L’histoire de ce sombre roman vous est certainement déjà connue : Jean Teulé ayant le sens de la promotion, je l’ai moi-même déjà entendu plusieurs fois la raconter, et il sait être convaincant. Je me suis donc plongée dans ce livre, qu’on qualifierait de morbide, incroyable, dément s’il ne racontait des faits réels. Malheureusement, la folie des hommes n’a pas de limites, même pas celles de l’imagination.
Par un beau jour d’août 1870, Alain de Moneys se rend à la foire d’Hautefaye, Périgord. Fraîchement élu adjoint de la municipalité voisine, cet homme est un don de Dieu pour ses contemporains et voisins. D’ailleurs, il se rend à la foire en partie pour offrir une génisse à son indigente voisine et pour faire remonter le toit de son voisin brûlé par la foudre. Tout le monde l’apprécie, en chemin chacun le salue : « une bien belle journée » qui commence… Mais à la suite d’un malentendu, on croit qu’il a crié « A bas la France ! ». En cette période de guerre franco prussienne, c’est un crime, et le destin fatal se met en route. De Moneys a beau répéter qu’il s’est engagé, qu’il part défendre le pays dans trois jours alors même qu’il aurait dû être réformé, rien n’y fait. Ils sont cinq à garder la tête froide, cinq à le défendre tout au long de son chemin de croix, à tenter de le sauver, de l’arracher aux bras de la foule. Mais en ce jour de foire, c’est plus de six cents personnes qui se trouvent présentes à Hautefaye, toutes saisies de folie, de haine ou d’indifférence. Et Alain de Moneys, pourtant si faible de constitution, supportera pendant deux heures, les coups et les souffrances que ses voisins inventeront pour lui : ferré, énucléé, écartelé à force d’homme, brûlé vif et même mangé…
Cette histoire est absolument atroce et Jean Teulé n’épargne aucun détail. Son goût du macabre trouve là un sujet en or qu’il traite, non pas avec sobriété, c’eut été impossible, mais avec une minutie et une intensité tragiques qui laissent pourtant parfois place à un certain humour. Je craignais les pointes d’humour macabre ou les envolées vulgaires qu’il goûte malheureusement parfois. Mais non, l’histoire romancée, s’en tient aux faits. Pas de psychologie non plus, de théorie des masses pour expliquer la folie collective, mais en fin de roman, le défilé des bourreaux qui ne peuvent expliquer leurs gestes, anéantis comme au sortir d’un cauchemar. Bien sûr, le thème de la victime expiatoire affleure car en ces temps de guerre et de famine, la foule a besoin de trouver un responsable. C’est le Prussien ou celui que leur aveuglement veut prendre pour tel.
Je n’aurai pas le cynisme de dire qu’on passe un bon moment en lisant ce livre. Mais j’ai apprécié la façon dont Jean Teulé présente cette histoire et envié son travail de recherches qui a dû être passionnant. C’est à ce jour le livre de cet auteur que je préfère.
Jean Teulé sur Tête de lecture
Mangez-le si vous voulez
Jean Teulé
Julliard, 2009
ISBN : 978-2-260-01772-1 – 129 pages – 17 €