Du sang dans les plumes de Joel Williams

Du sang dans les plumes

En ouvrant Du sang dans les plumes, le premier texte de Joel Williams qu’on lit est une « introduction par l’auteur », un texte d’une quarantaine de pages qui retrace sa vie et le présente puisque personne ne le connaît. Et pour cause. Né d’une mère indienne de la tribu shoshone-païute et d’un père blanc, il est élevé par ce dernier, un type violent et alcoolique qui le terrorise et qu’il finit par tuer à l’âge de vingt-et-un ans.

Depuis, il est en prison ; il a quarante-six ans. Né sous les stigmates enracinés du désespoir indien et de la violence alcoolique, Joel Williams a tâté de tout pour échapper et s‘échapper, jusqu’à croire que le meurtre pourrait régler ses problèmes. En prison aussi il cherche à fuir la promiscuité, la violence, la bassesse. En lisant d’abord, puis en écrivant, à force de rigueur et de persévérance, d’exigence aussi.

Il faut déjà du temps pour encaisser ce premier texte qui, dépourvu de tout pathos, de toute figure de style, prend aux tripes. Loin de la fiction, d’idées littéraires ou d’inspiration, on reçoit ce récit comme un coup de poing : précis, direct, efficace. Tout débutant qu’il est, Joel William sait que l’émotion n’a pas besoin de beaucoup de mots, mais de mots justes. Ce qui n’empêche pas parfois quelques échappées poétiques ou certaines comparaisons humoristiques. On est là dans une veine authentique et assumée :

Je savais depuis longtemps qu’une bonne histoire n’a pas besoin de parler d’aristocrates anglais. Elle peut raconter la vie de n’importe qui. Même la mienne. Le secret réside dans sa capacité à générer de l’émotion, comme le prouvent les œuvres de mes auteurs préférés.

A savoir : Knut Hamsun, Ernest Hemingway, Tennessee Williams, John Fante, Charles Bukowski, Raymond Chandler… Mais s’il est des auteurs tutélaires, il n’y a plus à la lecture d’influences, ni même d’époque ou de races : c’est l’homme tout seul qui se livre. Joel Williams ne choisit pas la crudité pour exprimer violence, détresse et misère. Joel Williams n’invective ni n’éructe, il ne prend pas à parti la terre entière pour l’accuser de ses maux. L’écriture est travaillée, ce qui ne l’empêche pas de frapper juste.

Dans la première partie intitulée « Dérives urbaines », on croise les plus démunis. C’est le monde de la rue à Los Angeles, des quartiers abandonnés par la police, de la pauvreté liée à l’alcool qui fait perdre toute dignité. Pour boire, ces sans-abri peuvent mourir de faim, de froid, voler, tuer même. L’alcool est la pire des drogues parce qu’il est facilement accessible.  Ils survivent grâce  à des petits boulots, à la débrouille, le plus souvent hors-la-loi : nettoyage de pare-brise, ramassage de canettes vides pour le recyclage. Mais l’alcool est plus fort que la misère, alors on revend les couvertures données par la mission.

Le désespoir est total, rien ne survit aux rues de Los Angeles : l’amour, le dévouement… tout ce qu’il y a de bon est détruit par les lois violentes de la survie qui est violence. Monté à l’assaut d’Hollywood, ou au moins des lettres qui composent son nom, le jeune narrateur peut enfin pisser sur la ville entière du haut de son perchoir, mais ne parvient qu’à se pisser dessus. Même symboliquement, on ne s’en prend pas au rêve américain aussi facilement. Dans ces conditions, il n’y a que la mort pour sembler attrayante…

La seconde partie, « Derrière les barreaux », rassemble des textes mettant en scène un double de Joel Williams, nommé Jake Wallace. Il bosse tantôt aux cuisines, tantôt à la bibliothèque ou à l’atelier de couture, tâchant de ne pas faire de vagues et de gagner un peu d’argent. Mais les femmes le poursuivent, même là, un genre de femelles provocantes qui jouent la domination sur des types en manque et prêts à tout, même si méfiants. Car une des grandes affaires en prison c’est le sexe, ou plutôt son absence et ses substituts. Le reste est promiscuité et humiliations.

On imagine une grande carcasse, un type solide capable d’impressionner les durs à cuire qui l’entourent. C’est d’ailleurs ainsi qu’il se portraiture en fanfaron, peut-être comme il aimerait être, un type avec une carapace inattaquable. Mais ce qu’on lit, c’est la solitude, l’immense solitude au milieu de tant de gens.

Horse Creek est un pénitencier qui se délite dans un Etat en déliquescence. Cinq bâtiments aux abois, chacun bourré à craquer de taulards – deux cents -, au milieu d’une pelouse de la taille d’un terrain de foot, bordée par un chemin aux pavés fatigués. Pour tuer le temps, les détenus ont le choix entre le hand, le baseball, le lancer de fer à cheval, le vice – ou la contemplation du vide qui se pratique assis sur un banc, au moyen de ce regard fatigué qu’ont les anciens combattants sur les vieilles photos.   

Dans ces nouvelles il y a la honte et le dégoût de soi, la violence, la promiscuité, mais surtout le désir d’être juste quelqu’un, juste un être humain qui aurait droit en tant que tel à de la considération. Il crée des liens qui se fracassent, sa méfiance se laissant sans cesse aveugler par la moindre lueur d’amour ou d’attention. Ces textes ne sont pourtant pas dénués d’humour, celui de l’autodérision qui fait de soi un autre. L’identité du prisonnier, de l’Indien, du fils, du mâle mais aussi de l’Américain, créent un Jake Wallace/Joel Williams fragmenté, en perpétuelle interrogation. Un état qui amène à l’écriture, peut-être à une réconciliation ; en tout cas à un moyen d’exister.

Ce livre fait partie des premiers titres de la collection « Pulse ». Pour en savoir plus ou découvrir les éditions 13e Note, il faut écouter l’émission Mauvais genres qui leur est entièrement consacrée.

Du sang dans les plumes

Joel Williams traduit de l’américain par Nathalie Beunat et Patrice Carrer
13e Note (Pulse), 2012
ISBN : 978-84-938027-8-3 – 237 pages – 8 €

Shattered West, Native Tales, 2010 ; inédit

16 commentaires sur “Du sang dans les plumes de Joel Williams

  1. Quand les éditions 13e Note ont annoncé sa sortie sur FB, je me suis dit que je devrais regarder ce livre de plus près mais ton billet me confirme que c’est définitivement le genre de bouquin qui devrait me laisser KO.

    1. Et moi, quand j’ai entendu parler de cette collection de poche à l’émission Mauvais genres, je me suis précipitée à la librairie, mais c’était encore trop tôt… Puis des trois titres dont ma librairie disposait, j’ai choisi celui-ci et c’est un texte qui me marquera. Je ne cesse de penser que tandis que j’écris mes futilités, Joel Williams est en prison depuis plus de la moitié de sa vie pour avoir tué son bourreau de père…

    1. Encore une revue que je n’ai pas essayée (il y en a trop), mais que j’espère pouvoir emprunter pour me faire une idée.

  2. Tu vas me convaincre de lire des nouvelles, un comble ! mais ton billet reflète tellement bien cet enfer que je n’ai qu’une envie c’est de mettre la main sur ce livre, en tous cas sa référence est notée, je podcast à tour de bras mais ensuite je manque de temps pour tout écouté et là j’ai raté l’émission
    merci pour le rattrapage et je vais aller voir ce nouvel éditeur

    1. Ce ne sont pas vraiment des nouvelles je trouve, plus des courts textes avec toujours le même personnage, le même cadre, une même thématique. Et je compatis pour les podcasts, c’est pareil pour moi : j’en ai toujours une dizaine en attente ans le MP3.

  3. Terriblement Tentant.
    J’aime bien me prendre des uppercut dans la face et recevoir des directs dans le foie ou inversement.
    C’est comme ça que je conçois la littérature -du moins une partie.

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