Parmi les nombreux sujets qui intéressent l’écrivain américain Richard Powers, c’est le cerveau qu’il choisit ici d’explorer, sur un mode certes romanesque mais terriblement scientifique, parfois philosophique et volontiers politique. C’est dire si ce roman est dense, voire déroutant, à l’occasion bavard.
Une nuit d’hiver dans le Nebraska, Mark Schulter au volant de son camion quitte la route et se fracasse sur le bas-côté. Désincarcéré par les pompiers, il est transporté à l’hôpital où il se réveille après un long coma. Il s’avère qu’il souffre du syndrome de Capgras : il reconnaît bien ses proches, en l’occurrence sa soeur Karin, mais il pense que ce n’est pas sa soeur. Il est certain que cette dernière est retenue quelque part et que la femme à son chevet est là pour le tromper, le manipuler… Bientôt, il pense être victime d’un complot bien plus vaste. Karin n’est pas loin du désespoir : elle a tout abandonné pour être près de Mark, son logement, son travail et il la traite d’imposteur…
Elle décide de demander son aide à Gerald Weber, un éminent neurologue ayant écrit des ouvrages de vulgarisation à succès. Weber se rend dans le Nebraska car c’est pour lui une occasion unique de rencontrer un malade atteint de ce syndrome rare. C’est au moment de ce voyage que sort son troisième livre, le premier à être l’objet de critiques défavorables dans les journaux : Weber ne traiterait ses malades que comme des cas, afin d’alimenter ses recherches, jamais comme des patients à soigner. Weber entame alors un processus de remise en cause accentué par sa rencontre avec Mark, Karine et Barbara, une aide-soignante totalement dévouée aux malades. En un an que durera cette histoire, Weber fera trois voyages dans le Nebraska qui le transformeront pour toujours. Il ne sera d’ailleurs pas le seul à changer pendant cette période puisque les répercussions du 11 septembre vont aussi bouleverser le pays, tandis que les promoteurs immobiliers s’acharneront à détruire ce paysage qui depuis toujours accueille les grues au moment de leur migration vers le Nord.
Ce roman touffu fonctionne sur plusieurs plans symbolique et il faudrait bien plus qu’un simple billet pour en venir à bout. Le fil conducteur reste les altérations qu’un être vivant peut subir suite à un traumatisme. Richard Powers s’immisce dans le cerveau humain qu’il ouvre et décortique, et la trépanation s’avère vertigineuse. Beaucoup de termes scientifiques, de cas aux symptômes aberrants et néanmoins avérés, bref de termes et d’explications médicales complexes que l’auteur explicite le plus souvent clairement. Ces caprices du cerveau sont passionnants à suivre et laissent pour longtemps encore ouverts de vastes terrains d’expérimentation. Passionnants aussi les débats entre neurologues et psychiatres, entre les tenants du médicament et ceux de l’esprit, entre le traumatisme physique et les séquelles psychologiques. Est-ce uniquement parce qu’une partie bien précise de son cerveau a été endommagée que Mark ne reconnaît plus sa soeur ? N’y aurait-il pas une raison plus profonde liée à leur commun passé ? Powers ne tranche pas, il explicite.
Heureusement pour le lecteur, ces données scientifiques ne donnent pas lieu à un pavé insipide et pseudo médical. La chambre aux échos bénéficie d’une intrigue en forme de thriller puisque Mark n’aura de cesse de chercher qui a causé son accident en l’effrayant sur la route et surtout qui a laissé un étrange message sur la table de chevet de son lit d’hôpital. C’est la caution romanesque du roman qui passe aussi par les déboires psychologiques du docteur Weber qui m’ont nettement moins passionnée. J’ai trouvé le personnage pathétique, ses préoccupations éditoriales et sentimentales me paraissant plutôt factices. L’aspect le plus intéressant du personnage reste sa remise en cause professionnelle, qui va l’amener à considérer ses patients comme des êtres humains dignes de sa compassion.
Qui trop embrasse mal étreint, dit-on : neurologie, psychologie, politique, philosophie, écologie… Richard Powers s’est attelé à plusieurs sujets, recevant en 2006 le Man Booker Price. J’ai trouvé certains passages trop longs, mais peu au regard de ces sept cents pages. Et contrairement à ce que j’appréhendais, les données scientifiques ne s’avèrent pas complexes car l’auteur explique clairement les termes et concepts qu’il utilise. J’ai apprécié que ce livre n’assène pas des affirmations sur le cerveau mais ouvre plutôt le lecteur sur l’étendue des recherches en cours. C’est aussi vertigineux que passionnant et instructif.
Richard Powers sur Tête de lecture
La chambre aux échos
Richard Powers traduit de l’anglais par Jean-Yves Pellegrin
Le cherche midi, 2008
ISBN : 9782749109374 – 480 pages – 23,35 €
The Echo Maker, parution aux Etats-Unis : 2006
Il me le faut !
Bonne lecture 🙂
J’ai emprunté Générosité de cet auteur … ce sera ma découverte de Richard Powers et je verrai si j’accroche mais le sujet de La chambre aux échos me plait bien aussi !
Générosité est aussi dans ma PAL…
Je le relirais bien, tiens… (700 pages? t’es folle, des fois ^_^) Bon, on dira plutôt les fermiers vont au bal….
Hors sujet ! t’as vu, il y aura craig Johnson à la boite à livres le 22 novembre?
Oui, j’ai vu ça ! D’ailleurs il y a souvent des écrivains très médiatiques dans cette librairie très active, le TGV doit y être pour quelque chose…
Je vais voir les horaires des trains sur ma ligne TER, on ne sait jamais…
J’avais essayé « Le temps où nous chantions » et j’ai laissé tomber. Pourquoi pas essayer celui-ci? (Réponse à moi-même: parce que je manque de temps pour lire tout ce que je voudrais)
On en est tous là : on court après le temps, on lit beaucoup mais pas encore assez car lire démultiplie l’envie de lire… c’est chouette, on peut sans problème y passer sa vie !
J’avais tenté un précédent Powers (Le temps où nous chantions), mais je ne l’avais pas terminé. Longueurs..
Peut-être retenterai-je avec celui-ci . (Des fois c’est juste pas le bon moment)
Certains passages ont assez long dans celui-là aussi (par exemple les grues à chaque début de chapitre…), mais l’ensemble est tellement intéressant que ça ne fait rien (et j’avoue avoir sauter les passages sur les grues au bout d’un moment…).
J’ai aimé Générosité, donc pourquoi pas ?
En effet pourquoi pas, Générosité sera certainement mon prochain.
tout ce qui touche au cerveau m’intéresse particulièrement… Je n’ai jamais lu Richard Powers, pourtant je n’ai lu que des éloges ici et là sur les blogs… Je crois que « la chambre aux échos » va vite être lu donc 🙂
Alors ce livre est pour toi, il fourmille vraiment de trucs complètement hallucinants sur le cerveau, c’est incroyable ce qu’on tourne mal dès qu’il nous en manque un bout 🙂
« Qui trop embrasse mal étreint, dit-on : neurologie, psychologie, politique, philosophie, écologie… »; « sept cents pages ».
Une lecture qui, à en lire ta critique, m’évoque peut-être à tort Les veilleurs de Vincent Message… On en est loin?
Pas le même genre, ici on est vraiment dans la science pure et dure, avec l’évolution des recherches sur le cerveau, les querelles et derniers essais en la matière.
Il est dans ma PAL depuis trop longtemps ! Merci pour ton avis.
J’espère vraiment contribuer à l’en faire sortir.
Ce roman est inscrit à ma lal depuis quelques temps.
Alors n’hésite pas à le lire, je te le conseille vraiment.
Ce roman m’attend sagement sur les étagères de ma bibliothèque. A vrai dire, je redoute un peu ce premier rendez-vous avec le grand Richard…
Le style est simple, c’est le propos qui est complexe, mais rien d’insurmontable, et on en apprend beaucoup.
J’hésite j’hésite… J’avais bcp peiné avec Le temps où nous chantions même si le livre est magistral.
Il est certain qu’il faut avec cet auteur s’attendre à une lecture roborative, pas de la détente, alors il faut être dans de bonnes dispositions, moi, c’était cet été, en août, avec tout mon temps pour lire au soleil.
je ne le tenterais pas car contrairement à la majorité, je n’ai pas accroché à son autre roman qui a eu du succès mais je le note pour ma fille a qui il devrait plaire pour diverses raisons.
Eh bien tu vois, je l’avais acheté pour ma fille ce livre, mais elle n’est pas allée plus loin que le vol des grues du départ… finalement, mon mari et moi l’avons lu cet été pendant qu’elle ne lisait rien…
j’avais adoré « le temps où nous chantions »; celui-ci me tentait aussi et ton billet me redonne envie.
Si tu aimes cet auteur alors ce livre ne devrait pas te décevoir.
J’ai eu l’occasion de bâiller à des longueurs certaines dans les précédents (ou suivants) romans de Richard Powers, mais je garde toujours une petite envie de lire celui-ci, à cause du thème qui est très intéressant. 🙂
Je ne crois pas avoir baillé, mais il est certain que parfois, il en fait trop dans les détails…
Comme quoi, la vie d’un livre est surprenante 🙂 je viens de lire un livre que j’avais offert à ma fille et que j’ai beaucoup aimé. un livre qui m’a permis je pense de sortir de ma panne lecture !
Dans ma pile depuis sa sortie en anglais. Il faut que je m’y mette. Le côté scientifique ne me fait pas peur, étant donné que c’est quand même proche de ce que je fais dans la vie mais Powers est un auteur qui me demande toujours toute ma concentration. J’aime généralement beaucoup, par contre…
Il est effectivement absolument nécessaire de rester concentré, car on peut vite perdre le fil…
Après m’être laissée enchantée par « Le temps où nous chantions », j’ai emprunté ce titre récemment à la bibliothèque. Le côté scientifique me fait un peu peur tout de même…
Il n’est pas interdit de sauter quelques passages… moi, c’étaient les grues…
Du coup, après ton commentaire, je suis venu voir ce que tu avais lu de Richard Powers. Celui ci aussi est bien tentant !
Et en remontant dans tes billets littérature américaine, j’ai vu que tu as déjà lu pas mal de titres qui sont dans ma PAL ^^