Comme plusieurs des autres romans de Castellanos Moya, La mort d’Olga Maria se présente comme une logorrhée, la prise de parole d’un narrateur qui ne peut s’empêcher de parler. Ici, c’est Laura Rivera qui parle, parle et parle encore à un interlocuteur dont on ne découvrira l’identité qu’à la fin du roman.
Olga María vient d’être assassinée chez elle, devant les yeux de ses deux enfants. C’est devant son cadavre encore chaud que Laura commence son discours, qui se poursuivra au cimetière, au téléphone, plusieurs jours et un mois plus tard. Le lecteur découvre ainsi qui était Olga María et surtout qui est Laura Rivera et à quel monde elles appartiennent. Laura évoque les amants d’Olga María, tous beaux comme des dieux, tous éperdument amoureux d’elle. Et elle connaît tous les détails Laura, vu qu’elle était sa meilleure amie, sa confidente, celle qui lui servait d’alibi et se tapait tous ses amants une fois qu’elle en avait fini avec eux.
Au début, le portrait est drôle : on imagine une bourgeoise qui s’envoie en l’air avec des hommes riches, multiplie les intrigues, fricote même avec des hommes politiques… Puis ça devient de moins en moins drôle parce que s’inscrit dans le discours de Laura une dimension sociale et politique vraiment nauséabonde. Laura est fille de planteur de café, héritière de propriétaire terrien. Comme papa, elle méprise les pauvres, elle a le fascisme dans les veines et n’hésite pas à calomnier et dénoncer pour arriver à ses fins. Pour Laura, la femme du peuple est laide, elle pue et ne peut être intelligente, au minimum obéissante ; l’Indien n’a de place qu’en temps que domestique, sinon c’est un délinquant.
« La plage était très belle : déserte, à marée basse. Ce qu’il y a de bien en semaine, c’est qu’il n’y a pas la populace. Le week-end, c’est insupportable : toute la racaille d’El Majahual envahit San Blas. Que des voleurs et des putains ! Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas clôturer la plage ; c’est ce que dit mon père. Quand on a sa maison en face de la mer, on doit supporter tous ces malandrins qui passent leur temps à chercher quoi voler, qui attaquer. Horrible. Les plages devraient être clôturées pour que toute cette vermine d’El Majahual ne puisse pas envahir San Blas. »
A travers le portrait d’Olga María, c’est le portrait de la bourgeoisie salvadorienne dans toutes ses turpitudes et petits arrangements de conscience. C’est la corruption, le sexe, l’opportunisme politique qui dominent.
Horacio Castellanos Moya a le don d’évoquer son pays sur un mode humoristique qui emporte l’adhésion. On rit beaucoup de cette bourgeoise qui découvre la vraie vie de son amie décédée, et ses préjugés de classe sont présentés avec un tel naturel qu’on en sourit aussi.
Et puis pas le temps de s’ennuyer, l’esprit ne vagabonde pas car il faut suivre le discours de Laura : elle parle de son amie, puis soudain de ce qu’elle voit pas la fenêtre de sa voiture, puis à nouveau de son amie, sans le moindre passage à la ligne ou changement de paragraphe. Elle commente la messe aussi, ses bas qui partent en quenouille à force de s’agenouiller, le curé qu’elle déteste…
« Tu imagines le scandale que pourrait provoquer une fuite dans la presse : el Yuca a eu une histoire avec Olga María ! Rien que d’y penser, j’en ai des frissons : il mettrait un point final à sa carrière politique. Le chauffeur du corbillard a pris un chemin vraiment bizarre ! Moi, j’aurais tourné tout de suite à gauche ; c’est plus logique. Pourquoi veut-il traverser tout San Francisco ? Il aurait mieux fait de prendre cette rue qui mène à San Mateo. J’adore cette chanson de Miguel Bosé, surtout le petit passage où il siffle. Et Diana, dans quelle voiture est-elle montée ? Ah, elle est avec Marito, doña Olga et les petites. Et Julia ? Je ne la vois pas. Elle dû monter dans la voiture de Sergio et de La Cuca. A moins qu’on ne l’ait envoyée s’occuper de la maison ; mais je ne crois pas. Que le commissaire adjoint Handal fourre son nez dans l’histoire entre Olga María et El Yuca m’inquiète. Il faut que je l’avertisse.»
Laura est persuadée de faire partie du haut du panier de la société salvadorienne. En fait, c’est une commère à l’attitude vulgaire qui vitupère et honnit tout ce qui ne lui ressemble pas. Son masque de respectabilité se fendille tout au long du roman pour dévoiler un visage de haine et de bêtise. C’est aussi cruel que drôle, et dramatiquement efficace.
La mort d’ Olga Maria
Horacio Castellanos Moya traduit de l’espagnol par André Gabastou
Les Allusifs, 2004
ISBN : 2-922868-27-3 – 163 pages – 14 €
La diabla en el espejo, parution originale : 2000
Pas trop envie de ce genre de lecture en ce moment…
Ah oui, de l’humour avec la verve des auteurs sud américains, ce doit être efficace effectivement ! C’est noté…
Ils font ça très bien, on plonge dedans sans pour autant se noyer, un vrai régal !
je passe pour le moment
OKOK, les auteurs d’amérique latine sont notés (grâce à qui??? ^_^) , vraiment des pépites là dedans!
en fait, j’ai un vaste programme de littératures sud américaines en raison de formations… premier trimestre argentin, fin d’année mexicaine, un peu de tout au milieu…
Pas envie de ce genre là dans l’immédiat. Je passe mon tour.
Pourquoi pas, d’autant qu’il n’a pas 500 pages, je prends moins de risques en le notant ! 😉
Exactement : tu peux le lire en une journée, comme ça tu ne perds rien du fil du discours (euh, de la pelote plutôt…) et tu apprécies mieux.
Le mot « logorrhée » au début ma fait dire que non… mais après, quand je vois qu’il n’est pas si long et qu’il y a quelque chose sous le vernis… je me dis que bon, peut-être! Je suis d’une inconstance, c’est fou…
J’aime bien les discours un peu hystériques comme ça, qui pètent les plombs mais servent aussi de critique sociale, ça me plait, c’est drôle et intelligent.
Je ne connais pas cet auteur mais ai bien envie de le découvrir maintenant. 🙂 Les Allusifs tranchent dans le paysage éditorial et font des choix qui sortent souvent des sentiers battus… A suivre donc!
Effectivement, c’est une maison d’édition qui publie des auteurs qu’ils aiment vraiment.
Tout à fait le genre qui peut me plaire. Mais je ne suis pas dans une période sud américaine. Je garde au frais pour plus tard.
Eh bien moi, je suis dans une période sud américaine, il va donc y en voir pas mal d’autres…
La loghorée verbale me rebute un peu.
Il vaut donc mieux passer ton chemin, bien qu’ici, ce soit un bonheur…
Je n’ai lu que Le bal des vipères de cet auteur, mais le souvenir qu’il m’
je disais donc, avant d’être interrompu par un doigt malencontreusement posé sur la touche « enter » que le souvenir qu’il m’a laissé m’incite très très fort à lire son nouveau livre. Un écrivain atypique très intéressant
Le tout dernier, c’est Effondrement, qui me tente fort.