Croix de cendre d’Antoine Sénanque

Croix de cendre d’Antoine Sénanque est un roman passionnant qui vous fera vivre l’Aventure aux côtés de moines du XIVe siècle. Ça semble sans doute étrange, voire incroyable et je ne suis peut-être pas totalement impartiale. L’histoire de l’Église et notamment ses querelles m’intéressent depuis longtemps. Cependant, si vous ne faites pas la différence entre un Dominicain et un Franciscain, vous prendrez quand même plaisir à lire ce roman (et vous ferez ensuite la différence !).

En 1367, frère Antonin et frère Robert sont moines au couvent de Verfeil. Le prieur Guillaume les envoie à Toulouse chercher des vélins sur lesquels ses souvenirs seront transcris. C’est à trois jours de marche. Les deux compères s’y rendent joyeusement. Mais à Toulouse, l’inquisiteur fait emprisonner frère Robert pour faire chanter frère Antonin. Celui-ci devra lui donner une copie des mémoires que le prieur Guillaume va lui dicter. Au nom de l’amitié, Antonin accepte.

Le prieur Guillaume dicte donc ses souvenirs, en commençant par le siège de Kaffa en 1347. L’épisode allume tout de suite une petite lumière chez les passionnés d’histoire : c’est là que les Mongols lancèrent sur les Européens des cadavres pestiférés. La suite, on la connaît : l’Europe perd un tiers de sa population à cause des ravages de la grande peste. Mais en fait, on ne sait pas tout. Antoine Sénanque, à travers son prieur Guillaume nous suggère que la peste ne s’est peut-être pas répandue comme on le croit à cause des bateaux arrivant dans les ports méditerranéens.

Voilà donc une première trame narrative passionnante. Elle n’est pas la seule. Remontant encore le temps jusqu’à la jeunesse du prieur Guillaume, on le retrouve en Europe du Nord aux côtés de maître Echkart, véritable héros de Croix de cendre. Je ne pourrais vous expliquer en quelques mots qui il était. Ce serait faire offense à Antoine Sénanque qui dresse de lui un magnifique portrait, merveilleusement accessible. Une des prouesses de ce roman est qu’il parvient à rendre compréhensible la pensée complexe de ce théologien et philosophe médiéval qui par son extrémisme s’est fait beaucoup d’ennemis, notamment dans les rangs de l’Inquisition, tenue par des Dominicains comme lui.

On le connaît par ses sermons difficilement lisibles qui font de lui un intellectuel peu compréhensible au profane. Mais dans ce roman il est avant tout un homme, même si mystique. J’ai beaucoup apprécié les pages se déroulant au béguinage de Ruhl, au milieu de ces femmes pieuses qui avaient choisi de ne pas suivre de règles, celles des hommes, et de vivre leur foi libre ensemble (c’est sur l’une d’elles mais un siècle plus tôt que j’ai travaillé pour mon mémoire de maîtrise).

Je trouve également fascinante la parole des gens d’Eglise et en particulier des inquisiteurs. Ils maîtrisent la langue et l’utilisent pour piéger les hommes qu’ils ont pris dans leur toile. C’est effrayant mais tellement représentatif de ce que peut faire le langage dans la bouche de ceux qui en connaissent toutes les subtilités. Et bien sûr sous la plume d’écrivains comme Antoine Sénanque.

C’est drôle, triste, émouvant, aventureux, érudit, accessible. Tous les personnages sont intéressants, tous sont fouillés, humains. Même le gros inquisiteur qui tient bien sûr le mauvais rôle est humain et donc dense et complexe. Aucune caricature, juste des hommes (et quelques femmes) qui vivaient à une époque où la religion avait déjà pris tant de pouvoir et fait tant de mal qu’il n’était plus possible pour la plupart de vivre simplement leur foi. Ils sont des marionnettes prises dans le courant d’une histoire beaucoup plus grande qu’eux, violente et intransigeante. Heureusement émerge l’amitié.

 

Croix de cendre

Antoine Sénanque
Grasset, 2023
ISBN : 978-2-246-83266-9 – 432 pages – 22,50 €

 

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32 Comments

  1. Ah je l’ai repéré, j’ai bien envie de le lire, pour le sujet qui m’intéresse et pour l’auteur dont j’ai déjà lu et apprécié un titre. À te lire je comprends que je ne suis pas la seule à avoir écouter les cours de Boucheron sur la peste noire, Sénanque également.

    1. La bibliothèque que je fréquentais avant proposait des livres en téléchargement : je n’ai jamais réussi à télécharger quoi que ce soit… adobe veut me faire ouvrir un compte, je ne veux pas, ça ne passe pas…

  2. Bonjour, je viens de voir ton commentaire sur les ebooks. Il paraît qu’on peut s’inscrire en ligne à la bibli de Marseille et de là facilement accéder au prêt des livres numériques (je dis il paraît, parce que vu la masse de livres physiques et numériques qu’il y a chez moi, je n’ai pas vraiment recours à ce service). Je te mets le lien si jamais tu veux vérifier ce que je raconte.
    https://www.bmvr.marseille.fr/accueil

  3. Je n’ai jamais essayé le livre numérique de Blois, j’ai bien assez du papier à la maison. ^_^ Le salon du dernier RVH a frappé fort! ^_^
    En revanche regarder es films ça j’ai su faire (j’ai regardé du Tati à fond ces derniers temps)
    Au sujet du bouquin ah oui maintenant je veux le lire! Il est dans deux biblis.
    (aux RVH j’ai rencontré Camille Pascal, j’espère que tu aimes ses bouquins, et cathe – de ton coin)

    1. J’ai justement vu Catherine aujourd’hui et quelques autres lectrices bretonnes car nous nous retrouvons régulièrement. Elle nous a raconté ses RDV de l’Histoire : elle était enchantée.
      Et pour les films, je suis d’accord avec toi : c’est beaucoup plus simple. Et dire que la bib est gratuite alors que je n’y suis plus, c’est rageant…

  4. Le site de ma bibliothèque bugue justement sur ce titre là ! Je vais aller voir sur place cet après-midi. En tout cas, ils l’ont ou il est en commande. Le thème m’intéresse, Maître Echkart je n’ai jamais pu vraiment le lire, malgré quelques essais.

  5. Comme toi, ce roman m’a vraiment passionnée, et tu as raison de souligner qu’il ne faut pas être érudit pour y trouver de l’intérêt ( mais faut être quand même un peu fondue d’histoire …) Par contre, le discours mystique d’Eckart m’a semblé obscur, ou du moins, je n’ai pas vraiment cherché à le comprendre.

    1. Je suis d’accord avec toi : ces mystiques sont vraiment complètement perchés ! Mais le tour de force n’est pas mince : nous intéresser quand même à Eckart et à son histoire.

  6. J’ai beaucoup aimé ce livre, j’avais lu Sénanque il y a longtemps et j’avais déjà aimé
    Ici j’ai tout aimé les liens entre les personnages, la façon dont l’auteur fait parler Maitre Eckhart, les descriptions des lieux, et les rappels de l’histoire
    bref pour moi un excellent roman
    Depuis cela m’a donné envie de lire un peu Eckhart ce n’est pas d’accès facile mais cela vaut la peine

    1. Au regard de sa qualité, je trouve qu’on ne crois pas beaucoup ce roman sur les blogs. Sans doute l’époque, les personnages et le thème ne tentent pas les lecteurs au premier abord. J’espère en faire changer quelques-uns d’avis.

  7. L’histoire de l’Église et ses querelles m’intéressent aussi beaucoup et tu semblas avoir mis la main sur une petite pépite que je n’avais pas repérée dans le flot de la RL !

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