L’étrange traversée du Saardam de Stuart Turton

L'étrange traversée du Saardam de Stuart Turton

Stuart Turton est un admirateur d’Agatha Christie. Il l’admire tant qu’il a avalé un grand verre d’aventures maritimes et fait un bond dans le passé pour écrire un roman dans l’exacte veine de la reine du crime. Alors, vaut-il mieux lire L’étrange traversée du Saardam ou bien… n’importe quel Hercule Poirot ?

Nous sommes en 1634. Le Saardam s’apprête à quitter Batavia (Jakarta) pour rejoindre les Provinces Unies (les Pays Bas) avec à son bord une cargaison d’épices, mais pas que. Huit mois de voyage… Le gouverneur général Jan Haan est la plus haute autorité à bord. C’est un infâme salaud qui bat sa femme Sarah Wessel, guérisseuse et elle aussi à bord ainsi que leur fille Lia. Enfermé dans les cales se trouve le grand, le très grand Samuel Pipps, prisonnier du gouverneur on ne sait pourquoi. C’est un enquêteur célèbre, un genre de Sherlock Holmes agaçant qui résout un mystère rien qu’en humant la scène de crime. Il est accompagné de son Watson, Arent Hayes, son garde du corps depuis cinq ans et son bras droit. Les enquêtes de Pipps sont publiées dans la presse, Sarah et Lia en sont fans.

Il y a aussi bien sûr à bord un capitaine, un second, des matelots et tout un tas de personnages dont je ne pourrais vous donner les noms puisque j’ai audiolu ce roman. Certains n’ont rien à voir avec l’équipage comme la maîtresse du gouverneur, Cressy, veuve d’un chasseur de démons, ou le religieux fanatique Sander Kers et son assistante Isabel. Mais il y a surtout le fameux Old Tom, un fantôme qui terrorise l’équipage et les passagers. Avant même l’embarquement, la traversée a été maudite par un lépreux qui parlait malgré sa langue coupée. Quand la grand-voile est déployée, elle porte la marque sinistre de ce Old Tom : un œil avec une queue. Exactement la même que celle que porte Arent Hayes au poignet depuis l’enfance.

Mais qu’est-ce qu’un baroudeur comme Hayes a à voir avec le démon Old Tom ? Il se trouve que Hayes est le neveu adoptif du gouverneur général mais que personne à bord ne le sait (vous le savez maintenant). Avant, le gouverneur était gentil, attentionné et aimant. Pourquoi est-il devenu un tel monstre ? Est-il possédé par Old Tom ? Et cette « folie » qu’on a montée à bord en secret, qu’est-ce que c’est ? Un trésor ? Une arme ?

Il y a donc une quantité impressionnante de personnages non liés à l’intrigue et à mon avis, bien trop. Ils ont certes tous leur caractère et permettent d’étendre la toile des soupçons, mais ils allongent inutilement l’intrigue qui est un véritable imbroglio. J’ai écouté ces 600 pages en deux jours (je jardine beaucoup en ce moment) et pourtant, je serais bien incapable de résumer sans hésiter tous les fils de cette histoire alambiquée. En gros oui, mais pas en détail. Je pense donc que l’intrigue aurait gagné à être allégée.

Les personnages aussi. Ils sont très caricaturaux, à l’image du très méchant gouverneur général et de sa très gentille et très intelligente épouse Sarah.

Je me souviens d’ailleurs avoir commencé le précédent roman de Suart Turton, Les sept morts d’Evelyn Hardcastle, et de l’avoir abandonné car d’une séance de lecture à l’autre, je me perdais parmi les trop nombreux personnages. Et je n’aime pas ces romans que les auteurs emberlificotent au maximum pour intriguer le lecteur et faire croire qu’ils maîtrisent une intrigue complexe. Souvent, l’incompréhensible mystère dont on veut connaître la solution débouche sur un pétard mouillé.

Comme beaucoup d’auteurs tonitruants, Stuart Turton nous en met plein la vue avec des fantômes et des malédictions, des meurtres en chambre close et des trésors cachés. Le dénouement a intérêt à être à la hauteur… et en fait non, pas vraiment. Il est assez surprenant mais pas au bon sens du terme ; personnellement il m’a déçue.

Alors bien sûr, les mystères trouvent résolutions (enfin, je crois…), y compris les plus irrationnels. Mais le grand Samuel Pipps finit en pétard mouillé. Ce personnage qu’on voit finalement peu puisqu’il est aux fers était ce qui me semblait le plus original. Stuart Turton parvient à nous faire croire qu’il était bel et bien le héros d’aventures précédentes publiées dans les journaux de l’époque (ce qui est largement anachronique) : un fin limier tenant en haleine un lectorat fidèle. Sa relation avec Hayes (le vrai héros du roman) est aussi bien menée. Mais au final pour pas grand-chose.

Alors bien sûr il y a la mer, l’inévitable tempête et le non moins inévitable naufrage suivi de l’île déserte. Mais le plus intéressant est la micro société qui se crée sur le bateau et ne répond qu’à ses propres codes. Et pas seulement le code de la marine ou celui de l’honneur car il y a à bord un paquet d’hommes sans foi ni loi qui ne pensent qu’à leur profit. A part Arent Hayes, l’homme droit et généreux qui donnerait sa vie pour Pipps et porte un lourd passé… mouais… je n’ai pas été convaincue par cette histoire qui plaira peut-être à ceux qui aiment les histoires (inutilement) alambiquées.

Une escale de plus pour le Book Trip en mer.

 

L’étrange traversée du Saardam

Stuart Turton traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
Sonatine, 2022
ISBN : 978-2-35584-875-9 – 608 pages – 23 €

The Devil and the Dark Water, parution originale : 2020

 

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48 Comments

    1. Figure-toi qu’aujourd’hui même, on m’a prêté La véritable histoire de Moby Dick… c’est pour un podcast, une série « catastrophe » pour laquelle je dois aussi écrire l’histoire du Bugaled Breizh… bref, c’est la pleine mer !

      1. Incroyable (mais non) je viens juste de dévorer La véritable histoire de MD, de Nathaniel Philbrick (le tien, alors?) et franchement j’ai mis 5 étoiles sur goodreads. Oh la la j’espère que tu te régaleras autant que moi!!!

        (on se fait une LC?)

      2. Mon billet est prêt mais avant j’ai d’autres trucs prévus, donc fin avril c’est parfait. On affine

  1. J’ai lu « Nous sommes en 1634. Le Saardam s’apprête à quitter Batavia (Jakarta) pour rejoindre les Provinces Unies (les Pays Bas) » et je me suis dit que c’était un livre pour moi. Et puis j’ai lu le reste de ton billet, et il est clair que je ne vais pas m’embarrasser avec ce livre. Les auteurs à grand succès et moi, ça ne passe pas trop !

  2. Pour qu’un roman historique et policier soit intéressant et se hisse au niveau d’un polar contemporain, il faut au moins qu’il n’y ait pas d’anachronismes… ce qui ne semble pas le cas ici. Et le nombre de personnages me fait fuir aussi !

    1. Si on est conscient du truc (ici par exemple que la presse du 17e siècle ne publiait pas des feuilleton à suspens comme celle du 19e, puisqu’elle n’existait tout simplement quasi pas) le clin d’oeil peut être sympathique. En fait, je ne sais pas vraiment pourquoi l’auteur a choisi le 17e siècle, c’est assez étrange en y réfléchissant…

  3. C’est vrai que c’est truculent, alambiqué, tordu, verbeux, mais quel conteur incroyable ! Ceci dit je ne suis quand même pas parvenue à terminer ce livre.

  4. Je n’ai lu que très peu de romans d’Agatha. Peut-être vaut-il mieux que je continue à la découvrir…

    1. Je ne suis pas contre un roman d’aventure de temps en temps : en repiquant des salades, des petits pois ou en désherbant les fraisiers, c’est vraiment stimulant !

  5. J’ai lu le roman précédent « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle ». Je me souviens effectivement d’une intrique assez alambiquée. Je n’avais pas détesté le roman mais j’avais été un peu déçue car il y avait une grosse agitation médiatique autour.

  6. déjà toute référence à Agatha me fait fuir et ton billet ne donne pas très envie ! c’est le moins que l’on puisse dire.

  7. Je voulais le découvrir en version audio mais vu ton avis, je n’arriverai jamais à me démêler les pinceaux avec tous les personnages. Je resterai donc sur une version classique tout en repoussant la date de lecture parce que je suis d’avance frustrée que la fin ne soit pas plus réussie que cela…

    1. Elle ne m’a pas vraiment convaincue, mais j’ai lu de très bons avis sur Babelio sur le roman en lui-même. En tout cas, si tu lis la version papier, munis-toi d’un papier et d’un crayon pour noter qui fait quoi/qui a fait quoi dans le passé parce que si tu mets plus de deux jours à lire ce roman, c’est un vrai défi de retenir tout !

  8. Comme tu le sais, je n’ai pas vraiment apprécié le seul autre livre que j’ai lu de cet écrivain. Et, le livre avait les mêmes défauts : trop de personnages entre autres.

    Je passerai, donc, mon tour sur ce roman.

  9. J’avais été tentée par Les sept morts d’Evelyn Hardcastle à sa parution parce que ça me faisait justement penser à Agatha Christie, mais d’enthousiastes, les avis ont fini par être plus mitigés, j’ai donc passé mon tour. Je n’avais pas repéré ce titre-ci pour le book trip. Dommage que ce ne soit pas une réussite non plus, ça aurait pu être une idée de lecture plutôt sympathique, mais merci pour cette contribution.:)

    1. Ce n’ai que mon avis. Il y en a de bien plus enthousiastes sur Babelio par exemple. Je soupçonne les premiers (qui ne touchent même pas mot de l’intrigue alambiquée) d’être le fruit de SP…

  10. Je pourrais recopier et signer en mon nom le commentaire de Sunalee !
    Je vais rester plutôt aux côtés du détective belge avec sa moustache soignée 🙂

  11. Ca a en effet l’air bien confus… et guère subtil. J’ai aussi lu pour le Book trip en mer dernièrement, à propos d’un navire qui, à la même époque que celui de ce roman, faisait à l’inverse route vers Batavia… Mon avis très bientôt !

    1. C’est le Biancarelli ? Je l’ai lu, à sa sortie mais pas chroniqué car c’était pour le festival Étonnants Voyageurs et j’ai toujours le nez dans le guidon à ce moment-là. Mais j’en garde un bon souvenir. Il y a une BD aussi sur le même naufrage.

  12. Je n’ai jamais lu Stuart Turton et quelque chose me dit que ce n’est pas avec celui-ci que je vais me lancer. Déjà, le fait que tu parle d’un nombre impressionnant de personnages me refroidi légèrement, je n’ai pas envie de m’emmêler les pinceaux pendant 600 pages. Pour peu qu’ils aient des noms alambiqués en plus, et je serais totalement perdue. 🤭 Dommage que le problème soit aussi présent pour Les sept morts d’Evelyn Hardcastle, car celui-ci me tentait bien pourtant. Je vais prendre le temps d’y réfléchir encore un peu je crois. 😁 Merci Sandrine pour cette chronique, je te souhaite un bon week end !

    1. De son premier roman je n’ai lu que les premiers chapitres, je n’étais peut-être pas assez réceptive. C’est, à mon avis, le genre de livre à ne pas trop saucissonner…

  13. moi aussi j’avais lâché le précédent, Les sept morts de… trop alambiqué et « regardez-moi comme je sais inventer des histoires » . Manque de finesse, trop d’esbroufe. Tant pis.

  14.  « Les sept morts d’Evelyn Hardcastle » m’avait laissée dubitative, comme toi pour ce titre, trop de personnages, trop de tout en fait … Par contre, je note la véritable histoire Moby Dick, qui m’intrigue beaucoup plus.

  15. Alors Moby Dick, la vraie histoire? Tu en es où? En tout cas j’ai un créneau à partir du 27 avril jusqu’au 5 mai. Mais si tu n’es pas OK, après le 10 mai.

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