Chronic City de Jonathan Lethem

Chronic City de Jonathan LethemNew-York n’en finira jamais d’être sujet de romans. Ici, ce n’est pas tant la ville qui fait livre que la faune qui l’habite, animale, humaine et monstrueuse, voire fantasmée. Pour ce faire, Jonathan Letherm choisit des personnages atypiques qui vont lui servir de miroir (déformant) pour refléter une société avant tout futile et décadente.

Le narrateur, Chase Insteadman, est un ancien enfant star de série télé, « une demi-célébrité de second ordre » qui vit plutôt bien des droits de rediffusion et est officiellement fiancé à une astronaute coincée en orbite et atteinte d’un cancer du pied. Il rencontre un jour Perkus Tooth, sorte d’érudit du tout et du rien, ex-maître reconnu de l’underground devenu exégète de ses propres souvenirs et bible vivante pour tout ce qui touche à Marlon Brando, toujours vivant, lui seul le sait. Leur amie commune, Oona Laszlo, spécialiste dans la rédaction d’autobiographies de stars, devient la maîtresse de Chase tandis que Richard Abnerg, bras droit du maire se consume d’amour (ou fait très bien semblant) pour Georgina Hawkmanaji, riche héritière arménienne qui paie pour lui.

Beaucoup de personnages qui se croisent, souvent dans des dîners mondains ou chez Perkus, autour d’un joint et d’un ordi préhistorique en vue d’acquérir enfin un de ces fameux chaldrons… Chaldrons, soirées et parties de jambes en l’air font l’ordinaire de ces êtres riches et futiles, dont le quotidien est quand même perturbé par un tigre échappé d’un zoo qui règne dans les rues et sème la terreur, tandis qu’une vague odeur de chocolat assiège les narines.

Plus on avance dans le roman et plus le bizarre s’installe, le bizarre loufoque de ce tigre qui n’en est pas un, de cette femme astronaute qui écrit des lettres d’amour à son désuet fiancé, des aigles nidificateurs, de la folie chaldronesque…

Le roman ressemble à une chronique urbaine surréaliste qui permet d’épingler le gratin désœuvré et lifté de la Grosse Pomme. Les portraits sont souvent acides, l’érudition de Tooth sans fond et le lecteur a deux solutions : suivre Lethem dans ses soirées et lieux improbables sur les pas de personnages un peu foutraques, ou s’accrocher au romanesque le plus matérialiste et risquer de se perdre dans un texte qui demande quelques sacrifices logiques. J’ai été séduite par des personnages comme Perkus Tooth et Richard Abnerg, mais agacée par d’interminables repas aux réparties parfois trop référencées.

Un tigre rôde dans les entrailles de la ville, mais ce qui menace vraiment New York, c’est la futilité, les plaisirs instantanés et la célébrité facile qui font perdurer au-delà du raisonnable des icônes insignifiantes et vides alors s’écroulent les immeubles et que meurent leurs habitants. L’Amérique de l’après 11 Septembre se construit sur des images, la forme romanesque elle-même y perd en consistance… On suit (ou pas) Jonathan Letherm sur les traces de Bret Easton Ellis et de Jay McInerney, avec pour guide le vide toujours, et comme résultat l’ennui, parfois…

 

Chronic City

Jonathan Lethem traduit de l’anglais par Francis Kerline
L’Olivier, 2011
ISBN : 978-2-87929-705-7 – 488 pages – 23 €

Chronic City, parution aux Etats-Unis : 2009

36 commentaires sur “Chronic City de Jonathan Lethem

  1. Des personnages qui se croisent et discutent dans des dîners, ça m’ennuie déjà d’avance… je vois que tu y as trouvé des longueurs, cela confirme que ce livre n’est pas pour moi.

    1. Ce que je reproche un peu, c’est qu’on a déjà pas mal lu sur ces êtres-là, futiles, riches, décalés… Jonathan Lethem introduit dans ce monde une touche de bizarre, il fonctionne par métaphores, mais ça n’empêche que c’est parfois un peu long, je trouve…

  2. Bizarre en effet, mais j’ai dû rater un épisode car je ne comprends pas les mots « chaldron » et « chaldronesque » Que veulent-ils dire? Qu’est-ce qu’une folie chaldronesque? Merci d’avance de m’ouvrir les yeux mais je me sentirai tellement moins ignorante quand j’aurai l’explication!

    1. Mango, merci de lire mes billets avec cette attention ! Ces « chaldrons » font partie du bizarre… ces gens riches, intelligents et sains d’esprit se prennent de passion pour des chaldrons qui sont en gros des vases qui synthétisent le beau et incarnent la promesse d’un autre monde idéal et parfait. Le tout accompagné d’une petite expérience mystique… Ce n’est pas bien clair, j’ai essayé de te trouver un extrait, mais c’est bien trop long à taper (si tu as l’occasion de le feuilleter, voir aux alentours de la page 106). Bref tous ces gens qui se mettent à guetter ces chaldrons qui étrangement fleurissent sur eBay, atteignant des sommes astronomiques, ils enchérissent avec de l’argent qu’ils n’ont pas et sont même prêts à en voler certains. Voilà. Je ne suis pas sûre que ce soit plus clair…

  3. J’ai aimé « Forteresse de solitude » mais finalement pas assez pour lire d’autres Lethem. Et l’incursion du bizarre et du loufoque n’inspire pas vraiment mon esprit somme toutes très cartésien ! Ton avis me conforte dans la non-lecture de ce livre et ma PAL te remercie !

    1. Je précise quand même que l’auteur ne se livre pas à des acrobaties stylistiques ou typographiques (parce que je suis en train de lire L’Homme-Alphabet et que là pour le coup, c’est aussi complexe dans la forme que dans le fond…).

  4. Je ne connais pas ton blog depuis longtemps, Ys, je trouve que tu as des lectures vachement originales, et qu’on ne croise pas si souvent que ça les titres dont tu parles. Ca vaut déjà la peine de lire tes billets ! Peut-être que ce livre me plairait…

  5. des personnages, des longueurs, bouh, je passe.
    j’aime être loufoque, mais les histoires sans queue ni tête voire bizarroïdes… bof ou trop invraisemblable, avec des incohérences, comme un livre que je viens de lire.

    1. Ça n’est pas sans queue ni tête quand même… on suit des personnages, mais il y a ici et là des éléments étranges qui précipitent la fiction en dehors d’un cadre réaliste… il faut avoir envie, c’est certain…

  6. Je note le titre. Ca semble intéressant. Ca m’a l’air d’être dans la même veine que « American Psycho », non ? (cela dit, je n’avais pas aimé alors bon…)

    1. American Psycho fut pour moi un cauchemar, le pire livre que j’ai lu côté sensation, il m’a mise mal à l’aise comme jamais. Rien de tout ça ici, si ce n’est la superficialité des personnages.

  7. Personnellement, c’est une autre vision de la population bigarrée de New York qui ne serait pas pour me déplaire, contrairement à certaines blogueuses ! Tu compares l’auteur à Brett Easton Ellis et cela me tente d’autant plus … Et ton billet me rappelle étrangement (par le ton) « Neverwhere » de Gaiman ;-D Cette communauté singulière qui vit un peu en marge et s’intéresse surtout à leur petit univers fermé !

    1. Neverwhere est franchement plus décalé, c’est carrément un monde parallèle alors qu’ici, il s’agit bien de New York avec quelques touches d’étrangeté. Ça aurait peut-être été plus convaincant si le cadre avait été complètement loufoque…

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