On a déjà lu des romans sur la dictature, toutes les dictatures qui ont accablé l’Amérique latine. Alejandro Zambra change la focalisation en présentant la dictature de Pinochet du point de vue de quelques personnages secondaires : des gens qui n’ont pas pris position et surtout des enfants. Le narrateur des première et troisième parties est un jeune garçon de neuf ans né sous la dictature qui raconte ce qu’il a vu et en creux, ce qu’il n’a pas compris. Vingt ans après, devenu écrivain, il écrit pour tenter de comprendre qu’elle fut sa place, celle de ses parents et d’une certaine Claudia qui lui confia la mission d’espionner son oncle après le tremblement de terre de 1985.
« Nous arrivons au stade National. Le plus grande centre de détention, en 1973, n’a jamais été pour moi qu’un terrain de football. »
A maintes reprises, le narrateur devenu adulte exprime ses difficultés à expliquer tel ou tel comportement, c’est comme s’il avait été amputé de la mémoire : il a perdu le point de vue de l’enfance, mais n’a aussi jamais eu en main les cartes qui lui permettraient de déchiffrer le comportement de ses parents.
« Vous aussi, vous faisiez de la politique. Tous les deux. En vous tenant à l’écart, vous souteniez la dictature… ».
Le petit garçon curieux mais d’une certaine manière insouciant compte tenu de l’époque, est devenu un jeune homme en questionnement, qui a choisi l’écriture pour interpréter sa vie :
« J’ai essayé ensuite de continuer à écrire. Je ne sais pas très bien où je vais. Je ne veux parler ni d’innocence ni de faute ; je veux seulement éclairer quelques recoins, les recoins où nous étions ».
Pour ce faire, l’écrivain ne raconte pas chronologiquement les étapes de son passé. Les événements passés sont entrecoupés par des épisodes du présent de l’écriture. Dans un cahier, le narrateur raconte, parfois sous plusieurs formes, les visites à ses parents, les retrouvailles avec Claudia et le devenir de son manuscrit qu’il fait lire à son ancienne petite amie. C’est une façon assez déconcertante d’aborder le genre autobiographique, si tant est qu’il s’agisse de ça. « C’est mon livre, je ne peux pas ne pas y être » déclare l’écrivain-narrateur.
La troisième partie de ce roman s’intitule « la littérature des fils », c’est-à-dire celle de ceux qui étaient enfants pendant la dictature, pendant que leurs parents s’engageaient pour ou contre quelle que soit leur attitude. « Les fils », ce sont ceux qui ne comprenaient pas alors ce qui se passait, qui vivaient leur vie d’enfants comme derrière un voile dans la mesure où leurs parents tentaient de leur donner une vie normale. Ce qui, on le comprend ici, a créé une certaine confusion qui se traduit par une narration atypique, non linéaire. Entre les lignes du récit d’enfance, on lit les silences, les secrets, la répression.
Personnages secondaires
Alejandro Zambra traduit de l’espagnol par Denise Laroutis
L’Olivier, 2012
ISBN : 978-2-87929-862-7 – 166 pages – 17.50 €
Formas de volver a casa, parution au Chili : 2011
Tu m’as donné bien envie de le lire. Le sujet est moins « gentil » que celui du roman que j’ai lu. Je pense que son type de narration et son point de vue doivent être intéressant comme tu le dis sur un sujet beaucoup plus grave.
A mon humble avis, ce qu’il ne faudrait pas, c’est qu’il emploie tout le temps cette même technique narrative…
Pourquoi pas ? Seule la construction pourrait me freiner un peu…
Rien d’incompréhensible, c’est juste original.
Même appréhension que Kathel…
Je trouve ça plutôt intéressant de bousculer les codes traditionnels de narration.
Une lecture entre les lignes. Pas trop épuisant, à la fin ?
pas du tout.
pour une fois, tu n’as pas l’air complètement convaincue, alors je vais laisser ce livre , je dois réussir à avancer dans tous ceux que je dois lire absolument!
Luocine
Je ne suis pas déçue par cette lecture, juste un peu déstabilisée par cette façon inattendue de raconter l’enfance.
Je l’a reçu de la part des chroniques de la rentrée, ce que tu as écrit m’interpelle et me rend curieuse … Au moins, je sais que la narration est originale ! Un bon point, déjà ! 😀
Oui, c’est toujours intéressant d’explorer de nouvelles formes narratives autour d’un thème, surtout un thème aussi classique que l’enfance.