Sanctuaire de William Faulkner

Sanctuaire faulknerSanctuaire est le livre qui permit à William Faulkner de connaître son premier succès littéraire. Il faut croire que l’Amérique avait besoin d’un texte fort, puisque l’écrivain dira de ce livre : « J’ai songé à ce que je pouvais imaginer de plus horrible et je l’ai mis sur le papier. » Et l’horreur est bien présente, tant dans les actes que dans les comportements.

Temple Drake est une jeune fille de bonne famille, un peu allumeuse, qui s’offre une virée avec un chevalier servant bien mal choisi. Après un début bien imbibé, ils échouent dans une ferme désolée suite à un accident de voiture. C’est là qu’ils rencontrent une femme et son bébé moribond, et plusieurs hommes qui boivent, fument et reluquent Temple sous tous les angles. Sans que le lecteur sache bien ce qui se passe, Temple finit par partir avec un certain Popeye, qui semble l’avoir violée, laissant derrière eux un cadavre. C’est Godwin, un Noir, qui est accusé du meurtre et emprisonné, tandis que Temple est placée dans un bordel par Popeye.

C’est un bien triste portrait de l’humanité, et des États-Unis que nous offre Faulkner. Hommes et femmes sont alcooliques, violents, pervers, impuissants, idiots… Pas un ne trouve grâce aux yeux du lecteur, pas même la victime. Ce n’est donc pas dans l’empathie avec les personnages que le lecteur trouvera une aide à la lecture de ce roman difficile aussi par son style et sa construction. Faulkner pratique l’ellipse narrative, procédé qui laisse le lecteur face à des événements qu’il ne peut comprendre. Il faut deviner, extrapoler pour comprendre le sort de Temple. En cela, cette lecture m’a beaucoup rappelé Le grand sommeil, film de Howard Hawks scénarisé par Faulkner d’après le roman de Chandler  dont le moins qu’on puisse dire est qu’il comporte des blancs…

Quant à l’écriture de Faulkner, elle est aussi sèche que le fameux comté de Yoknapatawpha. Très descriptive, elle peut énoncer par le menu une suite d’actes insignifiants méticuleusement rapportés, en mêlant au récit le flot de pensées d’un personnage, ce qui ne facilite pas la lecture. Lire Faulkner n’est ni facile, ni de tout repos.

« Elle couvrit le verre avec la soucoupe et le dissimula soigneusement. Puis elle fouilla dans le coin parmi l’amas de vêtements et en retira une robe de bal qu’elle secoua et raccrocha dans la penderie. Pendant un instant, elle regarda les autres objets, puis revint vers le lit, se recoucha. Presque aussitôt, elle se releva, attira la chaise, s’assit, les pieds sur le lit défait. Et, tandis que la lumière du jour mourait lentement dans la chambre, elle demeura assise, à fumer cigarette sur cigarette, épiant les moindres bruits de l’escalier.« 

Et lire Sanctuaire, c’est plonger dans le désespoir et la misère de l’Amérique de la Grande dépression, de la Prohibition et de la Ségrégation. Une époque difficile et désespérée qui donna au pays ses plus beaux livres. A Faulkner pourtant je préfère le Steinbeck des Raisins de la colère pour l’envergure des personnages et la force romanesque. Les personnages éthiques de Faulkner, aussi tragiques soient-ils, sont soumis, écrasés et sans révolte à l’image du bébé moribond de ce roman. Ils viennent au monde sans avenir, sans espoir, objets du vieux Sud primitif qui n’a à leur offrir que la misère et l’alcool. La justice n’existe même pas puisqu’elle condamne un innocent et reste impuissante à lui éviter une fin atroce.

Mais au-delà du pessimisme foncier de ce texte, c’est le style de Faulkner qui ne me convient pas, moi qui aime me perdre dans les méandres psychologiques de personnages torturés…

 

Sanctuaire

William Faulkner traduit de l’anglais (américain) par R.N. Raimbault, Henri Delgove et Michel Gresset
Gallimard (Folio n°231), 1997
ISBN : 978-2-07-036231-0 – 375 pages – 7,10 euros

Sanctuary, parution aux États-Unis : 1931