Le vampire de Ropraz de Jacques Chessex

Le vampire de RoprazAprès ma lecture de Un Juif pour l’exemple, je savais que j’allais relire Jacques Chessex. L’homme médiatique ne me plaît pas beaucoup, mais son écriture est vraiment saisissante, très belle, comme le montrent les premières pages de ce court roman. Elles décrivent avec une précision aussi poétique qu’assassine les moeurs désolées du Haut-Jorat vaudois au tout début du XXe siècle : misère intellectuelle et sexuelle qui ne pouvait qu’engendrer des crimes aussi terribles que ceux rapportés ici.

En ce glacial mois de février 1903, une jeune fille de vingt ans a été enterrée. Peu de jours après, sa tombe est ouverte et son corps profané de manière ignoble : violé, tailladé et même dévoré par endroits. La presse du monde entier se fait l’écho de ce crime qui se répète par deux fois à quelques semaines d’intervalle. La population s’émeut, les esprits s’échauffent mais les recherches restent vaines. Un homme pourtant est bientôt arrêté, puis relâché faute de preuves, puis arrêté à nouveau, en flagrant délit de viol, d’une femme bien vivante toutefois. Le coupable présumé s’appelle Charles Augustin Favez, une vingtaine d’années, parfait représentant d’une population dégénérée. Violent, quasi abruti, coupable de bestialité sur les vaches de son patron, peut-être devint-il nécrophage et nécrophile, Jacques Chessex n’est pas totalement affirmatif.

Le plus intéressant n’est en effet pas de savoir si Favez était bien le vampire de Ropraz. Si, comme il le fera pour Un Juif pour l’exemple, Jacques Chessex plonge dans les annales sordides de son pays, ça n’est pas pour faire la lumière sur des crimes odieux mais bien, me semble-t-il, pour faire oeuvre de sociologue, pour analyser le passé de son pays, décrire des pratiques pour comprendre des populations. Car coupable ou pas, Favez fut avant tout « la victime d’une ruralité misérable« , d’une région où « l’alcool, l’inceste et l’illettrisme sont des plaies ataviques« . Violé et battu dès son plus jeune âge, qu’est-ce que Favez pouvait espérer de la vie ? Quelle place le Haut-Jorat réservait-il à sa victime ? Car si Chessex dénonce les crimes odieux et les corps profanés, il exprime également sa compréhension voire même sa compassion car Favez n’est pas né monstrueux, il l’est devenu.

« … il a quatre ans, peut-être cinq, des gens qu’il ne connaît pas et qui lui font tout de suite peur. C’est un hameau perdu dans les collines, des ravins, après Vucherens, l’homme le prend sur ses genoux et le force à baisser sa culotte pour lui enfoncer sa grosse chose. Tais-toi Favez, personne ne t’entend. On est seuls ici toi et moi, Charles Favez, petit pauvre, il y a toi et moi et tu vas me donner ton petit trou comme hier soir, comme ce matin. Tourne-toi, Favez. Allez, à quatre pattes, Charles Favez…« 

On pourra reprocher à Chessex de ne pas avoir écrit un roman ; de fait, ce livre tient plus de la chronique. C’est à mon avis le style qui convient à cette histoire vraie, les faits parlant d’eux-mêmes sans qu’il y ait besoin de rajouter une part de romanesque ou d’imaginer la psychologie de certains personnages. Et aussi insupportables que soient certaines descriptions, on lit ce texte qui capte la curiosité morbide du lecteur écoeuré et pourtant captivé.

Jacques Chessex sur Tête de lecture

 

Le vampire de Ropraz

Jacques Chessex
LGF (Le Livre de poche n°31080), 2008
ISBN : 978-2-253-12281-4 – 90 pages – 4,50 €