Humus de Gaspard Koenig

Humus de Gaspard Koenig

Je souhaite parler du fond de ce roman et ne vois pas comment le faire sans révéler une bonne partie de l’intrigue. Aussi je conseille à tous ceux qui souhaitent le lire de ne pas pousser plus loin la lecture de cette chronique.

L’écologie est à la mode, même en littérature. Voici donc un livre de la rentrée littéraire 2023 avec des vers de terre dedans (un livre tendance, taillé pour le prix Goncourt). Ça tombe bien parce que des vers de terre, j’en veux, je les nourris et les chouchoute pour qu’ils n’aillent pas voir ailleurs. Depuis trois ans, je fais pousser une bonne partie de ce que je mange, aussi naturellement que possible, et si les vers de terre n’en font pas partie (je ne mange pas d’animaux, morts ou vivants, répugnants ou pas), ils sont mes alliés. J’étais donc curieuse de cet Humus de Gaspard Koenig qui au final m’a plutôt déçue : l’auteur philosophe brasse du vent et ne propose rien.

Étudiants à AgroParisTech, Arthur (fils d’avocat) et Kevin (boursier et fils de pauvres) découvrent les lombrics à l’occasion d’une conférence qui n’intéresse personne mais qui les séduit au point que c’est décidé, ils vont faire dans le vers de terre. Diplôme d’ingénieur agronome en poche, ils doivent choisir leur voie. Kevin décide de vendre des lombricoposteurs, objet d’avenir puisque le compostage devient obligatoire (qu’on m’explique comment!). Arthur lui va reprendre la ferme de son grand-père aux terres stérilisées par les intrants.

Le lecteur suit alternativement l’un et l’autre. Parce que le lombricomposteur familial ne prend pas, Kevin s’associe avec une jeune femme qui a des projets à de bien plus vastes échelles : elle veut ouvrir des usines de lombricompostage et cherche des investisseurs jusqu’aux Etats-Unis. Elle a le langage qu’il faut, les bonnes méthodes et les relations, et surtout les dents longues et pas de scrupules. Alors Kevin la laisse faire.

Pendant ce temps Arthur trime sur sa terre avec sa copine Anne, idéaliste un peu neuneu : ils sont les nouveaux ruraux normands, plutôt bien intégrés. Mais Arthur n’obtient pas les résultats voulus, malgré l’apport en vers de terre et la mise en pratique de méthodes naturelles et vertueuses. J’avais beau essayé de le raisonner, il ne m’écoutait pas. Parce que j’en suis à ma troisième année de ce potager-là et ça ne fonctionne pas encore totalement. Pas comme les youtubeurs jardiniers qui ont toujours des tonnes de récoltes… D’ailleurs, je trouve assez étrange qu’un jeune jardinier débutant comme Arthur ne regarde jamais la moindre vidéo pour profiter de l’expérience de certains permaculteurs comme Damien Dekarz ou Rémi Kulik (qui vous explique comment faire vous-mêmes un lombricomposteur), ou de potagistes travaillant sur sol vivant (plein de vers de terre !) comme Olivier Puech. Sans doute ces gens-là n’ont-ils pas fait AgroParisTech, ni l’Académie française, mais leurs jardins sont magnifiques. Pour ma part, ils m’apprennent beaucoup. Si Arthur avait regardé quelques-unes de leurs vidéos, il aurait su que ça ne marche pas comme ça : tu as beau tout faire comme il faut, le premier facteur de réussite, c’est le temps. Le temps de la nature, qui n’est pas celui de l’humain.

Kevin lui incarne tout ce que je déteste, le capitalisme, l’argent facile sur du vent, les relations, l’entre-soi, la certitude de dominer le monde. Il semble naïf et sympathique mais il est surtout faible et opportuniste.

SPOILERS

Au final aucun des deux projets n’aboutira. Alors quoi ? L’auteur, philosophe, a tout lu et cite de nombreux philosophes. C’est important pour un philosophe de faire comprendre qu’il a lu ses semblables. Mais pour un sujet comme celui-là, un peu de Marc André Selosse serait bienvenu. De même Gaspard Koenig ne semble pas connaître les époux Bourguignon, certainement pas assez philosophes à son goût mais pourtant 100 % vers de terre.

Gaspard Koenig énonce arguments et contre arguments, les théories et leurs limites. Et alors ? Faire du pognon avec l’écologie, c’est mal ; se consacrer à la terre pour faire de l’agriculture naturelle, ça ne marche pas. Et alors ? On fait quoi ? On continue comme ça ? Puisque tout est voué à l’échec, il n’y a qu’à ne rien faire. C’est ce que je reproche à ce roman, son pessimisme et son absence d’horizon. On comprend au final pourquoi Arthur échoue alors qu’il adopte le seul comportement vraiment respectueux de la nature. Mais Gaspard Koenig transforme l’échec en délire révolutionnaire qui fait résolument tomber Humus dans la dystopie écologique (un genre en soi désormais) et Arthur dans le ridicule. Mais la thèse de Gaspard Koenig philosophe, qu’elle est-elle ? Que veut-il nous dire ?

Arthur est totalement discrédité par la fin du roman. Celui qui s’en sort, c’est Kevin, le pauvre homme qui s’est fait manipuler par une femme dominatrice et méchante et menteuse et insensible et fille à papa… Gaspard Koenig nous explique que ce Kevin est très intelligent, et pourtant, il ne voit pas que Philippine le manipule. Moi ce Kevin ne me plaît pas. C’est un caméléon qui profite de tout, se fond sans problème dans tous les milieux et n’a de scrupules que très tard. S’il avait une âme (une conscience écologique?) il démontrerait qu’on la perd en faisant de l’argent.

Il paraît que certaines personne souffrent d’éco-anxiété. Si elles mettaient les mains dans la terre pleine de vers de terre, ça irait mieux. Mais en fait de nos jours, tout un chacun se gargarise de sa conscience écologique, fustige les pollueurs et basta. Mais à quoi sert une conscience écologique, c’est ce que je n’ai pas encore compris. A rien, semble-t-il, parce qu’elle ne pousse pas les gens à changer, parce que le changement à opérer est radical et fatigant. Arthur trime pendant des heures, il se salit, se fatigue, et n’obtient pas grand-chose. Le supermarché est toujours plus simple.

Humus est un roman qui brase des concepts, que j’ai parfois trouvé un brin long. La satire fait passer la pilule. Tout le monde en prend pour son grade, c’est drôle et méchant, érudit aussi, mais sans réel point de vue. Parce qu’une fois qu’on a dégommé tout le monde, que reste-t-il, et encore une fois, on fait quoi ? Je reproche à Humus de Gaspard Koenig de brasser du vent, de faire une satire pour amuser la galerie et d’étaler son savoir philosophique. Il fait par exemple allusion (de loin) à Jean-Marc Jancovici. Je ne partage pas toutes ses idées mais il a au moins le mérite de proposer un plan d’action, le shift project, ce que ne fait pas Gaspard Koenig. Critiquer est toujours plus facile que proposer des solutions et surtout, les mettre en oeuvre.

On lira d’autres avis de lectrices, souvent plus positifs que le mien sur Je lis, je blogue, En lisant, en voyageant, Lettres Exprès.

 

Humus

Gaspard Koenig
L’Observatoire, 2023
ISBN : 979-10-329-2782-3 – 379 pages – 22 €

 

Sur le même thème :

41 Comments

  1. Ravie de lire ton avis éclairé!!! Un de mes voisins avait démarré son jardin en permaculture, oui, c’est du boulot, et oui, ce n’est pas la première année que ça ‘donne’ comme on dit par chez nous.
    Sinon, mon joli compost n’a pas attiré grand lombric, mais je ne perds pas espoir.

    1. La deuxième c’est à peine mieux, la troisième certaines choses s’améliorent (pour la première fois des épinards et des artichauts non dévorés par les limaces, des butternuts), j’entame la quatrième (je voudrais des melons, oui, c’est possible en Bretagne !). Dis-le à ton voisin 😉

      1. Mon voisin a vendu maison et jardin. La terre se repose pour l’instant.
        Mes tentatives de jardinage c’est le flop, trop d’escargots. Ou le papy propriétaire avant avait sur utilisé les produits? Pas grave, j’ai de l’arbre fruitier et des arbres ‘inutiles’ qui font le bonheur des merles et mésanges. Mon jardin est dans le top 3 pour abeilles et bourdons. Grâce à mon compost et mon tri, je suis à zéro truc en poubelle depuis début juin.
        Et j’achète aux producteurs locaux.
        Pas parfait, je sais, mais pas si difficile.

      2. Bravo ! Pour les gastéropodes, tente la salade sacrificielle : tu plantes plein de salades autour du légume que tu veux vraiment et il est possible qu’escargots et limaces mangent plutôt les salades. Et si toi aussi tu veux manger de la salade, tente-la en bac surélevé (j’appelle ça un bar à salade, mélange semé à la volée, c’est super) : plus facile ainsi de choper les limaces à la nuit tombée avec ta lampe frontale (parce que oui, on n’échappe pas à la chasse nocturne !).

      3. Faut bien faire vivre les maraichers locaux, remarque. De plus, à la campagne, il existe le troc, un voisin donne des haricots, je lui donne des fruits et du thym.
        Breaking news!!! Que vois-je juste dehors? Un ver de terre? Un pas bien long, j’ignore le nom. Et hop, dans mes bras, heu dans ma main, sur le tas de compost, va te trouver un copain/copine.

  2. Au moins je sais que je ne lirai pas ce livre pour ce qui est du compost j’essaie ça réduit au moins mes poubelles d’autant.

  3. Je ne suis pas sûre que ce soit un grand écrivain Koenig… et c’est un peu comme faire de l’agriculture sans lombrics et petits animaux, un produit pas très réussi. C’est toujours dommage de gâcher un tel sujet (et les gars feraient mieux de faire un lycée agricole que leur chère école !), c ‘est décourageant pour les lecteurs.

    1. Mais écrire un roman n’empêche pas de développer des idées. Il m’a semblé que l’auteur prenait surtout plaisir à démonter plutôt qu’à construire. Et il y a bien des pages qui ont un côté pratique, surtout concernant le jardinage (celui que Kevin visite à la fin ressemble à celui de mes rêves !).

  4. Je dois sans doute mon salut au fait que j’ai abordé ce roman sans attentes particulières et comme une sorte de satire sociale.

  5. Je reviendrai plus tard puisque j’ai l’intention de le lire. Mes attentes ne sont pas très élevées, on verra bien (j’ai pris un café il n’y a pas longtemps face à Gaspard Koenig mais je ne l’ai pas reconnu sur le coup. C’est en allant dans une librairie un peu plus tard et en voyant sa tête sur un programme de salon du livre que j’ai compris que c’était lui).

  6. Là vraiment je passe parce que les histoires de compost et de lombrics m’attirent pas vraiment. J’essaye simplement de vivre en polluant le moins possible.
    Et puis tu ne me sembles pas franchement enthousiasmée par ce roman.

    1. J’imagine bien que le sujet ne passionne pas tout le monde… mais il y a plus que les lombrics et les composteurs en jeu ici… malheureusement, l’auteur ne fait pas grand-chose de ces enjeux…

  7. Bah mince, tu douches un peu mon envie de le lire… d’autant plus que contrairement à la plupart des lecteurs, je suis avide d’en apprendre davantage sur les vers de terre !! Du coup, je n’en fais plus une priorité..

    1. Ah mais d’un point de vue purement éthologique tu en apprendras pas mal à propos des vers de terre : on ne peut pas dire que l’auteur n’ait pas potassé son sujet, il en fait même un peu trop, vu qu’il n’en fait rien…

    1. Ben oui, c’est un livre dans l’air du temps, et je me suis fait avoir, croyant qu’il apportait vraiment quelque chose à la réflexion sur nos changements de comportement, ou peut-être qu’il problématisait ce que nous vivons, mais en fait non, c’est du vent, bien soufflé, agréable à lire par certains aspects, mais du vent quand même.

  8. Un livre qui aurait pu me plaire, mais d’après ce que tu en dis, je peux passer mon tour. L’écologie m’intéresse et je fais également un potager. J’ai d’ailleurs suivi des cours de permaculture cette année. L’an prochain, je changerai un peu ma façon de jardiner…

    1. Oh, mais ça m’intéresse ! Je n’ai pas suivi de cours, juste avalé des vidéos. J’espère m’améliorer encore et encore, grâce à la pratique. J’attends les fruits, fruitiers plantés il y a trois ans, j’ai hâte…

  9. J’aime bien les avis nuancés.^^ Ce ne sont pas trop mes thématiques mais j’avais failli céder aux nombreux avis enthousiastes suite à sa parution (juste il n’était pas dispo à la bibli, longue liste d’attente…). Je le lirai peut-être quand même, par curiosité, mais sans urgence donc.

  10. Et oui, il faut du temps, j’attends moi aussi depuis deux ans que mes fruitiers donnent des fruits et je regarde des vidéos ( à la mesure de mes ambitions, qui sont modestes, vu la taille de mon « carré potager » et l’ exposition de mon terrain qui n’est pas favorable à la pousse de légumes en quantité). Mais pour ce roman, moi, je l’ai apprécié et je n’ai pas trouvé Arthur ridicule, même à la fin. Sa radicalité est peut-être désespérée, et désespérante d’un point de vue politique, mais le personnage n’avait pas d’autres choix, me semble-t-il. Et puis, si ce titre a le Goncourt, ça va peut-être booster l’intérêt pour les lombricomposteurs … Modestement …

    1. Il y a décidément plus de blogueurs littéraires et jardiniers qu’on ne croit 🙂
      Pour Arthur, je le trouve très caricatural. Et si j’essaie de ne pas le trouver ridicule à la fin, alors il ressemble fort à ces éco terroristes qu’il faut mater, petits merdeux de révolutionnaires qui ne veulent plus qu’on touche à la nature et agissent pour ça. Ils ont dépassé le stade « conscience écologique » et en font quelque chose…

  11. Merci pour ce billet passionnant. Le roman m’attirait peu, il me semblait trop tendance. Je te rejoins sur le fait qu’un sujet d’actualité doit servir le propos d’un roman, pas seulement la fiction ou les personnages.

  12. je n’aime pas Keonig. PAs du tout. c’est lapidaire comme commentaire, je sais, mais le bonhomme me déplaît, et ce que tu dis de ce roman correspond tout à fait à l’idée que je me fais de l’auteur. Je passe mon chemin.

  13. Bien apprécié cette chronique (oui, j’ai été plus loin que la phrase qui disait de s’arrêter là!), j’ai souri en assistant à votre « implication » en tant que praticienne potagère ET lectrice. Bien apprécié la « fusion » (braser deux concepts) sans confusion (brasser du vent, un peu plus loin)…
    Je ressors du billet conforté dans l’envie de lire ce bouquin (déjà repéré sur des blogs) pour m’en faire ma propre opinion, merci!
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

    1. J’étais vraiment ravie à l’idée de lire un roman avec des vers de terre dedans, alors ma déception est à la mesure de mes attentes. Mais le roman a en général beaucoup plu, peut-être au non jardiniers…

  14. Ta chronique est très étayée et je comprends tes arguments. Pour ma part j’ai apprécié ce livre dont je n’attendais rien de spécial (j’ai tout de même un bémol sur la fin).
    Billet à suivre, je suis encore très en retard dans la tenue de mon blog (les vacances n’ont rien arrangé).

  15. Je te remercie pour ce billet éclairé. Au moins on sait à quoi s’en tenir. J’aime assez quand les auteurs prennent des risques et assument leur pensée ; même si je n’adhère pas à leur discours, je leur reconnais cette authenticité et ce courage. Je suis moins fan de ceux qui enfoncent des portes ouvertes.

Laisser un commentaire