La reine des lectrices d’Alan Bennett

La reine des lectricesA près de quatre-vingts ans, la reine d’Angleterre découvre les joies de la littérature. Sur un ton d’humour discret et d’hommage à la lecture, Alan Bennett nous conte « la longue série de compromis que son engouement pour la lecture allait susciter et dont certains devaient avoir de lourdes conséquences. »

Dans le bibliobus, Sa Majesté fait la connaissance de Norman Seakins, employé aux cuisines royales qui va très rapidement devenir son « tabellion particulier » (il passe donc ses journées à lire pour pouvoir conseiller la reine). Or, il se trouve que ledit Seakins s’intéresse beaucoup (voire uniquement) à la littérature gay. Heureusement pour la reine, il est  littérairement diplomate et elle commence donc en douceur sa carrière de lectrice par Ivy Compton-Burnett (fastidieux à la première lecture), Nancy Mitford (très drôle), Anita Brookner… Mais elle devient rapidement très éclectique et Anthony Trollope succède à Philip Roth (eh oui, même Portnoy et son complexe !), Conrad à Marcel Proust.

La lecture envahissant rapidement l’emploi du temps royal, les remarques ne tardent pas à se faire jour : « Lire, c’est se retirer. Se rendre indisponible. » Mais Sa Majesté voit les choses différemment. La lecture lui permet de se fondre dans l’anonymat des lecteurs mais surtout de découvrir « d’autres vies, d’autres mondes. » Du coup, la voilà qui regrette d’être restée muette en rencontrant T.S. Eliot ou Philip Larkin. Surtout, « pour la première fois de sa vie, elle avait l’impression d’avoir manqué beaucoup de choses », Lauren Bacall, dont elle a lu la biographie, ayant certainement bien mieux profité de la vie qu’elle-même. Déprimée Sa Majesté ? Pas loin : « Elle envisageait à présent avec un certain effroi l’incessante succession des tournées, des voyages officiels et des engagements qui l’attendaient, au cours des années à venir. »

Le lecteur en revanche garde le sourire du début à la fin. Car on s’y retrouve, la royauté en moins. Quel lecteur compulsif n’a pas abandonné ses devoirs pour céder aux charmes d’une bonne intrigue ? Lequel n’a pas bouleversé son emploi du temps pour connaître la fin d’un mystère ? Bon d’accord, le lecteur moyen n’a pas à ouvrir les sessions du Parlement ou à dîner avec le président de la République française (ce dernier bien étonné qu’elle lui demande son avis sur Jean Genet…)… Et voilà que Sa Majesté se met à prendre des notes sur ses lectures (aurait-elle la maladie d’Alzheimer, s’interroge son entourage), à chercher des interlocuteurs pour en parler (difficile, très difficile, elle devrait ouvrir un blog !) et à se méfier des enthousiasmes : « Le bibliothécaire de Windsor était l’une des nombreuses personne a avoir vanté à Sa Majesté les charmes de Jane Austen, mais le fait que tout le monde lui dise qu’elle allait adorer ses livres l’en avait plutôt détourné » (mazette, pareil pour moi !). Et ce qui devait arriver arrive, la reine étant une femme d’action, se met à écrire, d’abord secrètement pour ne pas mettre à mal son entourage, déjà passablement inquiet de ses dernières excentricités.

Révolution au palais aurait pu être le sous-titre de ce roman, tant l’engouement de la reine va bouleverser ce petit monde. Moqueur sans être impertinent, Alan Bennett fait de cette reine de papier une héroïne très attachante, très juvénile dans ses découvertes, à laquelle n’importe quel accro de la lecture pourra s’identifier.

La reine des lectrices

Alan Bennett traduit de l’anglais par Pierre Ménard
Denoël, 2009
ISBN : 978-2-20726012-8 – 173 pages – 12 €

The Uncommon Reader, parution en Grande Bretagne : 2007