Une si longue histoire d’Andrea Levy

Une si longue histoireAndrea Levy est anglaise, d’origine jamaïcaine. Dans Une si longue histoire, elle raconte l’île de ses ancêtres à travers le personnage de July qui y a traversé une grande partie du XIXe siècle.

July est née d’une mère esclave sur une plantation de canne à sucre et d’un père blanc, contremaître au même endroit. Elle n’est donc pas noire July, elle est mulâtre et elle y tient. Car elle se berce de l’illusion qu’être à moitié blanche, c’est mieux qu’être entièrement noire. Et si c’est en effet important pour elle, et pour les autres esclaves, d’être moins blanche, ça ne fait aucune différence pour les Blancs qui englobent dans un même mépris Noirs, mulâtres et quarterons.

C’est July devenue vieille qui raconte son histoire à la troisième personne. Rien de bien original, sa vie a dû être semblable à celle de bien d’autres, sauf que c’est l’esclave elle-même qui la raconte. Son quotidien, ses peines et ses joies prennent des accents épiques au rythme de la tourmente historique. Car July a vécu les révoltes des Noirs, l’apprentissage puis l’abolition. Mais la période la plus intéressante est peut-être celle qui suit, quand les Noirs sont libres sans que leur nouveau statut apporte de changement notable à leur vie : les Blancs attendent toujours qu’ils travaillent pour eux de la vie à la mort, qu’ils obéissent et se reconnaissent inférieurs.

Le personnage de Robert Godwin est le plus intéressant : un Anglais fraîchement débarqué, avec la volonté de changer le sort des Noirs, d’améliorer leurs conditions de vie, et de vivre en respect avec sa conscience. Il tombe amoureux de July et malgré ses idées révolutionnaires, jamais il ne pense à faire d’elle tout simplement sa femme légitime. La manière dont il fait d’elle sa concubine n’en est que plus répugnante. Se confirme alors chez July une nonchalante résignation qui lui permet de traverser le pire.

Par la voix qu’elle donne à July, Andrea Levy nous fait comprendre la complexité du personnage. July ne peut s’empêcher de mentir, de voler, de tirer profit du Blanc. L’auteur ne tombe pas dans le piège de faire d’elle un personnage exemplaire, une bonne domestique ou à l’inverse une fiéfée voleuse. Non, July louvoie, elle se débrouille, essaie de tirer son épingle du jeu sans être taraudée par une mauvaise conscience blanche. De ce fait, si le récit de July est triste car fait de viols, de déchirements et de morts, il est aussi parfois drôle quand elle décrit la bêtise de certains esclaves ou quand, devenue vieille, elle commente les interventions de son fils sur le texte qu’elle est en train d’écrire.

Ce qui m’a le plus surprise, c’est la rivalité entre les Noirs, entre les domestiques de maison et les travailleurs des champs, entre les très noirs et les plus pâles, considérés comme supérieurs. Il est clair que les esclaves ne sont pas fiers de leurs origines, qu’ils cherchent à s’en éloigner le plus possible et que le modèle blanc prévaut parmi eux.

Alors qu’il aurait pu être surtout tragique, le texte de Andrea Levy est à la fois intéressant, poignant et drôle. L’héroïne n’est pas héroïque, mais équivoque, sa voix est sujette à caution ce qui ne la rend que plus vivante, terriblement humaine.

 

Une si longue histoire

Andrea Levy traduite de l’anglais par Cécile Arnaud
La table ronde (Quai Voltaire), 2011
ISBN : 978-2-7103-3161-2 – 342 pages – 22 €

The Long Song, publication en Grande-Bretagne : 2010

38 commentaires sur “Une si longue histoire d’Andrea Levy

    1. C’est possible, je ne dirais pas que c’est un chef d’oeuvre, mais c’est un livre vraiment fort sur ce thème, et je n’avais rien lu sur les esclaves jamaïcains.

  1. J’ai « Hortense et Queenie » de cette auteur dans ma PAL. Je vais commencer par ce roman là et on verra après. Je vois que tu restes dans ta thématique 🙂

  2. J’ai aperçu ce livre dans la fournée de janvier, en te lisant je me dis que l’on est bien toujours l’esclave de quelqu’un quelque soit notre position sociale, ne serait ce parfois que de soi même
    C’est le thème qui m’attire, je vais le retenir pour une lecture future

    1. Mais là il y a le viol, le mensonge, la soumission, l’absence de liberté… ça pourrait donner un livre totalement dramatique et pourtant, la vieille July racontant sa vie n’est pas dénuée d’humour sur son passé.

    1. J’ai beaucoup apprécié le fait que July soit aussi montrée comme menteuse, voleuse, pas bien maligne parfois… ça n’est pas un portrait idéalisé des esclaves, mais réaliste, en tout cas c’est comme ça que je l’ai lu.

  3. Je ne connais pas du tout l’auteure mais je suis bien tentée. Intéressant, poignant et drôle sont des mots clés pour me faire choisir un livre !

    1. ça n’est quand même pas à se tordre de rire, mais disons que July devenue vieille porte parfois un regard amusé ou critique sur ce qu’elle a été et ce qu’elle a fait.

  4. Bien tentée par ce titre ! La couverture est aussi très belle (oui je suis une lectrice superficielle et je résiste difficilement à certains détails marketing… 😉

  5. J’ai lu beaucoup de choses (romans, essais, bio) sur l’esclavage, mais ce roman me semble toucher quelques points qui n’ont pas été traités ailleurs. Je pense que je le lirai!

  6. super belle histoire je ne connaissais pas du tout l auteur mais du coup je suis allee a la bibliotheque reprendre un deuxieme roman de cette auteut tellement elle est passionante et tellement reelle merci a elle

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