Il y a des jours où je suis prête à tout pour lire un bon roman policier. Même à lire autrichien. Mais pas n’importe quel autrichien, car même si je n’avais jamais entendu parler de Heinrich Steinfest, l’éditeur nous dit qu’il est un auteur culte en Allemagne, quatre fois lauréat de prix littéraires policiers : ça en impose.
Me voilà donc partie dans cette intrigue a priori un peu loufoque : un cadavre est retrouvé dans une piscine au sommet d’un immeuble viennois, il a été dévoré par un requin. Sans avoir fait Hypokhâgne, le lecteur comprend bien que Vienne n’est pas au bord de la mer… Par contre, d’autres éléments du roman ont dépassé mes maigres connaissances philosophiques, je ne m’en prends qu’à moi, mais de fait, je n’ai pas pu l’apprécier autant qu’il se devrait. C’est que l’inspecteur Lukastik, chargé de l’enquête, ne sort jamais sans son exemplaire du Tractatus du philosophe et logicien autrichien Ludwig Wittgenstein.
Dès le début de ma lecture, j’ai senti qu’il me manquait des éléments, que certains clins d’oeil et références restaient pour moi lettres mortes. Pour se faire une idée de l’importance du philosophe dans ce texte, voici un extrait du billet d’Emmanuelle Caminade, on ne peut plus complet :
Ce récit est remarquable par sa construction symbolique et sa portée philosophique, et la référence constante au philosophe Ludwig Wittgenstein dépasse largement celle faite aux enseignements du Tractatus logico-philosophicus qui guident l’inspecteur Lukastik. Car l’auteur lui-même, tout comme son héros principal, est un fervent admirateur du philosophe d’origine autrichienne. Et il intègre à son roman de si nombreux éléments ayant trait à sa vie, à son caractère et à ses goûts, pour lui rendre hommage que ce dernier prend une tournure vertigineuse.
La vie et l’œuvre de Wittgenstein me sont inconnues ce qui est clairement ici un handicap. Ceci ne m’a cependant pas empêchée d’apprécier la savante construction du roman, et surtout, sa loufoquerie omniprésente. Cette histoire est pleine de détails complètement décalés, étranges dans le contexte et de fait extrêmement réjouissants : un cadavre dans une piscine viennoise dévoré par un requin ; un ichtyologiste qui déteste l’eau et a basé sa thèse (et sa célébrité) sur un type de requin inventé par lui ; des locaux que la police partage avec un musée et qui valent à Lukastik d’avoir un saint Étienne martyr dans son bureau ; un inspecteur de presque cinquante ans, maniaque (il multiplie les rituels superstitieux) qui vit chez ses parents, roule en Ford Mustang et fantasme sur sa sœur dont il y a d’ailleurs été jadis l’amant…
L’auteur éprouve un plaisir manifeste à promener le lecteur dans les sinueux détours de la logique de son inspecteur, accumulant descriptions et digressions. C’est avant tout un plaisir des mots, ainsi qu’une façon biaisée mais plaisante de décrire et présenter son antipathique et atypique héros. Il est autoritaire, imbu de lui-même, brutal, irresponsable, bref, un marginal misanthrope et fier de l’être, un héros sans le moindre charisme. A des lieues de tous les inspecteurs que j’ai déjà pu rencontrer dans mes lectures.
Que dire si ce n’est que j’ai apprécié tout ce que j’ai pu comprendre et percevoir de ce roman et que je déplore donc de ne pas avoir l’érudition nécessaire à une meilleure compréhension…
Requins d’eau douce
Heinrich Steinfest traduit de l’allemand par Corinna Gepner
Carnets Nord, 2011
ISBN : 978-2-35536-047-3 – 392 pages – 20 €
Nervöse Fische, parution en Allemagne : 2004
« Prête à tout pour lire un bon roman policier », je le suis parfois aussi, et celui-ci paraît faire l’affaire pour ce genre de situation. Hop ! dans la LAL !
J’espère donc que tu es plus calée que moi en philo 😉
J’avais lu un billet ailleurs et j’ai donc lu ce polar mais j’ai calé, j’ai trouvé que le mélange des genres finissait par être pesant, l’intrigue policière n’est pas exceptionnelle et donc le roman vaut par la personnalité du héros mais j’ai trouvé le tout trop appuyé, trop lent .. la « construction symbolique » m’a laissé de marbre, mais en ce moment les polars me tombent tous un peu des mains alors …
Ceux qui connaissent le philosophe en question ne tarissent pas d’éloges sur ce livre (ou alors, il y en a qui font bien semblant…) : je crois que sans ça, on passe à côté…
Eh bien moi, tel le cheval moyen, je vais freiner devant l’obstacle et prendre d’autres chemins… 😉
Je te comprends, d’autant plus que tu as un autre Bello à lire maintenant, et compréhensible par tous !
Je doute qu’il y ait beaucoup de monde qui puisse lire ce roman en saisissant tout. En tout cas hors de l’Autriche…
Le site de l’éditeur recense des articles de presse ou de blogs très positifs, moi j’en avais lu un dans « Transfuge » qui m’a attirée, mais il faut bien avouer que nous ne sommes pas tous égaux devant la lecture…
Moi et la philosophie, hum hum. Je vais donc m’abstenir pour ce policier mais je garde le nom de l’auteur dans un coin, des auteurs autrichiens, ça ne court pas les rues 😉
surtout pas celles du Loir-et-Cher 😀
La philo a toujours été mon point faible. Je déteste ça et surtout pas envie d’approfondir. Allez hop, je passe !
Comme tu te doutes, j’avais repéré cette parution. Je n’ai pas encore eu le temps de m’y plonger mais tes réserves me laissent penser que je vais rencontrer les mêmes problématiques que toi…
Ça peut aussi être l’occasion de mettre à jour nos connaissances en la matière…
Pas sûre d’être à la hauteur mes années philo étant loin…
J’en faisais 8 heures par semaine en terminale et j’ai vraiment vécu ça comme une pénitence…
Bonjour, j’aime ton billet et j’étais prête à noter ce livre… mais vu les commentaires… ça me refroidit !
Je ne saurais trop de conseiller d’aller lire d’autres avis…
Pas du tout calée en philo moi. Je passe mon tour.
Il faut je pense avoir au moins le goût de réactualiser ses connaissances…
Bonjour,
Je vous remercie de citer ma chronique mais je ne voudrais pas usurper une réputation d’érudite. D’autant plus que mes connaissances en philo , particulièrement lacunaires, remontent à la Terminale !
La vie et l’oeuvre de Wittgenstein m’étaient également inconnues quand j’ai ouvert ce livre.
Seulement , quand j’ai vu le narrateur mentionner ce « Tractatus », et l’importance qui lui était donnée, je suis allée sur Google où ,grâce à Wikipedia, j’ai pu avoir un aperçu du contenu de cet ouvrage et de la vie du philosophe …
C’est ce qui m’a permis, continuant ma lecture, de saisir beaucoup de clins d’oeil qui vous ont échappé et d’augmenter ainsi mon plaisir.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Tractatus_logico-philosophicus
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ludwig_Wittgenstein
Je crois en effet que votre démarche est la bonne. Pour ma part, si je ne suis pas allée jusque là, c’est que vraiment, je garde un très mauvais souvenir des mon année de philo et aucun goût pour la matière. Je n’ai fait que parcourir la page sur Wittgenstein, sans qu’elle me donne envie d’aller plus loin. Et de fait, je suis passée à côté du livre…
Pas tentée… Pour les polars, je suis une lectrice très primaire, il faut que le suspense m’embarque, sans me perdre en route avec des références et digressions trop compliquées… 😉
La fin est assez surprenante, mais le suspens n’est pas vraiment insoutenable. Je crois que c’est par sa bizarrerie que ce livre retient l’attention.
C’est dommage j’aurais aime lire autrichien mais la, je crois, que j’ai trop de handicaps !!
Disons que c’est un texte exigeant…
Ah oui, si toi tu t’y es perdue, j’ose à peine m’imaginer dans ce roman. Par contre, le côté loufoque pourrait me plaire. Mais c’est officiel que je passerais à côté de beaucoup, beaucoup de choses.
Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ont plus de connaissance en philo que moi, c’est vraiment une matière (je pense encore au lycée, je le sens bien) qui me rebutait : 6/20 au bac, coef. 7 ou 8, la vraie plongée…
Le roman semble bien alléchant et terriblement fascinant … Mais si j’ai bien compris, il faut d’abord se replonger dans la philosophie que tout le monde adore, et plus particulièrement dans l’œuvre de Wittgenstein ! Tout un programme auquel je ne suis pas sûre d’adhérer ;-D Par contre, je ne suis pas contre une plongée dans cet univers décalé et loufoque que décrit si bien l’auteur ! A suivre …
Si tu n’es pas complètement au fait philosophiquement parlant, tu feras comme moi : tu apprécieras le personnage décalé, les situations loufoques tout en mesurant l’étendue de ce que tu ne sais pas en passant à côté de beaucoup de références, c’est agaçant (mais pas insoluble !).
C’est pas commun un polar philosophique ;-))
Je ne connaissais pas ce polar.
Plus philosophique que polar, selon moi…
Comme mon érudition philosophique est très très proche du « zéro », je passe …
Il faut en effet un petit bagage pour l’apprécier pleinement, un bagage plus consistant que le mien aussi…
Une curieuse découverte effectivement qui donne envie d’aller voir si les autres livres de cet auteur sont de la même trempe !
Eh bien moi, je dois bien l’avouer, je ne suis plus trop tentée…
Je suis assez étonné parce qu’il y a beaucoup à prendre dans ce roman sans pour autant connaître l’œuvre de Ludwig Wittgenstein qui est un auteur d’une telle complexité qu’il serait suicidaire, pour un romancier, de concilier l’intelligibilité de son roman à une connaissance préalable du Tractatus.
Du coup, votre position a découragé vos lecteurs et détourné plus d’un d’un roman très différent du reste de la production, très à part et plutôt parfaitement écrit et traduit, qui change des habituels polars industriels. Cest plutôt dommage.
Ce n’est que mon avis et si ce livre ne m’a pas plu, certainement parce que je suis passée à côté de plusieurs points, je peux difficilement donner envie de le lire…
D’accord, mais cela permet de pointer du doigt l’un des effets très gênants de ces prises de paroles, parce qu’elles finissent par tourner en rond, sur les seuls livres qui restent à la « portée » du locuteur.
J’ai bien aimé la démarche d’Emmanuelle qui a finalement fait l’effort d’aller rechercher des informations essentiellement biographiques sur Wittgestein pour s’ouvrir une des perspectives (pas spécialement philosophique d’ailleurs) du roman.
Il me semble que le livre est si riche que chacun peut le goûter quelles que soient ses lacunes . Et il est bon aussi qu’un livre recèle des parts d’ombres …
Je l’ai passé à un proche qui n’a pas du tout la même démarche que moi , ne connaît rien en philo et n’aime pas faire des recherches sur Google… Il a beaucoup apprécié aussi ce roman , très drôle et fort bien écrit – et sans doute traduit.
Bonjour,
Je suis de ceux qui n’ont guère apprécié ce roman. Voir http://ray-pedoussaut.fr/?p=2398
En fait on s’en fout complètement du Tractatus logico-philosophicus, il n’apporte rien à l’histoire racontée. Il ne sert qu’à faire des enjolivures pédantes qui se veulent savantes. Si vous aimez les digressions interminables qui vous éloignent du sujet principal, vous pouvez vous laisser tenter, à condition d’aimer ce style bavard. Sa plus grande qualité, pour moi, est son originalité.