Eric Packer est riche. Tellement riche que les chiffres ne servent plus à rien si ce n’est à l’inscrire dans une autre sphère de l’humain où rien n’est nécessité parce que tout est excès. Quatre-vingt-neuf étages pour l’immeuble, douze mètres pour la limousine.
Cette dernière est devenue un lieu de vie où le golden boy de vingt-huit ans reçoit ses employés : analyste financier, responsable du service recherche et analyse conceptuelle et même médecin pour un toucher rectal quotidien qui lui confirme l’asymétrie de sa prostate.
Il s’assit sur le strapontin en face de Kinski et lui expliqua quelle était la situation, en gros, qu’il empruntait du yen à des taux d’intérêt extrêmement bas et utilisait cet argent pour spéculer à fond sur des valeurs qui devaient pouvoir rapporter de gros bénéfices.
Pris dans un embouteillage monstre, Packer surveille les cours du yen partout dans le monde grâce à ses écrans de contrôle qui lui signalent que, contre toute attente, le yen continue d’augmenter. Mais Packer s’entête dans cette spéculation insensée. Toute cette journée d’avril 2000 à New York ne sera dès lors qu’une lente descente vers le néant.
Sur ses écrans, puis à travers les fenêtres de sa limousine, le jeune homme voit la violence gagner du terrain : hommes d’affaires assassinés, émeutes, manifestations, explosions, et des rats, des rats partout et de toutes formes qui envahissent les rues. La vermine gagne du terrain, présageant une sorte de fin du monde ou au moins celui d’un monde bouffé par le capital. Dès lors, quel avenir pour Eric Packer ?
Le futur est toujours totalité, uniformité. On y est tous grands et heureux, dit-elle. C’est pourquoi le futur échoue. Il échoue toujours. Il ne peut jamais être le lieu de ce bonheur cruel que nous voulons en faire
No future. Les anarchistes montent à l’assaut des immeubles affichant le cours des actions, et les quelques jeunes qui restent s’entassent dans des techno-raves, se saoulant de musique et de drogue. Eric Packer se sait menacé mais n’aura de cesse de rencontrer celui qui a décidé de le tuer. Avançant dans la nuit, il se dépouille petit à petit : garde du corps, limousine, argent, vêtements.
Il était dans la rue. Il n’y avait rien à faire. Il ne s’était pas rendu compte que ça pourrait lui arriver. Le moment était vide de projet et de détermination. Il n’avait pas prévu la chose. Où était la vie qu’il avait toujours menée ? Il n’y avait nulle part où il avait envie d’aller, rien à quoi réfléchir, personne qui l’attendit. Comment pouvait-il faire un pas dans une direction plutôt qu’une autre si toutes étaient les mêmes ?
Eric Packer qui a construit sa vie sur l’avenir, sur les prédictions, n’a pas vu venir ce vide, ce rien vers lequel cette journée l’a précipité. Au bout de la violence dont il était préservé et du vide qu’il ignorait il y a le retour aux origines dans le quartier de l’enfance puis la mort comme seul futur possible.
Ce que l’argent et la ville ont fait de l’homme, DeLillo le décrit dans ce texte parfois hallucinatoire, au bord du nihilisme mais dans un style qui n’a rien de dépouillé. On est au contraire dans la description qui fait image et sens pour aborder l’homme dans la ville. Un univers violent et cru dans lequel Cronenberg devrait s’épanouir.
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Cosmopolis
Don DeLillo traduit de l’anglais par Marianne Véron
Actes Sud (Babel n°674), 2005
ISBN : 978-2-7427-5320-8 – 221 pages – 7.70 €
Cosmopolis, parution aux Etats-Unis : 2003
Ma libraire me l’avait conseillé !Plus ton avis, je le note ( bien entendu)!
Tssst, la nouille que je suis n’arrive pas à mettre son gravatar..
Ce serait bien que je puisse le lire avant de voir le film. Mais le programme lecture est chargé. Merci pour ton avis
C’est ce que je me suis dit aussi. Et puis finalement, après avoir vu la bande annonce, je ne suis plus aussi certaine de la nécessité de le voir…
Je l’avais noté il y a longtemps mais l’expérience « Americana » m’a détournée de cet écrivain. Trop ardu pour moi, je pense.
Une adaptation ciné est prévue ?
Tu fais bien de sortir de ta grotte de temps en temps 😀 : un film de Cronenberg, présenté à Cannes, avec Robert Pattinson, un jeune acteur relativement connu pour avoir joué dans l’adaptation d’une série relativement connue intitulée Twilight 😉
J’ai hésité à l’acheter lors de mon dernier passage en librairie, parce que mes autres expériences avec cet auteur, bien qu’elles aient été plutôt concluantes, m’ont laissé le souvenir de lectures assez ardues…
Peut-être me laisserais-je tenter lorsqu’il me tombera de nouveau sous les yeux !
Cette lecture ne m’a pas semblé ardue, pas dans le style en tout cas, et ce livre n’est pas bien épais. Une ambiance comme celle-là, sur un nombre de pages aussi conséquent que Outremonde par exemple, ça peut être rébarbatif…
Idem que Jostein : je passe mon tour côté littérature (et peut-être cinématographiquement parlant avec ton enthousiasme concernant la BA)
A priori je ne suis pas la seule à avoir du mal avec le style Don De Lillo. « L’homme qui tombe » m’avait demandé de gros efforts pour le terminer. Mais le thème me tente, ce que tu en dis aussi, à voir…
j’ai vu la BA de Cronenberg… pourquoi pas.
J’ai eu du mal avec ce bouquin au moment de sa sortie (avec DeLillo, aussi par la suite).
Tout ce que je me souviens, c’est la limousine, les cours du yen et son obsession pour le toucher rectal.
Un peu maigre comme souvenir. Mais un livre qui fait l’apologie du toucher rectal, ça marque forcément un peu les esprits !
C’est mémorable en effet. Et en lisant, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment Robert Pattinson allait se sortir de cette scène-là qui se déroule en présence d’une de ses collaboratrices, c’est tellement plus humiliant…
Tu ne dis pas vraiment si tu as aimé?
Tout dépend du point de vue. Ça n’est ni un livre plaisant ni divertissant, mais important oui, me semble-t-il…
J’ai lu DeLillo il y a très longtemps, j’en ai un souvenir vague tendant vers le « ok j’en ai lu un maintenant je peux passer à autre chose » – mon avis de l’époque n’était pas si négatif cela dit, j’avais noté que c’est le genre d’auteur qu’on aime ou qu’on déteste, il faut ressentir des affinités avec son univers pour vraiment l’apprécier. Oui, Cronenberg, ça lui colle bien en réalité…:)
Celui-ci ne me tente pas plus que ça, mais j’ai Libra de cet auteur dans ma PAL
Jamais lu cet auteur pourtant noté depuis une éternité… Je ne pense pas que je commencerai avec ce livre-ci… 😉
Cet auteur m’intrigue, j’ai un de ses livres dans ma PAL…Quant à Cosmopolis, j’aimerais beaucoup le lire aussi !
J’ai attendu d’avoir écrit mon billet avant de lire le tien ^_^.
Je ne suis pas sûre de comprendre si tu as aimé ou pas. De mon côté, j’ai trouvé encore une fois l’écriture de DeLillo trop froide, trop clinique, trop théorique, je n’ai pas pu être touchée par ce livre dont les délires sont trop contrôlés. J’aurais voulu qu’il se lâche plus et qu’il assume la folie de son livre au lieu de vouloir la tenir à distance comme ça.
Je pensais aussi que Cronenberg était l’homme idéal pour ce livre, pour lâcher les bêtes entraperçues dans le roman, mais il n’a fait que le copier sans lui apporter quelque chose de spécifique.
Grosse déception des deux côtés pour moi donc…
Je viens de lire ton billet qui ne me donne guère envie d’aller voir le film, rien ne me tente. Ce que tu reproches au roman ressemble à ce que je reproche au roman asiatique : la froideur, l’absence d’expression des sentiments. Je ne l’ai pas senti comme ça, même si c’est vraiment très clinique parfois.
Ca dépend donc des perceptions et des sensibilités de chacun. Autant les romans asiatiques m’émeuvent en règle générale, autant l’écriture de Don DeLillo me semble hermétique.
Pour contrebalancer un peu mon avis sur le film, il paraît qu’il a été très bien reçu à Cannes (en même temps, ça ne m’étonne pas ^_^).