Harraga de Boualem Sansal

HarragaLamia, trente-cinq ans, médecin, vit seule à Alger de nos jours. Une petite vie bien réglée, rien qui ne dépasse, mais une révolte intérieure immense contre son pays, les hommes et l’islam. « Le pays manque de tout mais pas de sermonneurs qui s’ignorent, de branleurs qui font suer le monde et de pétochards prompts à se rendre invisibles. […] Un jour, je leur cracherai à la figure ce que je pense de leur absolue perfection. Parce que ça pense croire en Allah, ça se permet tout, insulter, rançonner, jeter des bombes et pis, sermonner du matin au soir, du lundi au vendredi. »
Dans un pays de violence où les femmes sont des choses, Lamia est une voix unique, tout de colère et de sincérité : « Je me suis arrangé un mode de vie qui ne tient ni de l’argent ni de l’encens, pas de religion, pas de bazar, pas d’atermoiements. » C’est dans ses souvenirs qu’elle vit Lamia, ses parents, ses frères, en particulier Sofiane, ce harraga, ce brûleur de route, parti pour le rêve, l’ailleurs, loin du pays, loin d’elle qui n’a pas su le retenir.

Puis un jour arrive Chérifa, dix-sept ans, enceinte, insouciante Lolita et ouragan domestique. Elle s’installe, envahit le quotidien de Lamia, qui n’entend pas se laisser faire. La recluse et l’électron libre vont se trouver, sans pour autant se le dire. Et un jour Chérifa s’en va, avec son gros ventre et ses talons hauts, et la solitude de Lamia se transforme en vide.

Difficile lecture, très difficile lecture dont je ne suis venue à bout qu’en passant en mode accéléré à la fin. J’ai trouvé le monologue de cette femme extrêmement long, ses digressions n’en finissent pas et je ne parviens pas à m’intéresser à son sort. Bien sûr, la voix de cette femme est terrible, elle dit le sort atroce de ces femmes en pays islamiques qui ne sont rien, des victimes de Dieu et surtout des hommes. Elles sont à la merci de leur sauvagerie, et les sanctions les plus atroces sont possibles : flagellation, lapidation, mise aux fers, crémation, écartèlement, ébouillantement, plomb fondu… Elles ne peuvent que se soumettre ou se révolter. Lamia choisit la révolte en ne se mariant pas, la méthode douce… Mais Chérifa prend une autre voie, interdite, celle de la liberté. Elle vole d’homme en homme, mais il n’y a pas de place pour elle dans le ciel d’Algérie. Elle doit se faire harraga elle aussi, pour échapper à la haine.

Le plus étonnant à mes yeux est que ce soit un homme qui ait écrit ce texte. Quelle force et quel amour Boualem Sansal porte-t-il en lui pour donner autant de puissance à cette voix féminine, je ne sais, mais c’est très troublant et sincère. Bien entendu, ses livres sont interdits en Algérie où il vit cependant. Il n’a pas pris la route comme ses personnages, car pour parler de son pays, il estime qu’il doit y vivre et non le fuir.

Beaucoup de bonnes raisons donc pour lire Harraga qui malgré tout m’a paru vraiment très long et beaucoup trop loin de moi pour me toucher profondément. Pourtant, la fin est vraiment très belle et je ne regrette pas ma lecture.

Harraga

Boualem Sansal
Gallimard, Folio n°4498, 2005
ISBN : 978-2-07-034329-316 pages – 7 euros