Les armées d’Evelio Rosero

Les armées d'Evelio RoseroSan José, un petit village en Colombie où la vie s’écoule doucement. Peut-être un peu vite pour Ismael, le narrateur de soixante-dix ans, qui se sent terriblement vieux. Son petit plaisir dans la vie, c’est de reluquer les femmes, les filles aussi, juste regarder et profiter des beautés de la nature. Alors il se rince l’oeil sur sa jolie voisine qui n’y voit que malice.
A San José il y a aussi le médecin, le cafetier, le pochtron, et toute une galerie de personnages qui font la vie paisible et idyllique de ce coin de planète. On dirait une image d’Epinal, c’est trop beau, bien trop beau pour la Colombie.

Alors un jour débarque des hommes armés : ils tirent, ils tuent, ils kidnappent. Qui sont-ils ? On ne sait pas vraiment. Que veulent-ils ? Rien de précis non plus si ce n’est de l’argent qu’ils obtiennent par rançon. Des gens sont enlevés, des pauvres pour lesquels on demande plus d’argent que la famille n’en gagnera jamais. D’autres disparaissent et personne ne les reverra plus, si ce n’est en pièces détachées… Ismael cherche sa femme, il sait qu’elle n’est pas morte, il le sent, il faut qu’il la trouve.

La quête de ce pauvre vieux narrateur est absurde, le lecteur le comprend vite. Le petit village paradisiaque s’est transformé en enfer et plus rien de bon ne pourra en sortir. Les gens ne peuvent que fuir ou mourir. Pris entre l’armée, les paramilitaires, la guérilla et les narcotrafiquants (les quatre plaies de la Colombie actuelle), l’homme n’est plus rien qu’un pantin. Il ne sait pas qui le tue, il ne sait pas pourquoi il meurt ni quelle cause servira sa mort. Probable aucune tant le village, à l’image du pays, est régi par la violence absurde et aveugle. Il n’y a rien à comprendre, juste à subir et mourir.

La violence et la mort sont donc au cœur de ce roman, qui n’est cependant pas dénué d’ironie grâce au narrateur, professeur à la retraite rattrapé par la vieillesse. Avec lui, le lecteur erre dans la ville qui disparait peu à peu sous les assauts renouvelés de belligérants rivalisant de cruauté. Surenchère de violence, atrocités envers les civils, rien n’a de sens, même pas la mort.

Les habitants fuient San José synonyme de mort, comme bien des écrivains colombiens fuient leur pays en état de guerre perpétuelle. C’est cette violence quotidienne, mortelle et absurde que décrit ce roman qui pour être bref n’en est pas moins intense.

 

Les armées

Evelio Rosero traduit de l’espagnol (colombien) par François Gaudry
Métailié (Bibliothèque hispano-américaine), 2008
ISBN : 978-2-86424-659-6 – 155 pages – 17 €

Los ejercitos, publication en Espagne : 2007

39 commentaires sur “Les armées d’Evelio Rosero

  1. J’ai fait un effort : j’ai emprunté un roman cubain, chez Métailié! Bon, pas sur que je trouve le temps de le lire, mais ça compte quand même, hein? ^_^

    1. Euh… c’est même pas l’Amérique du Sud ! Tu fais ça par esprit de contradiction, quand je choisirai les Chinois, tu prendras un Thaïlandais ? 🙂 ! Bon allez, dis-nous quand même de quel livre il s’agit.

      1. Les brumes du passé de Leonardo Padura.
        Encourage moi, c’est en fait avec la littérature hispanophone que j’ai d’immenses lacunes… ^_^

  2. Ton billet très imagé donne envie de faire connaissance avec ce village, violence, corruption, peur, pas étonnant que ceux qui en ont les moyens s’exilent
    j’ai trop de lectures qui m’attendent mais pour lire de la littérature sud américaine je reviendrai piocher dans tes billets

    1. et les écrivains, ceux qui souvent ont pu partir, choisissent d’écrire sur ceux qui sont restés, c’est aussi une façon de lutter, même de loin, car on ne peut pas leur reprocher d’être partis, c’est leur vie qu’ils risquent bien souvent.

    1. Tu n’as pas été sensible au charme de ce petit vieux pourtant si attendrissant ? J’ai trouvé qu’à travers ses yeux, on avait une vision décalée de la violence, directement humaine et par les yeux de celui qui la subit et ne comprend rien.

  3. A nouveau un livre tentant : cela me fait dire que j’aime bien la littérature sud-américaine mais que je la connais fort mal (ca me penser au cours d’espagnol : on avait toujours des textes, des publicités ou images engagés à commenter !)

    1. on a eu le même prof 😀 C’est vrai que l’apprentissage de l’espagnol n’est pas du tout le même que celui de l’anglais, en espagnol, c’est très axé sur la civilisation, les périodes fortes de l’Histoire de l’Amérique du Sud ou de l’Espagne. Ça n’est peut-être pas hyper efficace quand tu te rends dans le pays et que tu manges au resto sans pouvoir lire la carte, mais c’est très intéressant !

  4. Pitié Yspaddaden ! Ils sont tous de cet acabit ? Il me plaisait bien celui-là avec son petit village bien sympathique et puis patatra ! S’il te plait… Trouve moi un gentil petit roman…
    Bien sinon, tu es taguée. Le tag de l’amitié circule. Je contacte tous mes liens car je ne voudrais pas oublier quelqu’un ! La liste des questions se trouve sur mon blog, celui de George, de Mango…
    A bientôt…

  5. Trop de violence, comment font-ils?
    Il y a eu un documentaire, il y a quelques jours, sur un village ultra-violent, régi par les bandes, le réalisateur n’en est pas revenu… Aussi, une expo au Grand Palais, sur les portraits au XVIIème siècle, ça sentait la mort, les guerres de religion, c’était sinistre.
    On se dit qu’on a bien de la chance de vivre tranquillement.

    1. C’est ce qu’ils essaient de rendre tangible ces écrivains, Vallejo avec la violence de ses mots et de ses situations, et Rosero, moins brutalement : comment vivre dans la violence au quotidien, comment faire pour continuer en sachant que demain, des types peuvent surgir et emmener tes enfants…

  6. Ce titre et le précédent que tu as chroniqué me paraissent bien noirs mais ils agissent aussi comme des détonateurs dans notre monde feutré et confortable…

  7. Un petit vieux dans son village, c’est séduisant. Mais la violence qui s’invite dans l’aventure me fait hésiter. Je note le titre dans un coin quand même.
    Merci pour la découverte de la littérature sud américaine que tu nous proposes.

  8. Ce livre est très réaliste et c’est un sujet permanent dans la littérature colombienne. Par son style narratif sobre, Rosero montre que la brutalité arbirtraire fait partie du quotidien.

    1. Cette sobriété tranche avec ce qu’on imagine souvent de la littérature sud américaine, mais j’ai apprécié. Sans aucune démonstration, on comprend très bien l’absurde de la situation.

    1. Ce qu’on comprend aussi ici très bien, c’est que les gens ne savent même pas qui leur tirent dessus, ni pourquoi… c’est absurde, une guerre dénuée de toute idéologie ou même l’engagement n’est pas possible car on ne peut rallier ou s’opposer à une force qui n’a pas de nom…

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