Yana roule trop vite sur son vélo dans les rues de Montréal. Elle s’enfuit, fuit sa vie et son travail. Elle y croyait pourtant à ces cellules photoélectriques, à cette énergie nouvelle et respectueuse de l’environnement élaborée au sein de Chemical Research. C’est qu’il fait désormais 10° à Montréal en janvier, il est temps de trouver une solution.
Mais c’est l’accident. Yana chute de vélo puis décide de partir retrouver son grand-père, un très vieux wendat qui a développé un jardin de permaculture et vit dans une hutte écoénergétique. Seul et à 1 500 km de Québec. Il a eu une femme, partie avec un grand blond, revenue puis morte, une fille partie à Québec et Yana, sa petite-fille qui a suivi sa mère. Étudiante, elle lui envoyait des textos auxquels il répondait par une lettre annuelle. Mais elle est sans nouvelles depuis longtemps et part le rejoindre.
Le dernier chant des premiers peuples est un livre d’initiation et une fable. Yana est immergée dans une culture ancienne qu’elle a en partie oubliée mais qui revient. Elle est tiraillée par sa vie en ville et sa toute première enfance auprès de son grand-père. Choisir ce dernier, c’est choisir la solitude, c’est tourner le dos au rêve technologique, au confort mais c’est aussi se tourner vers le primordial.
On peut se mettre tous les malheurs sur le dos : le pétrole, le gaz de schiste, les villes plongées dans le grand fumoir industriel, les guerres les plus horribles, mais, en réalité, par quel miracle aurions-nous pu échapper à la folie ?
Yana révolutionne à la fois son corps et son esprit : elle se met à l’écoute de la Terre et bientôt devient louve ou lapin. Il n’est plus de frontières de genres ou d’espèces car l’empathie et l’écoute débouchent sur une communion. Sous la pression de la société qui s’écroule et s’enflamme, elle part plus loin encore au nord et va vivre plusieurs années dans une famille innue.
Ce texte clôt une trilogie de Jean Bédard, philosophe, écrivain et intervenant social, sur les peuples premiers. Elle interroge les rapports de l’Homme et de la nature, leur éloignement et leur possible réconciliation. Que s’est-il passé ?
L’homme ne pouvait donc pas reprendre racine, se renaturer, ou du moins s’adapter ? Il n’était donc pas possible d’affronter un arbre ou simplement une fleur ? La nature nous était à ce point insupportable ?
Ce possible retour à la nature ne passe pas par des discours mais bien par des expériences extrêmes et physiques grâce auxquelles Yana va se retrouver. Elle quitte tout et plus encore, abandonnant son corps pour notamment se mettre à l’écoute des animaux. Puis elle partage l’expérience des descendants des premiers peuples qui sont restés proches de la nature, respectueux.
Le style poétique et incantatoire de Jean Bédard propulse le lecteur au coeur des légendes premières et des mythes anciens. Le retour à la terre n’est pas ici folklore mais bien expérience de vie, douloureuse, qui passe par une perte de tous repères spatio-temporels. On ne sait pas bien parfois si Yana est morte ou vivante, si elle rêve. Elle-même bien souvent se demande où elle se trouve.
J’avais l’impression de m’être perdue. Au bout d’un moment, je n’étais même plus certaine que grand-père était là, quelque part. Peut-être m’avait-il abandonnée dans ce jardin sans porte ni fenêtre ? Peut-être n’avait-il jamais existé ? Peut-être qu’aucun être humain n’avait encore existé ? Peut-être étais-je seule, absolument seule dans un jardin seul sur une planète seule dans une galaxie seule dans un univers depuis longtemps mort de solitude…
Car c’est en échappant à elle-même qu’elle va quitter le monde moderne, le monde qui finit et croule sous la modernité devenue poison pour retrouver l’essentiel. Ce qui fait la différence entre ce texte de Jean Bédard et les textes de fins du monde ou post-apocalyptiques que nous propose souvent en ce moment la science-fiction, c’est l’espoir. Pour Jean Bédard, la nature est toujours là, de même que ces peuples qui vivent à son écoute. Tout est affaire de réconciliation et il n’est jamais trop tard pour admirer la beauté simple des épinards.
Le monde continuait de vivre, et c’était beau.
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Écouter la lecture d’un extrait de ce roman, monologue de la dernière baleine bleue.
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Le dernier chant des premiers peuples
Jean Bédard
VLB éditeur, 2016
ISBN : 978-2-89649-714-0 – 236 pages – (prix en euros ?)
je ne suis pas sûre d’aimer le style (même si les extraits me plaisent) mais le thème m’attire.
C’est une belle écriture pourtant, ni difficile d’accès ni prétentieuse, simple mais qui sait aussi se faire plus forte et puissante.
Un titre original, qui m’intéresse, merci pour la découverte.
Un thème que je n’aborde pas souvent dans mes lectures, celui de la nature et des hommes en relation avec elle (ou non), mais j’ai été séduite par ce titre.