Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un de Benjamin Stevenson

Un tel titre laisse augurer du meilleur en matière de roman policier. Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un est un roman d’enquête en quasi huis clos centré autour de la famille Cunningham. Ernest, le narrateur en est un des membres, auteur de manuels pour apprendre à écrire des romans policiers. A l’occasion d’une réunion de famille, il se fait détective, car il est impossible de réunir les Cunningham sans qu’au moins un mort s’invite à la fête.

Ce trépidant roman est construit sur des révélations successives. Il est donc difficile de le raconter sans trahir quoi que ce soit. Si vous voulez vous réserver l’entière surprise, ne lisez pas la suite de cette chronique ; si vous voulez savoir pourquoi je sors mitigée de cette lecture, allons-y.

Premier chapitre, trois ans avant la réunion familiale : Michael réveille Ernest en pleine nuit : il vient de percuter quelqu’un en voiture, il a besoin d’aide pour enterrer le corps. Ernest et Michael sont sur le point de creuser quand Ernest se rend compte que le cadavre n’en est pas un un : le type est vivant. Ni une ni deux, Michael l’étrangle et voilà, c’est bien un cadavre.

Tous le reste du roman se déroule dans une station de ski, comme il se doit battue par la tempête et que personne ne peut donc quitter. Michael a le temps d’y arriver, après trois ans de prison. C’est Ernest qui l’y a envoyé en témoignant contre lui au procès. Il s’est mis le reste de la famille à dos. La famille ? Audrey, la mère de Michael et Ernest, épouse en secondes noces de Marcelo, lui-même père de Sofia, chirurgienne. Katherine, tante paternelle et son mari Andrew. Lucy épouse de Michael et Erin, ex-femme d’Ernest qui arrive avec Michael. Ils seront moins nombreux à la fin du séjour.

Mais il y a eu aussi Robert, père de Michael et Ernest qui s’est fait tuer par un flic lors d’un braquage (première version). Ça serait ce flic que Michael a tué (hum, est-ce si sûr?).

A peine arrivé, tout ce monde-là découvre un premier cadavre dans la neige : il semble être mort brûlé vif dans la neige alors que celle-ci n’a pas fondu autour de lui. Un certain agent Crawford arrive sur place, mais comme il ne semble guère efficace, c’est Ernest qui se charge de l’enquête. Et qui ensuite nous la raconte. Et tout l’intérêt réside dans la façon dont il la raconte. Il promet au lecteur qu’il suivra les règles édictées par un certain Ronald Knox (dans le sillage de l’américain Van Dine) pour écrire un policier :

  1. Le criminel doit être quelqu’un mentionné plus tôt dans l’histoire, mais pas quelqu’un dont le lecteur a pu suivre les pensées ;
  2. Le détective ne doit pas utiliser de techniques surnaturelles pour résoudre une affaire ;
  3. L’usage de plus d’un passage secret ne saurait être toléré. Même dans le cas d’un seul passage secret, il faudrait que l’action se passe dans une maison où la présence de ce type de dispositif était prévisible ;
  4. Des poisons inconnus ne peuvent être utilisés, ni aucune machine, de telle sorte que le lecteur ne soit pas embarrassé par une longue explication scientifique en conclusion ;
  5. Aucun Chinois ne doit figurer dans l’histoire ; (règle censurée car datée)
  6. Aucun accident ne doit aider le détective. De même, on ne doit avoir recours à aucune intuition divine inexplicable. Toutes ses intuitions doivent avoir une origine et se confirmer par la suite ;
  7. Le détective ne doit pas commettre lui-même le crime ;
  8. Le détective ne doit pas utiliser des indices qui n’ont pas été présentés au lecteur pour résoudre l’affaire ;
  9. Les observateurs ont le droit de tirer et présenter leurs propres conclusions ;
  10. Il ne doit pas être fait usage de jumeaux et d’habiles déguisements.

Le lecteur doit être capable de résoudre l’énigme lui-même car il a tous les éléments en main. Ce qui se révèle faux puisque ce n’est que très progressivement qu’il est informé des événements du passé absolument indispensables à la compréhension de cet imbroglio. Bien entendu, il est de l’intérêt de Benjamin Stevenson que le lecteur ne devine rien avant la fin.

Au moment de tourner la dernière page, j’espérais encore au moins une révélation, une clef qui me permettrait de prétendre avoir compris cette histoire ultra emberlificotée. J’attendais une mise à plat, une sorte de chronologie depuis le déclenchement et avec tous les protagonistes, mais elle n’est pas venue. Alors certes, par petits morceaux, les épisodes sont explicités mais franchement, les relier les uns aux autres, je ne peux pas. J’ai quand même compris le scénario global, mais certains points restent très flous. Si en commentaire, certains peuvent me dire (rapidement car je pense que d’ici dix jours, j’aurai oublié de nombreux détails) si finalement Holton est un flic véreux ou pas, je leur serai reconnaissante. Et surtout (fermez les yeux ceux qui ne veulent pas en savoir trop!) : pourquoi les McAuley ont fait ça ?

Bref, soit ce roman est trop intelligent pour moi, soit il est trop alambiqué.

Et alambiqué, il l’est, c’est même ce qui fait son charme. Les révélations distillées au compte-gouttes entretiennent efficacement le suspens. On veut par exemple savoir quels crimes ont commis les membres de la famille et pourquoi. Le ton de la narration est aussi original. Ernest crée une complicité avec le lecteur, l’encourage à comprendre, à ouvrir l’oeil, le prévient même des morts à venir et à quelles pages elles se produiront. Certaines affirmations peuvent sembler très sibyllines à première lecture, mais elle prennent quelques pages plus loin tout leur sens.

Avant que je relate ma conversation avec mon frère, il y a plusieurs choses que vous devez savoir au sujet de mon autre frère, le plus jeune. La première est qu’il s’appelle Jeremy. La deuxième, c’est que je ne suis pas sûr à cent pour cent de mon usage des temps dans cette phrase : je pourrais aussi dire qu’il s’appelait Jeremy. Je suppose que les deux sont corrects. Je vous en prie, ne prenez pas mon manque d’aptitude grammaticale pour de la malhonnêteté. La troisième, c’est que quand il est mort, j’étais assis à côté de lui.

Et le jeu fonctionne. Puisque chaque membre de la famille a déjà tué quelqu’un, on attend de savoir qui, pourquoi, comment, quand. Oui mais l’histoire qui compte, la seule vraiment centrale est celle d’Alan Holton et du père de Michael, Ernest et Jeremy. Alors restez vigilants, tout est important, y compris les personnages secondaires : aucun n’est un figurant.

Pour ma part, j’étais attentive, j’ai lu ce roman dans un laps de temps assez restreint et je trouve au final que l’auteur en fait trop. Le plaisir de lecture, bien réel, est en partie gâché par la complexité de l’intrigue. Je n’aime pas ne pas comprendre, surtout quand on m’explique…

 

Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un

Benjamin Stevenson traduit de l’anglais (australien) par Cindy Colin-Kapen
Sonatine, 2023
ISBN : 978-2-38399-075-8 – 442 pages – 24 €

Everyone in My Family Has Killed Someone, parution original : 2022

 

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20 commentaires sur “Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu’un de Benjamin Stevenson

    1. Je pense que l’auteur a voulu écrire un roman policier malin auquel le lecteur peut participer activement, mais il a poussé trop loin le concept jusqu’à rendre la globalité de l’intrigue difficilement compréhensible : c’est dommage…

  1. Le bilan est donc mitigé. C’est dommage car il y a pas mal d’ingrédients (le titre, le huis clos familial, le jeu autour du décalogue de Knox…) qui semblent attrayants.

  2. ça semble bien compliqué ! J’ai lu attentivement les règles utilisées pour écrire un policier, et je suis ravie que les polars que je lis n’aient jamais recours à des artifices tels que des passages secrets ou des jumeaux pour résoudre les enquêtes ! 😉

    1. Il est certain que des facilités comme celles-là sont décevantes, mais l’inverse aussi (trop de complexité), comme l’illustre très bien ce roman.

    1. Peut-être liras-tu d’autres chroniques qui le réinscriront sur ta liste. En tout cas moi, j’ai hâte d’en lire afin de connaître l’avis d’autres lecteurs et de poser des questions aux plus enthousiastes !

  3. Oooh malgré ton avis mitigé, je suis bien tentée tout de même. Au moins je suis prévenue, même si je me suis préservée et que je n’ai lu que le début et la fin de ton billet.

  4. Oh là là, ce n’est pas pour moi du tout en ce moment ; les histoires trop compliquées me lassent vite. Et celle-ci me paraît particulièrement retorse. Ce n’est pas moi qui t’éclairerai sur ce que tu n’as pas compris.

  5. Moi, j’ai lu toute ta note et tu n’en dis pas trop … Par contre, même si le jeu fonctionne, je n’aime pas trop les romans qui jouent avec les règles en en faisant un principe affiché de lecture.

  6. J suis quand même tentée, même si je viens de terminer Huit crimes parfaits, dont la lecture a pâti sans doute d’un grand laps de temps entre les 3 quarts et la fin du roman (au point de ne plus trop savoir qui quoi). mais l’idée de départ était futée et la narration bien fichue. pas parfait, mais bien. Un peu comme celui dont tu parles, quoi.

    1. J’ai lu ce titre rapidement, à l’occasion de deux jours de voyage en train. Mais dès la moitié, j’ai commencé à me dire que l’intrigue était plus alambiquée que prévu mais j’ai eu la flemme de retourner en arrière pour noter les détails. Je lis déjà papier à la main pour le boulot alors j’aime bien aussi lire parfois pour mon plaisir…

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