Darling Jim de Christian Mork

Darling Jim de Christian MorkUn auteur américain d’origine danoise pour une intrigue irlandaise qui touche à l’enquête, au thriller et au suspense psychologique. D’emblée, c’est dense, fort et très noir.
Tout commence à Malahide, banlieue de Dublin, lorsqu’un facteur trouve le corps d’une femme assassinée chez elle, probablement par une des filles qu’on retrouve ensuite à l’étage, mortes de faim, de coups et de privations… Le quartier est en ébullition, personne ne comprend rien à ces morts. Le jeune Niall, dessinateur et employé des postes en perpétuel conflit de création, ne tarde pas à découvrir le journal d’une des jeunes filles décédée, Fiona Walsh (il entrera plus tard en possession de celui de sa soeur qui complétera l’histoire) : c’est donc l’histoire des trois soeurs Walsh et de leur tante Moira, leur bourreau, qui forme l’intrigue principale et captivante de ce roman.

Elles vivent de nos jours dans un trou perdu du comté de Cork. Les jours maussades des habitants de Castlebownbere sont tout à coup illuminés par la venue d’un seanchai (un conteur itinérant), Jim Quick, qui envoûte littéralement la population de son verbe et de son charme. En un sourire, à peine un regard, les habitantes sont envoûtées, de la plus jeune des pucelles à la plus vieille des bigotes. Et s’il n’y avait que les femmes… Mais les hommes non plus ne lui résistent pas, tous suspendus à ses lèvres quand il raconte, de pub en pub, la sombre histoire du prince Euan qui fut changé en loup pour avoir tué son frère et usurpé son trône. Jim est si fascinant que personne ne souhaite faire le lien entre son arrivée et les meurtres qui s’accumulent dans la région. Et pourtant, « vous devez comprendre que ces conteurs vous dévoilent tout, sauf ce qu’ils dissimulent en eux. Ils gagnent votre confiance et vous donnent l’impression que chaque histoire est inventée pour vous, et vous seule. Vous ne devez pas les croire. »
Fiona ne s’est pas méfiée, trop fière d’être l’objet de l’attention de cet homme tant convoité. Une nuit inoubliable, et c’est l’amour fou. Mais elle le surprend une nuit lors d’un cambriolage et comprend dès lors quel genre d’homme il est. Elle va même trouver des preuves de sa culpabilité, mais personne ne souhaite l’écouter. Encore moins sa tante Moira, à ce point envoûtée par Jim qu’elle le laisse s’installer chez elle et accepte même de l’épouser.

Ce livre commençant par la fin de l’histoire, on pourrait croire qu’on ne pourra pas être surpris. Oui, deux au moins des soeurs Walsh vont mourir, séquestrées par leur tante, morte elle aussi. Et pourtant, quelle histoire ! Loin des clichés irlandais venteux et arriérés, le lecteur prend pied dans un pays moderne avec des jeunes femmes aux caractères originaux et très tranchés (« la gothique fondue de radio…, la jumelle insaisissable…, l’aînée protectrice… »). Elles écrivent leur histoire avec la certitude inexorable de la mort toute proche, aussi captivante et implacable que Jim racontant le destin de l’homme loup dominé par ses instincts. Le lecteur est rapidement emporté par ce récit, il s’interroge, cherchant à comprendre pourquoi, comment ces femmes sont mortes, pourquoi cette tante qui a amoureusement élevé ses nièces en est venue à les faire mourir à petit feu.

C’est absolument implacable, sordide, tout en échappant au gore et à la psychologie de supermarché. Une histoire de passion et de violence avec des personnages d’une grande envergure et un sens du suspens irrésistible. On tourne les pages, on veut savoir, on ronge son frein quand le jeune Niall, après avoir fini le premier journal, part sans un sou à la recherche de la vérité à Castlebownbere. L’histoire de Niall, le journal de Fiona puis celui de Roisin, le mélange d’Irlande moderne et de conte celtique confèrent à ce roman un rythme et un charme qui ne faiblissent jamais. Le conteur à la beauté malfaisante, la tante diabolique, les soeurs si dynamiques : tous les personnages sont convaincants, vivants, qu’on les aime ou pas, ils sont présents au côté du lecteur qui veut savoir quelle folie les a saisis.

Ce roman initie une collection de romans noirs au Serpent à plumes : espérons qu’ils seront tous aussi bons.

 

Darling Jim

Christian Mork traduit de l’américain par Agnès Jaubert
Le Serpent à plumes (Roman noir), 2009
ISBN : 978-2-268-06801-5 – 382 pages – 20 €

Darling Jim, parution aux Etats Unis : 2007