Attention, livre formidable et indispensable, comme l’indique le petit logo ci-contre. Malheureusement, je ne vais pas pouvoir en dire autant que je le souhaiterais puisque Du bout des doigts est construit sur une série de révélations dont la première, page 236 m’a tout bonnement laissée sans voix, estomaquée. Oui, et ce n’était que la première, ce livre est d’une construction très subtile, diaboliquement maîtrisée, exactement comme je les aime.
Voici donc le début de cette sombre histoire. 1862. Tout commence avec l’histoire a priori banale d’une jeune fille, Sue Trinder, seize ans, qui a grandi dans les bas quartiers de Londres chez une placeuse d’enfants et un receleur. Mais pas de misère cependant, le vol rapporte plutôt bien, et Sue est aimée de sa mère adoptive, Mrs. Sucksby. Compte tenu de son milieu social, elle est même plutôt préservée. Arrive un jour un aigrefin de leur connaissance, Gentleman, qui lui propose un marché : il connaît une riche héritière qui vit quasi cloîtrée avec son oncle et qui le jour de son mariage héritera d’une fortune considérable. Gentelman compte bien devenir son mari et Sue doit entrer à son service comme femme de chambre pour lui préparer la voie et le faire entrer dans ses bonnes grâces, voire même, dans son coeur. Une fois le mariage contracté, Gentleman et Sue feront enfermer l’héritière, Maud Lilly, dans une maison de fous.
Et voilà notre Sue quittant la grouillante capitale pour Briar, morne demeure dont le propriétaire, Mr. Lilly, reste enfermé dans sa bibliothèque. Sue s’ennuie ferme, ne perdant cependant pas de vue le plan qui fera sa fortune. Les deux jeunes filles se découvrent et s’apprécient, plus qu’elles ne devraient pour la réussite du plan, mais Sue garde la tête froide.
L’adaptation de ce roman par Park Chan-wook
Je me retiens pour ne pas en dire plus. Je ne veux pas gâcher la lecture et pourtant, je sais qu’il faudrait aller plus loin pour vraiment donner envie de lire ce livre. Toute l’intrigue repose sur des non-dits, des complots et des passions refoulées. Malgré son style tout à fait victorien, dans la droite ligne de Dickens, il cache une intrigue des plus glauques, absolument machiavélique et époustouflante, parfois indécente pour l’époque, que le lecteur ébloui suit avec délectation tant elle est imparable. Tout est basé sur le secret, sur ce que le lecteur ne sait pas et qui ne lui est révélé que petit à petit.
Je me permets de dévoiler que c’est Maud Lilly la narratrice de la seconde partie, avant de revenir à Sue dans une troisième. Et chacune de ces jeunes filles est vraiment magistralement campée.
Le lecteur de Du bout des doigts les suit, apprend à les connaître, à comprendre leurs motivations, leurs sentiments, quand tout à coup : patatra ! Elles ne sont pas ce que l’on croit. Personnellement, j’adore ! Les deux jeunes filles sont aussi réussies l’une que l’autre et les personnages secondaires sont parfaits, aussi crédibles que si l’on se promenait dans l’Angleterre du XIXe siècle.
Et malgré plus de sept cents pages, aucune longueur, aucun temps mort pour me faire arrêter ma lecture de Du bout des doigts, au contraire, c’est mon sommeil qui en a pâti. Dès les premières pages, j’ai su que ce roman me plairait et l’écriture de Sarah Waters ne tarit jamais. Il s’inscrit dans la lignée des romans populaires du XIXè siècle tout en intégrant des éléments qu’il aurait été impensable d’y trouver sous peine de choquer les bonnes mœurs.
Du bout des doigts est donc un grand bonheur de lecture que je voudrais faire partager parce que c’est du pur romanesque. Mais pourquoi ai-je attendu si longtemps pour lire Sarah Waters…
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Du bout des doigts
Sarah Waters traduite de l’anglais par Erika Abrams
Denoël (Denoël & d’Ailleurs), 2003
ISBN : 2207253597 – 752 pages – 26,90 €
Fingersmith, parution en Grande Bretagne : 2002