Par une belle nuit d’octobre, le ciel soudain s’opacifie et les étoiles disparaissent. Trois jeunes adolescents américains, témoins de l’événement vont être les fils conducteurs de ce roman aussi intelligent que passionnant : Jason, héritier super doué du grand et richissime E.D. Lawton, sa sœur jumelle Diane, élevée comme si elle n’existait pas et Tyler, le narrateur discret, fils de la gouvernante qui vit avec sa mère dans la Petite Maison (les jumeaux vivant dans la Grande Maison) et dont la personnalité ne cesse de s’enrichir au fil des pages et du passé peu à peu dévoilé. L’intrigue est simple et compréhensible par tous : les Hypothétiques (autant dire des entités extraterrestres inconnues) ont entouré la Terre d’une membrane qui occulte le ciel, le spin. Pourquoi : mystère… Mais on s’aperçoit très vite que le spin est perméable tout en isolant le globe terrestre du passage du temps : « une seconde terrestre vaut 3,17 années Spin« . Cette membrane agit comme un coffre-fort temporel. Pourquoi ? Jason Lawton va consacrer sa vie à comprendre ce mystère en dirigeant l’agence de recherches spatiales Périhélie. Car le soleil va mourir, l’espèce humaine avec lui et que restera-t-il de nous ?
Et c’est cette quête qui va unifier le livre. D’un côté les recherches de Jason, la terraformation de Mars en quelques années terrestres, puis la venue sur Terre, d’un Martien, c’est-à-dire d’un homme envoyé sur la planète rouge quelques années terrestres plus tôt. De l’autre Jason, le frère de Diane et surtout l’ami de Tyler, qui devient son médecin personnel quand sa santé se met à vaciller et qu’il doit se montrer invincible. Le passé des adolescents, puis des jeunes gens, puis des adultes qu’ils sont devenus est entrecoupé de chapitres intitulés « 4 x 109 ap. J.-C. » dans lesquels bien plus tard, Tyler se trouve avec Diane en Asie, fuyant des poursuivants dont on ignore tout. Mais Wilson amène peu à peu le lecteur à comprendre la situation des deux protagonistes par de subtils flash back d’une épaisseur psychologique et dramatique extrêmement efficace. Diane s’étant tournée vers la religion, ce sont les mouvements apocalyptiques et millénaristes qui sont analysés subtilement, sans dénonciation grandiloquente car l’humain est au cœur de ce roman, l’humain dans toute sa finitude (« Comment construire une vie sous la menace de l’extinction ?« ), ses incertitudes et ses errements, l’humain cependant bourrelé d’espoir malgré toutes ses aberrations (« on ne peut pas assurer à sept milliards d’habitants une prospérité de style nord-américain sans dépouiller la planète de ses ressources« ).
La très grande réussite de ce roman est à mon avis d’avoir su traiter avec le même intérêt, la même tension dramatique la partie scientifique et les destinées d’une poignée d’humains se sachant condamnés. Jusqu’à la fin, les révélations sur le passé des personnages, même secondaires confèrent à l’ensemble une cohérence hyper réaliste et un suspense narratif tout à fait maîtrisé. Le happy end un peu décevant (ayez confiance, il y a toujours quelque part dans le monde une arche pour nous accueillir) est habillement contrebalancé par une constatation amère : où qu’il aille et quoiqu’il ait vécu, l’Homme recommencera éternellement les mêmes erreurs, détruisant son environnement pour le modeler à ses intérêts immédiats. Ajoutons enfin que la plume de Wilson est facile et compréhensible (même à moi qui ai arrêté la physique en 3ème), qu’il écrit bien et est bien traduit, certaines images valant même citation pour le plaisir, et je ne vais pas me gêner : « L’étoile mortelle mère de toute vie était passée dans une sénescence sanglante et nous tuait sans conscience« . Bonne lecture à tous.
Ce roman a obtenu le Prix Hugo 2006 du meilleur roman de science-fiction
Robert Charles Wilson sur Tête de lecture
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Spin (2005), Robert Charles Wilson traduit de l’anglais (canadien) par Gilles Goullet, Denoël (Lunes d’encre), février 2007, 550 pages, 25€