Christian Perrissin nous emmène à Rocmirail dans le Rouergue à la fin du XVIe siècle. Depuis 1460, le château est partagé en deux : le Castel Biel aux Mirail qui ont rejoint la Réforme, le Castel Djoubé aux Dalmayrac, restés catholiques. A treize ans, Luce de Dalmayrac est mariée à Abélard de Mirail, fils aîné de Symphorien : « par cette union, les Mirail s’approprient Castel Djoubé et redeviennent seuls maîtres à Rocmirail. » Mais sept ans plus tard surgit Galéon, le frère de Luce, qui revendique le château. Il affronte Abélard en duel : tous deux meurent et les Mirail restent sans héritier. Luce refuse d’assister aux funérailles de son mari tandis que le corps de son frère est offert aux corbeaux. Ses beaux-parents la condamnent alors à une stricte réclusion dans sa chambre. Puis arrive Thomas, deuxième fils des Mirail et désormais héritier…
J’ai d’abord été attirée par le dessin magnifiquement sombre de Christian Perrissin, jusqu’alors exclusivement scénariste (Martha Jane Cannary). Avec son crayon gras, il transmet parfaitement l’austérité de l’époque et fait peser sur les personnages les ombres de la rancune et de la souffrance.
Le sujet ensuite m’a semblé très original en bande dessinée : les Guerres de religions sont une période sombre, cruelle et agitée qui ensanglanta le royaume de France et divisa les familles. Mais on comprend ici que la question religieuse est un prétexte pour les Mirail qui veulent surtout reprendre leur château et sont prêts pour ça à tous les massacres.
Face à l’injustice de ses beaux-parents, Luce résiste « tout comme Antigone osa, en son temps, défier le roi Créon. » L’histoire de Luce est tirée du manuscrit fictif d’un certain Huret, archéologue amateur du XIXe siècle ce qui nous vaut de très belles planches du château et un regard extérieur qui sait tirer tout le tragique de cette histoire en gardant une distance d’historien, c’est-à-dire sans fioritures ni pathos. Le récit de Huret donne également à l’histoire de Luce une évidente impression de vécu alors qu’elle est totalement imaginée.
Nichée au coeur du Rouergue, cette tragédie ne connaît pas le sang et la fureur de la capitale et s’inscrit dans un rythme lent qui pourra dérouter.
Au final, c’est une bande dessinée vraiment dure qui fait très bien revivre l’austérité de l’époque tout en utilisant au mieux un mythe antique.
Christian Perrissin sur Tête de lecture
La colline aux mille croix
Christian Perrissin, avec Déborah Renault
Futuropolis, 2009
ISBN : 978-2-7548-0215-4 – 63 pages – 15 €