ce qui me gène ici, c’est surout l’humour je crois. J’ai cru comprendre que Nécrologie en était dénué, que c’était un roman très noir : peut-être me plairait-il… J’espère que quelques amis du groupe l’auront lu pour cette lecture commune.
Je n’ai jamais été très attirée par ce titre, avec ton billet l’affaire est définitivement classée.
Moi, ça me tentait bien à la base cette histoire de serial killer, mais dès les premières pages, j’ai senti que l’affaire ne se ferait pas…
Je ne pense pas que je l’aurais lu jusqu’au bout…
Sans la lecture commune, je pense que je ne l’aurais pas terminé non plus.
Tu nous avais déjà prévenus sur FB. Je pense que je partagerais entièrement tes préventions. Aucune envie de lire ce genre de chose.
Quand j’ai posté mon message sur la page, je n’en étais qu’au début et n’avais aucune envie de poursuivre. J’aurais laisser tomber sans la LC, mais ce n’est pas plus mal d’être allée jusqu’au bout, je me rends mieux compte 😉
Lu il y maintenant quelque temps, j’avais bien aimé. J’en ai d’ailleurs deux autres de l’auteur dans ma PAL; malheureusement je n’ai pas pu me joindre à vous pour la lecture commune.
Dommage en effet que tu ne nous aies pas rejoints, car Paul Cleave manque aujourd’hui d’avis positifs !
Il me semble que tout est dit! ton avis me suffit largement pour ne pas me frotter à ce roman , je me retrouve très bien dans tes remarques. L’humour sur l’horreur c’est particulièrement lourd quand c’est raté!
Humour-horreur : ça me fait immanquablement pensé à Edgar Hilsenrath qui lui sait très bien manier/marier les deux.
Brrr, pas du tout mon genre d’humour ! Et comme Yueyin, ça ma rappelle BE Ellis que je n’ai pas pu lire au delà de vingt pages…
American Psycho est le seul livre dans ma vie de lectrice dont j’ai dû sauter des pages parce que je savais que je n’allais pas supporter. Pourtant, j’ai lu deux trois trucs horribles et surtout vu beaucoup de films de cet acabit. Mais là, pas possible. Du coup, ce livre me fascine…
Joe ne m’a pas convaincue non plus …
Finalement, je crois que ce sont surtout les lecteurs qui ont aimé qui se sont exprimés sur les blogs : je n’avais quasi pas lu d’avis négatifs sur ce roman.
Il est dans ma PAL, par curiosité, mais je crois bien que je vais l’en enlever… à te lire, je ne pense que ce soit fait pour moi.
Je crois qu’en lisant juste les premières pages, tu sauras si ça te plait ou non.
Flûte, j’en garde un bon souvenir, même si ce n’est pas le polar du siècle.
L’humour noir comme celui-là n’est pas le plus facile à partager…
C’est clair que si tu n’aimes pas les serial killers, c’est assez déconseillé de lire des thrillers avec serial killers dedans.;-) Moi je ne suis pas fan du tout des criminels (j’ai failli tourner de l’oeil avec American Psycho), mais j’ai apprécié du coup la touche humour noir qui apportait un peu d’originalité dans un genre finalement assez classique et souvent trop morbide.
Non,je n’ai rien contre dans les serial killers (dans les livres s’entend…), ce qui me gène ici c’est l’humour auquel je n’ai pas accroché du tout. Je pense que j’ai des préventions contre les tueurs de femmes, parce qu’Hélène Jégado elle, tuait des Bretons et elle m’a beaucoup fait rire 😀
Bonjour Sandrine, je viens de relire mon billet de septembre 2010 sur ce roman qui ne m’avait pas déplu mais je n’ai pas souhaité continuer avec cet auteur. Pas tentée. Bonne journée.
ça m’étonne qu’il n’ait pas encore été adapté au cinéma…
je comprends tes bémols et les aurais sans doute partagés!
J’espère que tu seras des nôtres pour une prochaine LC « Lire le monde » 😉
Je garde un bon souvenir de ce roman moi, mais je peux comprendre tes bémols…
Si je me souviens bien tu as un autre Paul Cleave dans ta PAL : allez, allez !
Boffff ! Jusqu’où ira-t-on dans le glauque et le sanglant pour satisfaire la curiosité morbide ? Bonne question Mr le « Pas tenté »
Le Papou
Ps : Tu as du courage pour aller jusqu,au bout.
Quand j’organise une lecture commune, je fais des efforts 😉 et j’aime bien justifier mon avis, surtout avec un livre qui a été beaucoup apprécié par les lecteurs.
Je n’ai pas apprécié l’auteur non plus 🙂
Et je n’ai pas réussi non plus à finir « American Psycho » de Bret Easton Ellis (il y a quelques années déjà )
A bientôt 🙂
J’ai sauté quelques pages lors de ma lecture de American Psycho (il y a quelques années aussi), mais j’ai bien l’intention de m’y remettre un jour, dans l’intégralité du texte…
Je pense que le rendez-vous serait raté pour moi aussi… Je passe !
J’espère quand même ne pas te faire passer à côté d’un livre qui pourrait te plaire… il suffit de lire quelques pages et on est vite fixé…
Justement, les passages que tu mets… Pas trop pour moi 😉
L’histoire ne me tente pas trop. C’est un peu du déjà-vu non ?
Par contre concernant les déceptions avec Sonatine, j’ai été très déçue par Le livre sans nom. Ce livre trônait sur ma PAL depuis longtemps quand je l’ai lu. Peut-être me suis-je trop conditionnée en attendant de le lire.
Ah bon !? Perso, si je n’ai pas encore lu les suites, j’ai beaucoup aimé Le Livre sans nom.