Aqua ™ de Jean-Marc Ligny

Jean-Marc Ligny2030 : l’Afrique est à genoux et l’Amérique s’assèche ; l’Europe est ravagée par les intempéries, les Pays Bas sont noyés. Les quelques riches qui restent vivent dans des enclaves à l’abri des pauvres et de la pollution. Anthony Fuller en fait partie, pdg de multinationales qui engrangent les bénéfices sur la misère du monde. Il n’a pourtant pas tout réussi dans la vie, surtout pas son fils cadet Tony junior, clone raté bouffé par la progeria. Sa femme n’est pas une réussite intellectuelle non plus. Le jour où son satellite Mole-Eye 2AC va repérer une nappe phréatique dans le sol du Burkina, le destin d’Anthony Fuller va basculer. Gros méchant profiteur, il veut s’accaparer cet or bleu et l’exploiter lui-même. Mais le tout petit Burkina a à sa tête une solide présidente qui ne l’entend pas de cette oreille : elle parvient à obtenir l’aide d’une ONG européenne qui lui envoie du matériel de forage.

La traversée du désert ne sera pas de tout repos pour Rudy et Laurie, les deux convoyeurs. Outre les éléments, ils devront affronter la rapacité des uns et la trop grande hospitalité des autres, le manque d’eau, l’état de guerre, les préjugés. Et une fois livré le matériel de forage, le pays devra encore lutter contre les espions lancés par Fuller qui n’entend pas céder aussi rapidement « sa » découverte, même après avoir été débouté par le tribunal international. Heureusement, les Etats-Unis n’ont plus le vent en poupe en ces années 2030, après une guerre inutile et sanglante contre le Mexique ; c’est désormais la Chine, qui pose patiemment ses pions en Afrique, qui mène le jeu.

L’avenir imaginé par Jean-Marc Ligny n’est pas à proprement parlé réjouissant. S’inspirant des prévisions les plus pessimistes, il nous promet quelques décennies calamiteuses : les changements climatiques ont frappé Afrique, USA et Europe au point de désintégrer le tissu social et de livrer chacun à son propre sort. Les gouvernements sont dépassés, les profiteurs installés et seuls les plus forts ou les plus malins survivent. Le Burkina, le plus pauvre parmi les pays les plus pauvres est à l’agonie, mais qui s’en soucie ?

On l’aura compris, Aqua ™ est un roman qui dénonce. C’est aussi un roman à l’intrigue riche et complexe où plusieurs lignes narratives se croisent, comme les destins de ces gens si différents. Là où j’accroche beaucoup moins, c’est dans les descriptions très appuyées des malheurs de la Terre. Les deux cents premières pages sont surchargées de descriptions abominables tant des lieux que des personnages. On comprend très rapidement que cet Anthony Fuller est un vrai salaud, les scènes de maltraitance envers sa bonne sud américaine sont à mon avis de trop. Idem pour les descriptions des camps de réfugiés en Europe et des gens qui meurent dans les villages du Burkina : les mouches, les vautours, les cadavres dans les rues… le trop est tellement dépassé qu’on finirait par rire de la caricature, car au bout de la ènième description, on craque. « …bidonvilles enkystés dans le sable et la poussière ; tentes de bâches et baraques d’agrégats divers érigés en vrac parmi les immondices, habitées par des zombies apathiques, marinant dans une puanteur abominable sous un implacable soleil voilé par les fumées des milliers de feux d’ordures » : on comprend cette pauvreté née de l’injustice contre laquelle Ligny s’insurge, mais il se laisse parfois emporter par le démon de l’hyperbole et de la répétition. Et quand celui-ci rejoint une dose non négligeable de pathos en fin de roman, je suis un peu déçue.

Déçue car ce roman est ambitieux, déçue parce que son style est efficace, et parce qu’il met le doigt là où ça fait mal. Alors j’aurais voulu beaucoup l’aimer pour le soutenir sans réserves.

Malgré tout, ce livre vaut le détour, pour ce qu’il dénonce et pour son ambition. Roman d’anticipation et de malheurs annoncés, Aqua ™ ne peut laisser indifférent tant il est choquant, ne peut être oublié tant il est documenté et pertinent.


Aqua ™, Jean-Marc Ligny, L’Atalante, octobre 2006, 730 pages, 24 €