En matière de séries, je suis amatrice d’étrange et de bizarre, c’est incontestable. Mais alors là, je suis quasiment sans mot… C’est le genre de séries que je regarde en me disant que je passe à côté de plein de choses, que je ne comprends pas tout et que c’est intelligent : très frustrant ! Alors vous confier mon sentiment relève du défi ; commençons par planter le décor.
Je n’ai jamais vu de film de Lars von Trier, ce qui explique sans doute mon total étonnement dès les premières minutes. L’image, de couleur sépia, est très granuleuse, absolument pas lisse et léchée comme les séries auxquelles nous sommes habitués. Ensuite, la caméra bouge tout le temps. Par exemple, quand les personnages sont en réunion, il n’y a pas de champ contre champ pour passer d’un interlocuteur à l’autre : la caméra les balaye tous rapidement pour s’arrêter sur chacun. Et surtout, ce qui m’a le plus troublée je pense : il n’y a pas de musique. C’est très perturbant, pas de violons allant crescendo pour vous prévenir que là, attention, il va se passer un truc atroce… Ceci posé, voici « l’histoire » :
L’hôpital de Copenhague a été construit sur d’anciens marécages. Une victoire de la science et du rationalisme sur l’occulte et le mystère… Enfin jusqu’à ce que certaines manifestations étranges remettent en cause ce postulat rassurant. Le personnel soignant de cet hôpital s’avère d’ailleurs des plus étranges… ils sont tous cinglés, mais pas du genre à se promener avec une passoire sur la tête, non, plutôt du genre « Twin Peaks », même si leur folie est encore plus dangereuse car pas immédiatement discernable. Le professeur Moesgaard (Holger Juul Hansen) est le chef du service de neurochirurgie (où se passe toute la série) : je ne souhaite à personne de tomber sur un type pareil, un incompétent, totalement idiot et à côté de la plaque.
Son principal collègue est le docteur Helmer (Ernst-Hugo Järegard, ci contre, oui, il est bien en train d’inspecter le contenu de ses WC !), un Suédois arrivé il y a peu. Il hait les Danois et le reste de l’humanité également. Il est prétentieux, infect, sûr de lui. Pourtant, on l’accuse d’erreur médicale sur la personne de la jeune Mona devenue un légume depuis qu’il l’a opérée. S’il arrive à récupérer le rapport d’anesthésie qui risque de le mettre en cause, il sauve son poste. Mais Hook (Soren Pilmark), un interne, entend bien mettre la main dessus avant lui. Hook est le seul gars qui a l’air à peu près normal dans cette histoire, mais ça ne durera pas, je vous rassure… Il est amoureux de Judith (Birgitte Raaberg), qui se révèle enceinte d’un homme qui a disparu. Il y a aussi Mogge (Peter Mygind), étudiant et fils du chef de service, qui en pince pour une infirmière qui le repousse. Pour lui prouver son intérêt pour elle, il lui offre une tête récupérée sur un cadavre qui lui ressemble étrangement (eh oui, l’humour de carabin…). Le professeur Bondo (Baard Mowe) lui travaille depuis dix ans sur les sarcomes du foie, alors quand enfin un mourant arrive à l’hôpital avec un superbe cancer du foie, il demande à la famille de le récupérer. Devant leur refus, il décide de se le faire greffer pour qu’il devienne sien (là ça n’est plus de l’humour du tout…). Il y a encore beaucoup d’autres personnages parmi le personnel soignant qui vaudraient présentation, mais ce billet serait trop long. Il me reste donc à vous présenter madame Drusse, celle par qui tout arrive. Elle veut absolument être hospitalisée, par tous les moyens, parce qu’elle entend la voix d’une petite fille qui pleure dans l’ascenseur et elle veut savoir qui elle est. Elle va découvrir avec l’aide de son fils, Bulder (Jen Okking), une bonne pate de brancardier, que c’est le fantôme de Mary, fillette morte en 1919 à l’hôpital, officiellement de la tuberculose, mais plus probablement tuée par son père médecin. D’ailleurs, son père ressemble étrangement au père du bébé que porte Judith… Enfin, un bébé… c’est une façon de parler…
Alors pourquoi tout ça est-il si étrange et inquiétant ? Eh bien parce que ces médecins n’agissent pas comme des médecins. Ils se réunissent par exemple dans une Loge aux rituels tout à fait ridicules. Les étudiants organisent des courses de vitesse où il s’agit de parier sur la rapidité du conducteur qui doit remonter l’autoroute à l’envers. Et puis il y a ces deux jeunes trisomiques qui travaillent à la plonge : ils reviennent régulièrement, commentent la déchéance de l’hôpital, ont l’air d’en savoir beaucoup plus que les autres, et je vous jure qu’ils fichent la trouille… Ils contribuent à l’ambiance résolument inquiétante qui rôde dans cet hôpital et qui caractérise cette série.
Car la peur s’installe plus subrepticement que par des scènes vraiment horribles, même s’il y en a quelques unes, notamment, celles proprement médicales (j’ai eu beaucoup de mal avec l’opération du cerveau à coups de perceuse et avec l’exposition d’organes et les différentes opérations et raccomodages filmés en gros plans). En gros, la série est à déconseiller absolument à toutes femmes enceintes (j’ai mis un bout de temps à pouvoir regarder le fruit des entrailles de Judith) et à tous ceux qui ont un problème avec la dévoration et l’hémorragie interne à tendance démoniaque…
Il est difficile d’en dire vraiment beaucoup plus car cette série ne compte que huit épisodes d’un peu plus d’une heure chacun. A la fin de chaque épisode, apparait Lars von Trier, tout sourire, qui espère que nous avons passé une bonne soirée, alignant quelques phrases qui rendent encore plus obscur ce que l’on vient de voir, puis nous invitant à prendre le Bien avec le Mal.
Alors nul doute qu’il y a une bonne dose de satire du monde hospitalier dont tous les membres, jusqu’au directeur sont absolument inconséquents, carriéristes, cyniques. Mais tous ces personnages ne sont pourtant nullement caricaturaux, ils sont finement présentés et analysés dans l’extrême de leurs ambiguïtés. Certains que l’on croyait sympathiques se révèlent abominables, d’autres totalement incapables de gérer des situations de crise. Alors quand le surnaturel surgit, la peur et l’intérêt s’emparent de chacun pour plonger cet hôpital dans l’horreur et le ridicule. Car j’ai quand même oublié de vous préciser que certaines scènes sont drôles apportant un contraste salvateur avec ce qui se joue dans l’obscurité.
Il est certain que cette série ne peut pas plaire au plus grand nombre tant c’est particulier. Il faut déjà supporter les scènes d’horreur (même si certaines sont drôles, la série tournant de plus en plus au grand guignol au fur et à mesure des épisodes) et avoir envie de tenter une expérience cinématographique, car cette série en est vraiment une. C’est étrange, malveillant, inquiétant, déstabilisant…
Cette série existe en DVD, huit épisodes d’environ une heure et quart chacun, diffusés entre 1994 et 1997 au Danemark. Seule la version originale sous-titrée en français est disponible.