Les monades urbaines de Robert Silverberg

les monades urbaines de robert silverberg

« Une radieuse journée de 2381 commence ». Alors que les monades urbaines du monde entier s’éveillent, jetons un œil à la monade numéro 116 qui appartient à la constellation des Chippits, sur l’emplacement des anciennes villes de Chicago et Pittsburgh. Population : 881 115 habitants répartis sur mille étages ; hauteur : trois kilomètres.  La population mondiale est de 75 milliards d’habitants, soit un gain de trois milliards par an.

Dans un très lointain passé, la civilisation s’est effondrée. L’humanité s’est réorganisée autour de gigantesques tours toutes semblables, les monades urbaines. Quelques principes régissent ces nouveaux regroupements d’habitations dont la croissance ordonnée et illimitée de la race humaine, rendue possible grâce à un espace vital restreint, un faible coefficient d’intimité et une quasi abolition de la propriété privée.

Créer une vie est un acte sacré.  Le devoir de chacun envers Dieu est de se reproduire.

Ce que quelqu’un fait, il le fait devant les autres. L’accessibilité totale de tous à tous est la règle essentielle grâce à laquelle une civilisation comme celle-ci peut survivre.

En conséquence, chaque famille s’entasse dans de petits appartements qui ne contiennent aucun mur et aucun objet personnel ou de valeur. Si chacun se marie très tôt, dès l’âge de onze ou douze ans afin de faire le plus d’enfants possibles (une dizaine par couple), la règle est à l’échange sexuel quotidien. Chaque soir, les hommes quittent leur appartement pour une visite nocturne : ils entrent dans l’appartement de leur choix, qu’ils en connaissent ou non les habitants, pour pratiquer l’acte sexuel avec la femme qui s’y trouve (« faire l’amour » serait une expression abusive). La femme ne peut pas se refuser, d’ailleurs aucune ne semble y songer.

De fait, les habitants semblent être en rut perpétuel. Les femmes, malgré leurs nombreuses grossesses sont toujours fines et désirables, et les hommes prêts à les embrocher. Enfin surtout dans les étages supérieurs. Car, même si par principe tous les gens sont égaux dans les monades urbaines, dans la réalité des faits la structure monadiale reflète la hiérarchie sociale : les dirigeants vivent tout en haut, les ouvriers en bas, dans des logements beaucoup moins vastes, aux bras de femmes bien moins aguichantes.

Les monades urbaines est un incontournable dès lors qu’il est question de la ville de demain. Et certainement un des meilleurs romans de Silverberg. Je me demandais s’il supporterait la relecture trente-cinq ans après la première et de fait, il tient encore très bien la route. C’est que Silverberg choisit de nous présenter cette ville du futur à travers certains de ses habitants, pris à différents niveaux, et donc dans différentes classes sociales. Si tous obéissent en théorie aux mêmes codes de conduite, ils vivent différemment les contraintes d’un tel habitat. Mais quels qu’ils soient, s’ils se refusent, contestent ou pètent un câble, ils sont déclarés anomos et grosso modo jetés à la poubelle. Il n’y a pas de place pour les déviants. Certaines scènes sont mémorables.

On ne peut pas dire qu’on s’attache particulièrement aux personnages, bien trop formatés par leur environnement, mais les pistes de réflexions avancées par Silverberg sont riches et intéressantes : l’être humain peut-il finir par s’adapter génétiquement à son nouvel environnement urbain ? Dès lors que les habitants sont heureux, l’organisation des monades porte-t-elle atteinte aux libertés individuelles ? La vie verticale est-elle une solution à la surpopulation ? Le sexe est-il l’opium du peuple le plus efficace (pendant qu’il est occupé à copuler, l’être humain ne réfléchit pas, évidemment) ?

Formés de sept nouvelles dans lesquelles on retrouve les mêmes protagonistes, Les monades urbaines est un roman très cohérent, actuel par ses interrogations, caractéristique de l’intérêt de Silverberg pour la sexualité, l’émancipation et la solitude de l’homme moderne. Il prend à l’évidence le contre-pied du traitement actuel de la surpopulation en en faisant un bienfait (dystopique) pour l’humanité. De même la libération sexuelle (d’actualité au moment de la parution du roman), est loin d’être ici un bienfait puisqu’elle est un moyen pour les dirigeants de contrôler la population. Malin ce Robert…

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Robert Silverberg sur Tête de lecture

 

Les monades urbaines

Robert Silverberg traduit de l’anglais (américain) par Michel Rivelin
Robert Laffont (Pavillons Poche), 2013
ISBN : 978-2-221-18907-8 – 352 pages – 9,50 €

The World Inside, première parution : 1971

 

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27 Comments

  1. Ah oui, très bonne idée de lecture pour ce mois thématique ! Je l’ai lu il y a quelques années mais j’en garde un souvenir assez net. J’avais été marquée par l’absence de positionnement de l’auteur quant à la légitimité morale de cette société qu’il dépeint, en effet liberticide, mais qui finalement fonctionne, et de manière plutôt sereine (quoique qu’on peut aussi s’interroger sur la dimension suspecte de cette sérénité, liée à la quasi disparition des émotions…). Je me souviens m’être dit que la verticalisation des habitats étaient peut-être en effet une piste pour enrayer la bétonisation à outrance (mais ne jamais mettre le pied dehors, quelle horreur !)

    1. Une fois que les individus sont devenus bien obéissants, on peut tout leur faire. Ils sont tellement formatés qu’ils ne s’interrogent plus sur un autre possible ou sur ce qu’ils ne voient pas… c’est triste mais c’est déjà ce qui se passe. On s’affranchit de la souffrance animale parce qu’on ne la voit pas : si les abattoirs étaient sous notre nez, leur cruauté serait dénoncée. C’est le même principe pour les paysans qui nourrissent les monades.

    1. En matière de gouvernement comme en matière d’écologie, entre autres, la science fiction sert souvent de sonnette d’alarme pour les écrivains. Ils sont peu entendus ou s’ils le sont, leurs contributions n’ont que peu d’effet sur la marche du monde…

      1. Hélas non, et quand on voit les foules manifester pour le climat et partir ensuite en avion avec leurs iphones dernier cri, il y a de quoi pleurer.

  2. Je n’ai jamais entendu parler de l’auteur. Quant au côté dystopique pourquoi pas, en fait, je crois que ce qui me rebute un peu mais qui est intéressant dans ce type de roman, c’est que l’on est mis face à nos erreurs et incohérences.

  3. Quelle bonne idée d’avoir mis en avant ce roman. Il semble aborder de nombreux thèmes qui sont toujours d’actualité. Par contre, d’autres questions s’imposent sur le modèle de société présenté. L’adage « faites l’amour, pas la guerre » est largement dévoyé… c’est une chose d’occuper les gens mais pourquoi les inciter à se reproduire massivement alors que la surpopulation pose problème ? Apparemment la liberté sexuelle est ici unilatérale (en faveur des hommes). Pourquoi les femmes ne se rebiffent pas ? Au contraire, elles semblent se plier volontiers au diktat en se rendant attrayantes… j’imagine qu’il faudrait lire le roman pour connaître les réponses.

    1. Je suis contente que cette chronique éveille ta curiosité pour ce roman 😉 Quand une façon de vivre est érigée comme modèle allant de soi, pourquoi contester ? Je fais un parallèle qui me tient à coeur : l’humain mange de la viande, c’est comme ça et très peu remis en cause. dans les sociétés dystopiques, beaucoup d’état de fait font autorité. Et il n’y a pas de problème de surpopulation ici puisqu’il y a les monades pour faire vivre tout le monde. C’est ironique bien sûr mais représentatif de ce que l’on peut accepter comme des évidences, sans se poser de questions (le héros des dystopies est celui qui s’en pose, le grain de sable).

  4. Quel choix de couverture étrange pour ce roman ! Les thèmes me parlent bien ici, mais je garde un souvenir assez déçu du seul Silverberg que j’ai lu (Le château de Lord Valentin) du coup j’hésite à revenir vers lui. Ça remonte ceci dit, il faudrait peut-être que je le retente.

    1. Je ne suis pas fan de la couverture non plus… Il n’y a pas que de bons Silverberg, je le trouve assez inégal, mais celui-ci est vraiment bien, son meilleurs disent certains…

  5. Je ne connais pas cet auteur ; ce n’est pas étonnant, je ne lis pas de science-fiction ou alors très exceptionnellement. Ça doit donner un univers assez froid toutes ces règles immuables ? C’est intéressant de constater que le roman tient encore la route actuellement.

  6. A priori, la SF, ce n’est pas pour moi … Mais la structure m’intéresse, les nouvelles qui finalement forment un seul roman avec les personnages, j’ai déjà lu des textes construits comme cela ( mais lesquels ? ) et cela pourrait bien me convaincre.

  7. je l’ai lu il y a des années et j’avais adoré! évidemment, il ne me reste pas grand chose de cette lecture. Il faudrait peut-être que je le relise. Contente de voir d’ailleurs qu’il « survit » aux années qui passent, ce qui n’est pas toujours évident!

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