
Un homme et son fils sur une route. Ils avancent vers le sud en poussant un caddie qui contient toutes leurs richesses, « chacun tout l’univers de l’autre« . Autour d’eux il n’y a plus rien : plus de couleurs, plus d’animaux, plus de végétation, juste « les cendres du monde défunt« . Et plus grand monde.
Pourtant, l’homme et l’enfant sont aux aguets, le revolver toujours à portée de main. C’est que les quelques survivants de ce monde post apocalyptique ne sont pas tous bien intentionnés : souvent organisés en bandes, ils ont choisi de manger leurs semblables pour survivre. Choix ultime, régressif et barbare que l’histoire de l’homme et son fils explicite. Il n’y a plus rien à manger nulle part, les maisons ont toutes été pillées depuis longtemps, rien ne pousse et plus aucune activité industrielle n’a survécu à la mort de la Terre. Que s’est-il passé ?
On ne le saura pas, on ne peut qu’imaginer. Et redessiner de façon assez floue l’histoire de cet homme, à travers quelques souvenirs : une femme, un enfant à naître, une catastrophe… et un seul but : survivre pour son fils. Il est son nord, son sud, son est et son ouest, il est celui qui sait, celui qui doit répondre à toutes les questions (« Est-ce qu’on est les gentils papa ? Est-ce qu’on va mourir ? »). Il veut l’emmener vers le Sud, plus pour avoir un but que par conviction. Car pourquoi continuer à marcher ? Pourquoi continuer à marcher puisque le monde est mort ? Parce que tant qu’on est vivant sur la Terre il faut continuer à vivre. Malgré la violence du monde, ne jamais abandonner. Et parce que tant qu’il y a quelqu’un qui vous aime, il faut vivre.
Le portrait de ce père qui survit pour son fils est absolument grandiose. Il est prêt à tout pour lui, même à le tuer pour qu’il ne se fasse pas bouffer par d’autres hommes. Il est son unique raison de vivre mais aussi peut-être son unique raison de ne pas sombrer lui aussi dans la barbarie. Il incarne l’humanité aimante et souffrante qui boit la coupe d’amertume jusqu’au sacrifice tout en sachant qu’il permet ainsi à son fils de vivre. Les références s’imposent : jamais un père et son fils n’avaient formé un tel tout.
Malgré la violence de certaines idées, l’auteur ne donne jamais dans le sanguinolent : la force de quelques scènes choc (comme la découverte d’un garde-manger humain vivant) réside dans l’évocation de l’horreur plutôt que dans sa représentation. L’écriture de McCarthy est extrêmement sobre, les dialogues rares, la ponctuation quasi absente. S’il n’y a pas d’explications c’est que le lecteur n’a pas besoin de comprendre mais de ressentir. Peu importe ce qui a conduit le monde à la catastrophe, nous n’avons pas affaire à un roman de mise en garde écologique. L’important est de savoir pourquoi survivre dans un monde qui ne veut plus de vous. L’homme n’a plus sa place sur Terre et pourtant il veut continuer à être au monde, par amour. Les hordes de survivants anthropophages veulent vivre elles aussi, par haine du monde qui les a réduites à l’animalité. Alors que Dieu a déserté sa création, alors que l’homme a signé la fin des utopies, ne reste-t-il plus que deux voies : la barbarie ou l’amour ? Autres interrogations : l’homme peut-il supporter d’être le dernier être vivant sur Terre ? Le mérite-t-il ? Pour que les gentils existent, doit-il y avoir des méchants ?
Sur la route il y a la peur, le froid, la faim, la violence, la mort. Et dans le cœur d’un père, il y a l’amour. L’amour qui donne vie et espoir malgré l’imperfection et la fragilité : « Je te demande pardon. Tout mon cœur est à toi. Il l’a toujours été. Tu es le meilleur des garçons. Tu l’as toujours été. Si je ne suis plus ici tu pourras encore me parler. Tu pourras me parler et je te parlerai. Tu verras« .
L’adaptation cinématographique est d’ores et déjà prévue, avec Viggo Mortensen dans le rôle du père.
Cormac McCarthy sur Tête de lecture
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La route (2006), Cormac McCarthy traduit de l’anglais (américain) par François Hirsch, L’Olivier, janvier 2008, 244 pages, 21 €
Quelle superbe chronique ! La meilleure que j’ai lue sur ce livre. Merci Sandrine
Merci. J’ai lu ce livre il y a longtemps, à sasortie (je rapatrie ici des chroniques de mon autre blog), mais il est toujours très présent à mon esprit.