Un p’tit gars de Georgie est un recueil de nouvelles de Erskine Caldwell (1903 – 1987), écrivain oublié, peut-être parce qu’il fut le contemporain de Steinbeck et Faulkner. Comme eux, il décrit les États-Unis laborieux, ceux des gens pauvres qui vivent au jour le jour. Ce sont ici des fragments de vie de William Stroup, un p’tit gars de Sycamore, en Georgie, des scènes de la vie quotidienne, de petits événements au jour le jour.
Dans la famille Stroup il y a le père, Morris, un bon à rien qui tente de rattraper sa fainéantise par des combines souvent très hasardeuses, toujours égoïstes. Il n’a pas plus de morale que d’argent et peut se faire voleur à l’occasion. Quand sa femme Martha, qui trime pour deux, lui demande quelque chose, il commence par envoyer à sa place Handsome Brown, le Noir à tout faire de la maison, « un pauvre nègre orphelin qui a peur de revendiquer ses droits« , un brin fainéant aussi et terrorisé par son maître. C’est donc lui qui tombe dans le puits en allant déloger les chèvres grimpées sur le toit de la maison, c’est lui qui retourne la terre pour trouver des vers avant de partir à la pêche, lui encore qui récupère les objets de la voisine que Morris a frauduleusement vendus pour s’acheter une inutile paire de bottes. A la voisine qui lui demande où est son mari, Martha répond : « très probablement à dormir à l’ombre quelque part […]. A moins qu’il ne soit trop paresseux pour s’ôter du soleil. »
Ces nouvelles sont souvent drôles, en raison de la veulerie et de la fainéantise du père. On sourit quand Martha va récupérer son mari chez Mrs. Weatherbee qu’elle mord et traine par les cheveux, quand Morris Stroup se fait vendre une cravate et quand il mange son propre coq de combat.
Ce Morris Stroup est décidément bien loin de l’Américain travailleur, soucieux de sa famille et de son âme éternelle… A travers ce portrait féroce, Caldwell stigmatise les petits Blancs qui ont la pauvreté qu’ils méritent et qui parce qu’ils n’ont rien, persécutent ceux qui sont encore plus faibles qu’eux, à savoir les Noirs. Handsome Brown tente bien de fuir cette maison mais c’est pour trouver un emploi de punching-ball dans un cirque itinérant : pour dix cents, les Blancs peuvent lui envoyer des balles à la figure et gagner un cigare. Et si Morris Stroup n’est bon à rien, il fait merveille sur cette cible : c’est qu’il ne peut pas se permettre de perdre celui qui trime pour lui en échange de vieux vêtements, sans aucun jour de congé…
Erskine Caldwell ne juge pas, il observe et rapporte les faits. Aucune psychologie dans ces textes qui sont une peinture au premier niveau de la misère sociale et morale du Sud.
Difficile de dénicher ce petit recueil, je l’ai fait sortir de la réserve de ma bibliothèque municipale (il date de 1949, et la fiche de prêt de 1975…).
Un p’tit gars de Géorgie
Erskine Caldwell traduit de l’anglais par Louis-Marcel Raymond
Gallimard, 1949 (épuisé dans cette édition)
Georgia Boy, parution aux Etats-Unis : 1943
Je suis des États-Unis moi-même, et je n’ai jamais entendu parler d’Erskine. Merci pour les conseils! Les oeuvres de Steinbeck & Faulkner me plaisent beaucoup.
C’est très gentil de t’être arrêtée ici. Je suis allée sur ton blog et y retournerai. Bravo pour tes lectures françaises en v.o. (tu ne les choisis pas faciles, Marguerite Duras a découragé plus d’un lecteur français !).
Vous avez beaucoup d’auteurs aux États Unis, et beaucoup de bons auteurs, ça ne me parait pas difficile ne ne pas les connaître tous ! Caldwell mérite lecture il me semble, j’ai beaucoup apprécié sa vision vraiment atypique du petit peuple américain.
J’ai lu « Le petit arpent du bon Dieu » mais il y a tellement longtemps. Mais je me rappelle que j’avais aimé. Et pour un adolescent du Québec, les descriptions du Sud américain m’avait fascinées.
elles fascinent aussi bien des lecteurs français !
C’est sur qu’être contemporain de Steinbeck et Faulkner, c’est dur! Mais cet auteur a l’air à lire!
oui, ça vaut parfois la peine de contourner les montagnes pour découvrir de petits chemins de traverse…
Très heureuse que tu ais pu « exhumer » cet auteur ! C’était un prof de français vendant ses livres en brocante qui me l’avait conseillé, et j’avais adoré cette découverte. Et j’adore ton analyse : drole et féroce, Caldwell s’inscrit vraiment dans cette littérature américaine « brute », « factuelle », qui donne à voir sans juger. Un regard sans concession, plus cruel encore dans « Le petit arpent du bon Dieu », des fermiers sans le sou, bêtes et méchants… Bref, pardon, je pourrai en parler des heures tellement j’aime cet auteur ! Et merci pour le lien 😉 !
C’est moi qui te remercie, sans toi, je n’aurais peut-être jamais rencontré cet auteur (j’ai d’ailleurs laissé un message sur ton billet, mais il a disparu dans le cyber monde semble-t-il…). Je vais mettre aussi la main sur Le petit arpent du bon Dieu qui a l’air plus disponible.
C’est ce qu’on appelle faire les fonds de tiroir.
Et ça n’est pas la première fois que j’oblige les bibliothécaires à descendre en réserve, elles doivent me maudire !
Je n’aime pas particulièrement les « nouvelles » et je ne me sens pas prête à me lancer dans ce genre de lecture en ce moment. J’ai besoin de lectures plus légères avec le pavé que j’ai fini il y a peu. Néanmoins, je note le nom de l’auteur. Ma médiathèque a pas mal d’ouvrages qu’il a écrits (à l’exception de celui que tu viens de chroniquer). Je devrais peut-être trouver mon bonheur.
Je me mets aux nouvelles petits à petits, en commençant pas les Américains, ils font ça très bien.
Oups je répare mon erreur, « Un ptit gars de Géorgie » est bien sur les étagères de ma médiathèque. C’est un signe peut-être pour que je le lise… Allez je le note et on verra ce que ça donne !
Oui !
Tu nous déterres les bons vieux romans des fonds de bibliothèques, on dirait Ys, et pour notre plus grand plaisir ! Je ne connaissais absolument pas cet auteur et, avec ce que tu en dis, il faut que je mette la main sur une de ses œuvres pour voir de quoi il retourne … En lisant ton titre, j’ai cru que tu allais nous parler « Des Ricains », la chanson de Michel Sardou ;-D Je sors ?! Sinon, je peux aussi te la chanter !
« Si les Ricains n’étaient pas là, nous serions tous en Germanie… » : mon père était fan de Michel Sardou, ah si je pouvais effacer ma mémoire, je commencerais par ça. Il a aussi « Je suis pour » à son actif : écœurant…
J’adore Steinbeck mais je ne me sens pas le courage de partir à la recherche de l’auteur perdu.
Mais je l’ai retrouvé pour toi 🙂 !
Je lis une de tes réponses : à la bibli de R. ,ce n’est pas la première fois que je les envoie en réserve! Non mais, il y a des pépites là dedans!
Entièrement d’accord, c’est à croire que les bibliothécaires planquent les bons livres 🙂
Je note ce titre pour la rentrée au cas où je le dénicherais dans les archives de la bibliothèque de mon village ! 🙂
Si tu le trouves dans une bib de village alors là, bravo 🙂 !
Effectivement, Erskine Caldwell est un peu un auteur oublié… Quand j’ai lu Un pauvre type l’année dernière, j’ai voulu me renseigner sur l’auteur et je n’ai pas trouvé grand chose !!! La référence n’est pas forcément très « intelligente », mais le roman m’avait fait penser au personnage de Bruce Willis dans Pulp Fiction.
En fait, les auteurs oubliés, c’est sympa ! (comme les légumes oubliés)
On a tendance à se tourner vers les nouveautés alors qu’il y a plein de choses dans les fonds de tiroirs !
Bravo pour l’expédition qui t’a permis de sortir ce livre au grand jour. Mais ça suffit les tentations !!! 😉
Tant que tu n’arrêteras pas les blogs, tu succomberas !
Lors d’une émission de radio, j’ai entendu parler de « La route au Tabac » de Caldwell. J’ai cherché, ce roman est épuisé, et je l’ai trouvé très récemment dans un marché aux livres à Esquelbecq qui est un village du livre ( http://www.esquelbook.com).
Je viens de le commencer et je crois que je peux en recommander la lecture, description crue d’une Amérique paysanne affamée…
Pas facile en effet aujourd’hui de lire Caldwell… peut-être qu’un film un jour le remettra au goût du jour…