Le Messie du peuple chauve d’Augustin Guilbert-Billetdoux

Augustin Guilbert-BilletdouxSi vous avez un homme à la maison, un vrai, alors vous savez comme il est à la fois fort et fragile. Car l’homme est là pour rassurer, pour défendre. Près de lui, on ne craint rien. Mais l’homme est aussi l’objet des ruses de dame Nature : il peut s’enrhumer,  tousser ou pire, avoir mal à la tête… c’est pourquoi, quand il souffre, l’homme grimace, pousse des petits cris qui sont autant d’appels au réconfort, laisse trainer la boîte de Doliprane, oubli censé provoquer la question tant désirée sur son état de santé. Pour le faire court, l’homme aime être plaint.

Alors quand l’homme découvre les premiers cheveux sur l’oreiller un matin au réveil, c’est un scandale, une catastrophe, une fin du monde pour bientôt : comment va-t-il survivre sans ses cheveux ? La lamentation, réjouissante ici, commence.
A force de vulgarité à deux balles, on a bien trop tendance à placer, nous les femmes, la virilité des hommes à un endroit situé en-dessous de la ceinture. Que nenni. C’est dans ses cheveux que l’homme puise sa masculinité. Ainsi, quand Bastien Bentejac, vingt-cinq ans, se voit diagnostiquer une alopécie androgénogénétique (comprenez, chauve avant qu’il soit longtemps), amputations et tumeurs font pale figure au catalogue de l’incurable. Il plaque sa petite amie avant d’avoir à subir la honte du chauve plaqué, démissionne de son boulot d’avocat et s’engage dans une ONG, Vert de Terre, car à défaut de quitter ce monde, il souhaite au moins partir très loin. Le voilà donc au Mont Abu, en Inde, où a lieu un sommet international sur le climat. L’enjeu n’est rien moins que la réduction de 40% des gaz à effet de serre pour la survie de la planète.

On l’aura je l’espère compris, ce premier roman d’Augustin Guilbert-Billetdoux commence très fort sur un délire drôle et assumé, touchant aussi, de l’homme moderne qui voit sa statue renversée par un caprice de la Nature. Cet homme qui se croyait puissant ne peut rien contre la malédiction qui le frappe, il aura beau multiplier les charlatans et les scientifiques : chauve il sera.

Tant que mes cheveux se maintiennent grâce au traitement, je vivrai, avec la sensation que le temps m’est compté, mais avec un appétit de vie intact. Seulement, le jour où cette drogue ne fonctionnera plus… je vis dans la hantise de ce jour… je suis en sursis dans ce monde pour quelques années seulement, dans ces conditions, comment entreprendre au présent… je pourrais graver dans l’eau que personne ne me verra jamais pelé… je mourrai avec mes cheveux parce que je veux mourir vivant…

Il en fait trop Bastien, et c’est pour ça qu’il fait sourire. Ajoutez à ça une évidente jouissance du langage qui se déploie en jeux de mots et métaphores, parfois alambiquées mais drôles. En quelques pages, cet Augustin Guilbert-Billetdoux se révèle un antidote efficace contre la morosité.

C’est pourquoi j’ai été assez désarçonnée par la seconde partie de ce roman de Augustin Guilbert-Billetdoux qui nous emmène au Mont Abu, pour le fameux sommet. Le ton est toujours globalement humoristique mais les développements climatiques, tout à fait sérieux, m’ont semblé vraiment longs et inappropriés. Est-il question d’un chauve mégalomane ou du réchauffement de la planète ? Les deux, c’est certes possible, mais la juxtaposition artificielle des deux sujets ralentit le rythme et gâche le ton de départ si jubilatoire dans la lamentation. Certains développements lors des réunions de délégués sont bien trop longs et plombent le dynamisme d’une narration pourtant très enlevée.

Reste bien sûr la vocation christique de Bastien qui endosse le rôle de Messie puisque que ni la littérature, ni la science ne peuvent plus rien pour le peuple chauve, abandonné à lui-même, telle notre pauvre planète, nous explique Augustin Guilbert-Billetdoux.

Alors organisons-nous ! Déracinons ensemble l’arbre de l’alopécie ! Accrochons aux fenêtres des drapeaux roux comme la fourrure du renard ! Créons une fondation ! Finançons la recherche ! Qu’en 2020 nos enfants regardent les portraits des chauves en riant aux larmes…

Hisser l’alopécie androgénogénétique au rang de cause mondiale tient du grotesque réjouissant. Mais n’en doutons pas, l’exagération laisse entendre quelques accents de sincérité, l’écho du cri des chauves du monde entier quotidiennement blessés par le regard d’arrogants chevelus…

 

Le Messie du peuple chauve

Augustin Guilbert-Billetdoux
Gallimard, 2012
ISBN : 978-2-07-013577-6 – 241 pages – 18 €

29 commentaires sur “Le Messie du peuple chauve d’Augustin Guilbert-Billetdoux

  1. C’est marrant, en lisant ton commentaire je me demandais aussi pourquoi ces deux sujets avaient été traités dans le même roman. Pourtant cette fameuse première partie me donne envie de le lire, ne serait-ce que pour confirmer le sourire que j’ai esquissé en lisant ton résumé ! hihi ! Puis , bon, comme tout le monde je crois, il m’a semblé reconnaitre quelqu’un dans cette description …. ( le mien n’est pas encore parti au Mont Abu!)

    1. Si tu peux lire ce début, je suis sûre que tu apprécieras car la langue est belle et riche. Et puis peut-être que tu feras comme moi : j’ai commencé puis j’ai suivi ce Bastien jusqu’au bout, même si…

  2. Je crois que je me contenterai également de ton billet… Tu nous donnes l’essentiel…dans le cas de ce livre-là, ça semble pouvoir nous dispenser d’une lecture peut-être pas « fastidieuse » mais en tout cas loin d’être indispensable !

    1. Ce qui me semble nécessaire, si on s’intéresse un peu aux jeunes écrivains, c’est de découvrir Augustin Guilbert-Billedoux, avec ce sujet farfelu et donc un texte original. Malgré les longueurs, ça m’a plu. Mais par exemple, je viens aussi de lire Touriste de Julien Blanc-Gras (billet à venir), qui n’en est pas à son premier roman mais est jeune aussi et a choisi l’humour, eh bien c’est beaucoup plus réussi, sans rupture de ton même si ce roman aborde aussi des sujets sérieux. Je crois bien que ma lecture d’Augustin Guilbert-Billedoux a pâti de celle de Julien Blanc-Gras…

      1. Et oui…c’est parfois le problème quand on enchaîne les lectures. ça m’arrive parfois et du coup, je me dis qu’ainsi je passe peut-être à côté de certaines. J’essaye donc d’alterner les genres / styles le plus possibles, mais ce n’est pas pour cela que c’est évident !
        En tout cas, j’attends ton billet sur « le touriste » et suivrai d’un œil l’évolution d’Augustin 😉 !

  3. J’aime le style que reflètent les extraits que tu as choisis. En fait, j’aime quand l’humour se glisse dans la littérature… pourtant, qu’il est difficile de faire sourire (voire rire) sans faire de concession au style! Ton billet me donne envie (les 1eres phrases m’ont fait rire!)

    1. A l’heure où l’humour, c’est avant tout la vulgarité (je parle de la télé et des prétendus – et aussi soi-disant – humoristes actuels), j’apprécie particulièrement ces écrivains qui manient si bien la langue et le style. C’est un vrai plaisir, rare.

  4. Chauve qui peut, quoi!
    Bon, pourquoi pas ce roman, mais je lis en commentaire que tu as préféré Touriste, et là, je suis complètement d’accord, ce livre n’a qu’un défaut, trop court!!!

  5. Effectivement il y a une certaine proximité, d’un côté un Chateaubriand fière de sa chevelure et content de son coiffeur et de l’autre ton héros pris dans les affres griffues de l’alopécie
    Dommage qu’il ne tienne pas ses promesses totalement, c’est en tout cas assez réjouissant comme sujet car les cheveux ont une importance énorme pour ces messieurs …et pourtant les chauves ont un certain charme 🙂

    1. Qu’est-ce qui est le plus important : les cheveux ou le regard des femmes sur les chauves ? j’ai appris un tas de truc, que certains hommes préfèrent utiliser des médocs qui peuvent les rendre impuissants pour conserver leurs cheveux… l’apparence avant tout, c’est inquiétant et même pathétique…

  6. Excellent billet, qui nous emmène au coeur de l’humour grotesque que semble caresser l’auteur !! On songe au travers de ces extraits à certains que nous connaissons bien 😉

    1. Quand on voit tous les produits de beauté, maquillage etc. faits pour les femmes, on oublie que les hommes aussi soignent leur apparence. Quand ça tourne à l’obsession, ça devient effectivement assez grotesque…

  7. Merci pour ce billet réjouissant ! Les romans plein d’humour ne sont pas si fréquents. Dommage que celui-ci ne tienne pas sur la longueur. Je jetterai un œil quand même.

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