Le gang de la clef à molette d’Edward Abbey

couv rivièreUn peu de nature sur ce blog, de grands espaces et, disons-le, d’écologie. Mais pas de l’écologie à la petite semaine, avec tri des déchets et autocollant « A bas le nucléaire », non. Edward Abbey met en scène des terroristes de l’écologie, ceux que les grands moyens n’effraient pas.

Ils sont quatre dans ce fameux gang, trois hommes et une femme qui se sont rencontrés par hasard  : Seldom Smith, trente-cinq ans, organise des descentes de rivière sur le Colorado, Doc Sarvis, la cinquantaine et sa secrétaire-infirmière-chauffeur-maîtresse d’à peine trente ans participent à l’une d’entre elles. George Hayduke, de retour du Vietnam, est un amoureux des grands espaces et un chien fou qui ne supporte pas l’autorité. Il sera leur moteur, leur lien. Doc Sarvis et Bonnie qui n’avaient rien fait de pire que d’incendier des panneaux publicitaires au bord des routes vont se transformer en hors-la-loi, maniant armes à feu et explosifs.

Fin des années 70, début des années 80, le visage de l’Amérique change. Même les grands espaces de l’Ouest ne sont plus à l’abri de l’industrialisation, de la technologie à outrance et du profit. Le Colorado ne suit plus son cours millénaire et nos justiciers ont décidé de faire sauter le barrage de Glen Canyon, tout simplement. Ils s’entraînent d’abord, font sauter des ponts, détruisent des clôtures et surtout des engins de chantier. Quelle joie de remplir de sable réservoirs et moteurs ! Une joie presque puérile qui témoigne d’une certaine immaturité. Car enfin,  les chevaliers de la nature d’Edward Abbey n’hésitent pas à balancer leurs canettes de bière par les fenêtres de leur véhicule, sont bien contents de se déplacer en voiture, en avion et de consommer les produits fabriqués par l’industrie alimentaire américaine. Ils ne s’éclairent pas à la bougie, ne se déplacent pas à cheval et ne mangent pas les produits de leur ferme… Des contradictions donc, mais aussi des ennemis : ils sont bientôt recherchés et doivent se montrer de plus en plus prudents dans leurs sabotages, le jeu devient dès lors dangereux.

C’est drôle, un peu long parfois, et vue d’ici, rempli de mauvaise foi. L’Amérique n’est pas belle vue par le gang de la clé à molette. Les pires je crois que ce sont les Indiens, les mêmes Indiens que ceux de Tony Hillerman, décrits dans des termes qui n’ont rien à voir. Ceux d’Edward Abbey sont sales, fainéants et à moitié dégénérés, c’est à se demander ce qu’il avait contre eux… Gageons qu’en 1975, le discours politiquement correct n’était pas encore de mise. L’attitude du gang est aussi marquée par l’égoïsme, ou au moins un certain individualisme, un désintérêt pour la communauté en dehors de la sienne propre. Edward Abbey montre l’extrémisme, s’en moque sans le condamner pour autant puisqu’il passe par des personnages tout en fêlures, en idéaux brisés. On peut en rire, jusqu’à ce que tout ça tourne bien mal.

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Le gang de la clef à molette

Edward Abbey traduit de l’anglais par Pierre Guillaumin
Gallmeister, 2005
ISBN : 978-2-35178-002-2 – 486 pages – 24.50 €

The Monkey Wrench Gang, parution aux États-Unis : 1975

34 commentaires sur “Le gang de la clef à molette d’Edward Abbey

    1. Je pense que Abbey se moque aussi de ses personnages qui ne sont pas des modèles d’action écologique. C’est aussi d’ailleurs pour ça que le livre est encore lisible, grâce à cette distance ironique. S’il en avait fait des défenseurs parfaits de la cause écologique, il serait ennuyeux aujourd’hui, je crois. Ceci dit, ce n’est pas forcément mon humour, et si je les ai trouvés bien sympathiques, ils sont aussi lassants au bout d’un moment, la course-poursuite finale est en particulier assez longue.

    1. Je suis contente d’avoir lu ce livre, d’avoir découvert cet auteur, mais je ne vais pas me jeter sur le second volume tout de suite. C’est drôle mais quand même assez répétitif.

  1. Quand j’ai lu le titre dans mon GR, j’ai dit « non?! » (impossible de te faire sentir l’intonation… ^_^)
    Moi aussi le coup des canettes de bière, ça passe mal, mais bon, ils sont bruts de décoffrage et un peu immatures parfois. Pour modèle de Hayduke, Abbey a choisi Peacock, ancien du Vietnam et actuellement défenseur des grizzlis.
    Dans le second volume (oui, rien ne presse) Abbey justement se moque de certains rassemblements écolos…
    Si tu veux du plus subtil et très sympa, tu as le feu sur la montagne (toujours d’Abbey)
    Merci de ton billet! Peut être pas le meilleur roman d’Abbey (Désert solitaire, recueil de textes est une splendeur) mais bon, Paris ne s’est pas fait en un jour)

    1. Il m’arrive de m’aventurer parfois ailleurs, un peu loin de mes lectures de prédilection (et pas tout à fait de mon plein gré, il faut bien l’avouer…). Cette lecture ne fut pas désagréable, j’ai souris bien des fois, mais enfin, c’est un peu daté parfois.

    2. Effectivement, Ed Abbey est un grand auteur du Nature Writing. Bien qu’il ait eu des rapports sulfureux avec la société, les femmes, les noirs, les amérindiens, les villes, etc il a l’art de tourner en dérision aussi bien ses travers misanthropes que les dérives de la société. C’est surtout ainsi qu’il faut le prendre, par son regard ironique. A lire aussi absolument pour mieux comprendre le personnage, et toute la controverse qu’il a su alimenter : Confessions of a Barbarian, une compilation de ses journaux intimes (qu’il a tenu pendant plus de 60 ans !), The Fool’s Progress, qui est une autobiographie.
      Mais il n’a pas fait que de la littérature, il s’est aussi beaucoup investit dans la défense des espaces sauvages. D’ailleurs, son Gang de la clé à molette a inspiré la création du groupe d’activistes extrémistes Earth First!.

  2. Intéressant,quoique l’auteur me semble assez roublard et paraît plus critique qu’autre chose vis à vis de ses « héros », dont il montre surtout les limites.
    Est ce son vrai nom ? Pour moi, qui ai écouté des centaines de fois le fameux album des Beatles, c’est comme un clin d’oeil, ça fait « tilt ».

    1. Tout à fait, Abbey ne semblait pas être un intégriste de l’écologie et ça, j’apprécie. Et ma foi, il semble bien que c’était son nom, il y en a qui ont de la chance…

  3. J’ai eu quelques bémols suite à ma lecture de ce roman cependant, j’avoue avoir retiré quelques bons moments de lecture.

    Et n’oublions pas que ce roman a été publié il y a 36 ans … Les mentalités ont changé … l’écriture aussi !
    Amitiés
    Merci !!

  4. J’ai fait l’expérience de ce gang il n’y a pas longtemps, poussée par Keisha (lol), et je ne regrette pas cette découverte de cette équipe un peu folle et improbable. Il y avait des passages truculents et mémorables, même si dans l’ensemble, j’ai ressenti aussi certaines longueurs et surtout, Hayduke m’énervait à toujours vouloir tout faire sauter. Mais j’ai fini par m’attacher…

    1. C’est un excité ce Hayduke, Abbey n’en fait d’ailleurs pas un modèle à suivre. C’est un macho en plus, buveur de bière (les cannettes sur la route, c’est lui !), et vulgaire avec ça… bref, celui-là, il n’est vraiment pas attachant 🙂

  5. ça existe encore, les autocollants « halte au nucléaire » ? 😉 Je dois pourtant déjà avoir croisé cet auteur dans les rayons de la bibliothèque, je n’ai pas encore franchi le pas, et pourtant les incitations ne manquent pas !

  6. J’ai mis beaucoup de bémols et je n’ai pas eu du tout envie de lire la suite, trop de répétitions, une vision des indiens raciste et sans concession..etc..etc.. de l’anarchie pour l’anarchie pour ensuite faire du fric avec….

    Le Papou

  7. Grâce à Keisha (en même ça ne peut pas en être autrement, je crois ^^) j’ai découvert Edward Abbey avec « le Feu sur la montagne », un coup de coeur pour moi. Celui-ci me semble assez différent dans le ton…

  8. J’aime quand on se retrouve sur certains des livres que j’ai vraiment aimé. J’ai lu avec un énorme plaisir les 3 livres que j’ai trouvé de Abbey. On entre légé avec un medecin Babacools illuminé écolo et sa secretaire amoureuse qui brulent des paneaux publicitaire puis on glisse progressivement vers la guerrilla brutale avec mort d’homme, donc vers l’ècologie extrême.
    Il y a beaucoup plus qu’un roman dans cet oeuvre mais une vrai réflexion sur l’écologie. Je vous conseil le livre de JC Rufin: Le parfum d’Adam, le roman très de l’extrèmisme ècolo, et là on arrête de rigoler, la lecture des 5 pages (?) de notes a la fin mérite une lecture attentive. Plus complet encore sur le sujet, Luc Ferry: Le nouvel ordre écologique, mais nettement plus lourd et hermétique!
    Pardon, je m’envole mais c’est un sujet passionnant et Abbey avec humour ouvre discretement une porte étonnante mais aussi effrayante si on pousse un peu plus loin que l’auteur ne le fait!

    1. Rha, je suis un peu fâchée avec Rufin, déjà lu un livre (Globalia) que j’ai trouvé hautement prétentieux et terriblement raté. Mais c’est vrai que le sujet est passionnant, comme souvent les dérives d’un mouvement qui commence sur des bases généreuses (il n’y a qu’à voir le christianisme, mais là aussi, je m’égare…).

  9. Déjà noté depuis un moment mais souvent sorti à la biblio (ou alors c’est moi qui suis maudite et qui y vais à chaque fois qu’il est emprunté !). Mais je ne désespère pas … je le lirai bien un jour 🙂

  10. Bonjour,

    J’ai découvert un peu par hasard Le gang de la clef à molette.
    Grande découverte vu que j’ai lu le bouquin en une nuit ! J’ai sur le coup trouvé les aventures de ces pieds nickelés désopilantes, j’en rigolais tout seul dans mon lit !
    Je n’ai pas trouvé en fait qu’il etait tant question d’ecologie, peut-être parce que celle-ci est devenue culbabilisante alors que les aventures de notre quatuor sont avant tout hilarantes, sans moralisation excessive…
    À l’inverse, j’ai – même si je l’ai aimé – beaucoup moins apprécié Hayduke lives!, la « suite »… Franchement j’ai trouvé qu’il faisait trop leçon de morale d’un « vieux con » !
    Bonne lecture à tous et toutes !

    1. Merci pour cet avis. C’est vrai qu’on tir bien, un peu jaune parfois… et l’écologie vue par Abbey, c’est peut-être le plus drôle de tout.

      1. Bonjour,

        je vais un peu affiner mon analyse car je me rends compte que j’ai peut-être été un peu succint sans mon 1er post…
        Deja, il me semble que beaucoup de commentaires proviennent de lecteurs connaissant deja Edward Abbey (c’est vraiment son nom) ou ayant un rapport plus ou moins proche avec l’écologie. D’où des critiques pas toujours totalement objectives, ceci dit sans aucun jugement de valeur.
        J’ai pour ma part abordé ce livre comme un roman lambda, et je dois dire que l’ecologie n’est pas trop ma tasse de thé, je trouve en effet un peu gros que la génération qui a gaspillé et pollué sans compter avant nous nous demande – ou plutôt nous oblige – maintenant à payer et faire des efforts pour « préserver la planette » commer ils disent…
        En fait d’éco terrorisme on devrait surtout commencer par confisquer toutes les grosses fortunes constituées depuis la révolution industrielle jusqu’à nos jours par des familles ou entreprises qui ont joyeusement bouzillé la planette !
        Les écologistes n’ont pas plus grace à mes yeux, ils sont surtout occupés à se bouffer le pif et à surenchérir dans des propositions délirantes… Quoique à leur décharge – c’est le mot ! – ils ont ces derniers temps une petite tendance à devenir plus pragmatiques.
        Pour en revenir au bouquin, je l’ai donc lu comme un roman d’aventures, et mis à part quelques longueurs je l’ai trouvé très bien écrit, très drôle, et surtout superbe dans son aspect descriptif, à tel point que je me croyais dans un film. Il est d’ailleurs surprenant qu’il n’ait jamais été adapté au cinéma à ce jour, mais un film est prévu pour 2013 si mes infos sont exactes.
        Quelques esprits chagrins déplorent des canettes de bière sur la route et un traitement un peu à la hache du peuple indien, je crois pour ma part que cela est tout à fait représentatif des contradictions de l’Amérique, on
        n’agit pas toujours comme on voudrait que les autres agissent, et pour les indiens il faut éviter de les mettre sur un piédestal, eux aussi ont leurs travers et je crois qu’Abbey a surtout voulu montrer que tout n’est pas blanc ou noir. Et au final de façon assez drôle, n’en déplaise aux esprits bien pensants !
        Il n’y a d’ailleurs pas que les indiens qui trinquent, les écolos, les milices plus ou moins privées, les religions improbables, et même nos quatre « bandits » en prennent pour leur grade !
        En conclusion je pense qu’Edward Abbey a voulu depeindre son univers terriblement beau en y contant la vie de gens terriblement ordinaires, et son génie est peut être de réussir par ce contraste à magnifier la nature.

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