Dites-nous comment survivre à notre folie de Kenzaburô Oé

Dites-nous comment survivre à notre foliePuisque le Salon du livre de Paris 2012 accueille le Japon et que Kenzaburô Oé, prix Nobel de littérature âgé de soixante-dix-sept ans sera du voyage, je me suis dit, pourquoi pas. Malgré mon manque d’affinités avec la littérature japonaise, j’ai entrepris en confiance la lecture de Dites-nous comment survivre à notre folie, recueil de longues nouvelles qui, d’après ce que j’ai lu ici et là, retracent bien l’univers de l’auteur. Il y est en effet souvent question d’enfant handicapé, de rapports père-fils mais aussi mère-fils ; le corps est aussi très présent (le corps obèse, le corps malade, le corps souffrant). Ce qui m’a semblé au cœur de ces textes, c’est la place de l’homme différent dans la société moderne. Qu’ils soient Noirs, malades physiquement ou psychologiquement instables, les personnages de Kenzaburô Oé souffrent parce qu’ils sont regardés comme des anomalies. Certains trouvent refuge dans l’illusion qui leur permet de fuir l’hostilité des autres.

Pendant la guerre, un avion ennemi s’écrase près d’un village japonais très retiré. Un des occupants a sauté en parachute : il est recueilli par les villageois. Stupéfaction : l’homme est noir. Il est enfermé dans la cave de la maison du petit narrateur qui est comme les autres, effrayé par cet homme, cette bête. Le soldat est attaché par le pied et on ose à peine s’approcher pour lui donner à manger. Par contre, on se presse au soupirail pour le regarder, bien à l’abri. Peu à peu, l’enfant comprend que d’avoir cet homme chez lui lui confère une certaine prestance. Aller vider le tonneau dans lequel il fait ses besoins devient un privilège. En attendant de savoir ce qu’ils doivent faire de cet homme, les villageois « l’apprivoisent » petit à petit : ils s’approchent, surtout les enfants, lui parlent sans crainte et bientôt, lui ôtent sa chaîne (que d’ailleurs il répare). Il leur apparait bientôt que ce Noir sait tout faire comme un vrai homme, même sourire. Quelques jours encore et le soldat noir se baigne avec les enfants à la source qui alimente la fontaine du village.

Le héros obèse de cette nouvelle est à la fois fils et père. Fils d’une mère qui le calomnie auprès des autres membres de la famille, qui l’insulte en lui disant qu’il ne vaut pas mieux que son père, mort fou et reclus, et dont lui le fils, veut écrire la biographie. Mais elle lui a volé ses notes. Père d’un petit garçon de quatre ans, Mori, né handicapé mental, qui ne perçoit rien du monde qui l’entoure, en raison de sa déficience mais aussi parce qu’il a une très mauvaise vue. Le père voudrait être le lien entre le monde et son fils, il voudrait que par lui cet enfant sente le monde et sa diversité. Il l’emmène au zoo, lui décrit les animaux, mais y rencontre un groupe d’hommes malintentionnés qui veulent rire à ses dépends en l’envoyant dans la fosse aux ours blancs.

Alors qu’il est âgé de 18 ans, le narrateur est chargé de « tenir compagnie » à un compositeur. Son père, un riche banquier, s’inquiète en effet de la santé mentale de son fils qui prétend voir une sorte de gros monstre de la taille d’un kangourou qui lui rend parfois visite et avec lequel il discute. Le narrateur comprend bientôt que ce fantôme symbolise la présence de son bébé, mort à l’hôpital à sa naissance par sa faute (le médecin à faussement pronostiqué une tumeur au cerveau et le père a accepté qu’il meure plutôt qu’il vive handicapé).

Je préfère ne même pas résumer la quatrième nouvelle intitulée « Le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes » tant elle me laisse dubitative. Il y est question d’un homme qui se veut atteint d’un cancer et qui dicte ses mémoires à une infirmière (qu’il appelle son exécutrice testamentaire)  car il veut se persuader qu’il va mourir sous peu.
A l’évidence, je suis restée en dehors de ces textes. Je ne sais quels sont les effets recherchés, je ne sais pas si ces textes sont touchants, mais les sujets étant particulièrement forts, personnels même, je crois qu’une certaine émotion devrait surgir à la lecture. Rien de tout ça dans mon cas, car j’ai dû d’abord batailler pour lire ces nouvelles au style assez complexe, en particulier pour la dernière. Cette lecture laborieuse ne m’a donc pas aidé à les apprécier. J’ai nettement préféré la première qui parle de l’innocence et de la fin de l’enfance par le brusque surgissement de la guerre dans un univers préservé.

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Dites-nous comment survivre à notre folie

Kenzaburô Oé traduit du japonais par Marc Mécréant
Gallimard (Folio n°2792), 2005
ISBN : 978-2-07-039478-6 – 372 pages – 7.80 €

Warera no Kyoki wo ikinobiru michi wo oshe yo

30 commentaires sur “Dites-nous comment survivre à notre folie de Kenzaburô Oé

  1. Je me souviens avoir tenté de lire ce recueil de nouvelles il y a plusieurs années. Je ne crois pas avoir réussi à le terminer. Depuis, je n’avais pas retenté la lecture de cet auteur, à part les Notes de Hiroshima que je viens de lire et qui m’ont passionnée. Mais ces notes ne sont pas de la fiction, ce qui les rend peut-être plus accessibles …
    Je ne me souvenais plus que tu avais organisé une lecture commune autour de cet auteur, sinon je me serai évidemment jointe à vous.

  2. Pourtant le titre me plaisait beaucoup, les thèmes aussi. Visiblement, on a un peu le même problème avec la littérature japonaise et si tu dis que le style est compliqué, je ne vais pas essayer maintenant cet auteur.

    1. Moi aussi, le titre me plait beaucoup. Ma lecture a été laborieuse, mais je suis assez hermétique à la littérature japonaise donc mon avis est assez partial.

  3. Les librairies exposent beaucoup d’ouvrages d’auteurs japonais pour le futur Salon du Livre. J’ai lu le roman inédit de Kawabata et je vais sûrement acheter Les lectures des otages de Yokohama Ogawa. J’aime assez le fond des nouvelles que tu retracés, maintenant si le style ne laisse pas passer l’émotion sur de tels sujets, c’est embêtant.

    1. Je viens de lire le dossier dans le magazine « Lire », il y a des titres tentants, c’est certain, mais du résumé par une personne qui apprécie ce genre de littérature, au livre, il y a toujours une différence…

  4. je viens d’acheter « arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants » de Oé.

    le titre m’a plu et je n’ai jamais lu d’auteur japonais ….. même pas MURAKAMI ….. j’ai honte …… enfin….juste un peu …

    1. Si c’est de Haruki Murakami dont tu parles, c’est le seul auteur japonais que je lis avec plaisir, avec grand plaisir même dans le cas de Kafka sur le rivage : un très grand livre.

  5. A propos de littérature japonais, je la connais mal mais j’ai beaucoup aimé les premiers romans de Yokohama Kawabata et le seul livre de Murikami que j’ai lu : Kafka sur la plage. J’aime ce mélange d’onirisme et de réalité et le fait qu’il n’y ait pas de frontière entre les deux. Pour Kenzaburo Ôé, Gibier d’élevage est excellent au niveau de l’écriture, des thèmes et de la description des mentalités. Ce qui rebute, c’est que les êtres humains, pas seulement le noir, les villageois aussi, sont décrits comme des animaux, dans leur aspect primitif. C’est assez déstabilisant.

    1. J’ai beaucoup aimé « Kafka sur le rivage », l’étrangeté de Murakami n’est pas un obstacle à la lecture, à la mienne en tout cas. ce qui me gêne chez les auteurs japonais je crois, c’est la froideur, l’absence d’émotions…

  6. J’ai quelque part dans mes étagères « Lettres aux années de nostalgie » 466 pages écrites bien petit, il faudrait que je le parcoure pour me souvenir de quoi il retourne… Je ne crois pas l’avoir fini…

  7. « Gibier d’élevage » est une nouvelle difficile. Je l’ai lue car elle a été publié en Folio à 2€. J’ai lu d’autres livres, des romans, plus « faciles » (avec lesquels j’ai accrochés) comme « Une existence tranquille ». Et j’ai acheté récemment « Notes d’Hiroshima ».

  8. J’avoue que je suis assez hermétique à ce genre de littérature… Comme j’ai lu que quelques livres japonais, j’essayerai à nouveau… Mais leur rapport au corps est vraiment étrange…

    1. …au corps et aux passions qu’ils n’extériorisent pas. Mon tempérament fondamentalement latin (malgré un peu de sang slave, comprenne qui pourra…) s’en accommode assez mal.

  9. La littérature japonaise ne s’aborde pas de la même manière que la française ou l’américaine. Tout en retenue, un japonais n’essaie pas d’émouvoir. Une autre culture qu’il est difficile de comprendre.
    Je n’ai pas lu cet écrivain encore.

  10. Je suis très fâchée avec moi-même d’avoir manqué ce rendez-vous !! 😦
    ( la seule bonne nouvelle, c’est que je peux enfin commenter à nouveau ici )

  11. Je me souviens l’avoir lu et avoir adoré… Et puis, sur tes réserves, j’étais prêt à bondir à l’injustice ! Alors, j’ai relu ma vieille chronique sur le sujet. Et en fait, je me souvenais surtout des 2 premières nouvelles qui à mon sens justifient amplement la lecture de ce recueil. Elles sont vraiment très fortes et très impressionnantes.

    Par contre, j’avais égal mis un bémol sur la dernière qui ne m’avait pas du tout inspiré et où j’étais également passé totalement à coté…

    Mais, les deux premières…

    1. « Gibier d’élevage » est sorti en Folio 2€ et ça me semble justifié parce que c’est une très belle nouvelle, forte, et compréhensible par tous, japonais ou pas. Pour moi, le autres sont vraiment trop marquées culturellement, ou trop personnelles pour qu’elles me parlent…

  12. Bonjour Ys, tu as été courageuse pour t’atteler à ce recueil. Je ne connais pas l’auteur. Concernant la littérature japonaise, j’apprécie les romans policiers (publiés par Ph. Picquier) et un peu Mishima. Pour le reste, je ne connais pas. Bonne journée.

  13. C’est vrai que la littérature japonaise peut être parfois très déconcertante mais j’avoue que j’aime beaucoup être un peu bousculée dans mes habitudes. Je l’ai écouté aujourd’hui et il donne vraiment envie de le lire. C’est un grand bonhomme. Les japonais n’ont pas le même rapport à leurs émotions que nous.

    1. Je ne doute pas que ce soit un homme passionnant, riche d’expériences… etc. c’est juste que je n’arrive pas lire ce genre d’écrits… enfin lire, oui bien sûr, mais comprendre et partager ou réagir.

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