Avant même le début de son roman, Gabrielle Wittkop annonce la couleur : « pour la ville des miroirs, une écriture comme faite de miroirs brisés dont chaque fragment offre un nouveau regard sur l’écorce des choses. Cette écorce recèle un noyau, elle est le véhicule qui mène jusqu’à lui, puisque seule la perception permet la compréhension et Condillac eut bien raison de le dire. » Et d’évoquer la peinture de La Tour, Vermeer, Goya ou Tiepolo. Autant dire que pour la plongée dans la Venise du XVIIIe siècle, je m’attendais à une construction savante jonchée de références picturales et intellectuelles. Et j’ai été déçue, cette histoire-là est beaucoup moins brillante que ce que je croyais, bien qu’il soit fort possible que je sois passée à côté de quelque chose…
Malgré un superbe titre, l’intrigue est maigrissime : Alvise Lanzi a enterré quatre femmes en trente ans, toutes mortes dans de longues souffrances qui n’ont pas l’air naturelles. Y a-t-il eu meurtres ? Pas d’enquêtes, juste la description de ces femmes, comme autant de pantins et à la fin, la révélation. Une description de Venise telle qu’on se l’imagine : les moeurs légères, voire dépravées, les fêtes, les tractations…
Un maquereau vit d’une nonne professe de soixante-dix-sept ans. Un prêtre badine à la fenêtre avec une catin qui lui donne de grands coups d’éventail sur le nez. Les pauvres trafiquent de leurs enfants en bas âge, par contrat libellé devant notaire. Si l’on ne joue pas sa propre défroque, quitte à rentrer nu, on peut toujours jouer sa femme. Les dossiers de l’Inquisition regorgent d’avertissements et de recommandations pour « débordements juvéniles, violences, séductions, commerces scandaleux, offenses conjugales, dissipations insensées… ». Les denrées sont hors de prix, la misère est extrême.
Gabrielle Wittkop affirme que ses personnages ne sont que des marionnettes, et c’est un fait : ils apparaissent et disparaissent comme sur une scène et sans que le lecteur ne comprenne leur rôle dans cette histoire puisque tout est dans la scène finale, venue tout expliquer. Sauf que cette histoire ne revêt que peu d’intérêt, tous ces gens évoluant trop superficiellement pour que l’on ait envie de savoir vraiment ce qui les motive. Loin dans le temps et dans l’espace, loin sur une scène de théâtre dont ils ignorent le public, masqués ils évoluent, obscurs ils demeurent. Et étrangers aux passions qu’ils sont censés incarner alors qu’une telle époque devrait donner lieu, selon moi, à un bouillonnement de sentiments, de conflits et de vie.
Sérénissime assassinat
Gabrielle Wittkop
Verticales, 2001
ISBN :2-84235- 020-4 – 121 pages – 11,50 €