Tout commence comme dans un mauvais téléfilm américain : deux couples de trentenaires, Laetitia et David, Tiphaine et Sylvain, habitent des maisons mitoyennes dans une banlieue proprette et s’entendent très bien. A tel point qu’ils en deviennent inséparables. Les deux femmes ont chacune un fils quasi en même temps et les deux garçons, Maxime et Milo, grandissent comme deux frères. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Jusqu’au jour où Maxime meurt en tombant par la fenêtre de sa chambre, sous les yeux de Laetitia impuissante, alors que Tiphaine sa mère est en train de se doucher. La douleur submerge les deux couples, puis les accusations, la rancœur, la haine… Laetitia a peur pour Milo, elle se méfie de ce que Tiphaine, qu’elle ne reconnaît plus, pourrait lui faire. Bientôt, elle est certaine que cette mère en deuil veut du mal à son fils.
C’est avec angoisse que le lecteur tourne les dernières pages de ce suspens psychologique efficace. Jusqu’où les deux femmes vont-elles aller ? Laetitia a-t-elle raison de se méfier de Tiphaine ? Tiphaine est-elle victime de la paranoïa de Laetitia ? Barbara Abel a su encastrer les rouages d’un engrenage construit autour de la mort d’un enfant. Comme Laetitia, le lecteur perd ses repères, se met à douter de la santé mentale de Tiphaine, tellement éprouvée par le deuil. Ses doutes deviennent ceux du lecteur tant les situations s’enchainent logiquement, portées par des dialogues naturels qui renforcent l’identification. C’est parce que l’intrigue est crédible que le suspens fonctionne.
Le bémol vient des personnages qui ne sont envisagés que comme parents et voisins. C’est toujours Laetitia et David d’un côté, Tiphaine et Sylvain de l’autre, ce qui est suffisant pour faire une entité mais pas un couple. Ils n’ont par exemple pas de vie sexuelle, pas de gestes intimes. On ne sait rien non plus de leur vie professionnelle (sauf brièvement David qui est chauffeur de taxi), alors que tous quatre travaillent. J’ai donc un petit regret quant à la densité des personnages qui ne sont pas assez fouillés pour que par exemple la mort de Maxime soit émouvante. Il manque à mes yeux de ces détails qui donnent tant de consistance aux personnages de romans américains.
Avec une intrigue aussi efficace que celle-là et sa maîtrise des dialogues, Barbara Abel gagnerait à soigner plus encore ses personnages, même les plus secondaires (comme le parrain Ernest). A l’intensité du suspens se mêlerait la force des émotions qui ne font qu’affleurer ici. Il n’est bien sûr pas question de pathos à la louche, mais de finesse psychologique.
Reste un roman efficace qu’on lit dans l’urgence et l’incrédulité devant tant de haine. Dommage cependant que le prologue dévoile une scène qui n’arrive qu’au trois quarts du livre.
Derrière la haine
Barbara Abel
Fleuve Noir, 2012
ISBN : 978-2-265-09418-5 – 315 pages – 18.50 €
ah je connais trop bien la réserve que tu exprimes si bien pour certains romans américains! ceux qu’on appelle « tourne-pages » non?
On les lit facilement, voire avec plaisir et puis à la réflexion on se dit qu’il manque quelque chose
Luocine
Alors d’un côté oui, ces page turner américains ou à l’américaine sont souvent succulents sur le coup, mais ne laissent guère de souvenirs. D’un autre côté, en lisant ce livre, je pensais aux autres auteurs américains, ceux qui prennent le temps de décrire leurs personnages dans les moindres détails de leur passé et de leur quotidien, ce qui leur donne une incroyable consistance et du coup, une proximité avec le lecteur.
Dans ma PAL, en attente d’une lecture prévue pour bientôt.
Hmmmmm… Tes bémols font que je m’en dispenserai. Je serais agacée d’en savoir aussi peu sur les personnages. Dommage.
Il se lit facilement cependant, c’est ce qu’on peut appeler un suspens efficace même si les personnages ne sont pas assez subtils à mon goût.
Un suspens psychologique, même efficace ne sera jamais ma tasse de thé. En tout cas j’aime bien ton analyse très fine des points forts et des points faibles du texte. Au moins on sait à quoi s’attendre^^
J’aime bien m’interroger quand je lis… surtout quand je me prends au jeu et tourne si facilement les pages d’un livre qui à l’évidence est bien construit, et accapare le lecteur alors qu’il possède quelques faiblesses. J’aime me laisser séduire, mais j’aime savoir pourquoi 😉
je fais bien de revenir un peu te voir, tes articles n’ont rien perdu de leur qualités…comme je fréquente quelques sites de « polardeux », je n’ai vu que des avis ultra positifs sur ce livre, du coup je suis bien contente de découvrir tes réserves, parce que j’avais dans l’idée de l’acheter…mais maintenant, j’en ai beaucoup moins envie, car je me fie davantage à ton expérience de lectrice de littérature dite « générale »..
Moi aussi j’ai lu pas mal de choses positives sur ce livre de la part de polardeux… et j’ai emprunté ce livre à la bibliothèque dès que j’ai pu. Lectrice multi genres, je suis peut-être sévère pour ce roman car l’intrigue est maîtrisée, le suspens bien tricoté. Comme je l’ai dit, j’ai été la première à tourner avidement les pages, donc ça marche. Pour en faire un vraiment bon roman, il faudrait plus de subtilité à mes yeux. Mais bon, je le classe dans la catégorie « à lire » car il a plus de qualités que de défauts. Et merci de ta confiance.
N’ai pas détesté. Un roman disons pour un bon moment de lecture. Ni plus, ni moins.
Tu résumes très bien mon avis 😉
Je ne suis pas contre un bon page turner de temps en temps mais celui-ci ne me tente pas plus que ça.
Dans le genre, il est pourtant efficace.
Il me tentait pas mal mais après t’avoir lu, j’hésite…
N’hésite pas à l’emprunter si tu peux, il y a un bon moment à passer si tu aimes le genre du suspens psychologique.
j’avais passé un bon moment de lecture au point d’acheter en urgence « l’instinct maternel » du même auteur dont j’attends plus !
J’ai aussi noté ce titre que je lirai si j’ai envie de retenter avec cette auteur.
il sort bientôt en poche, je vais donc le lire un jour ou l’autre…
Je lirai ton avis avec plaisir.
J’ai bien apprécié ce thriller ainsi que sa suite « Après la fin » et par sa noirceur, je le trouve plutôt marquant. Si l’auteure a fait le choix de ne pas s’étaler trop longuement sur ses personnages, c’est, il me semble, dans les dialogues en filigrane que l’on décrypte la psychologie des personnages. D’autre part, elle ne doit pas trop nous en dire pour que subiste le doute chez son lecteur…
Merci pour cet avis Anne-Sophie, et bienvenue ici. Je pense que je relirai cette auteur, elle est jeune et a encore bien le temps de maîtriser son registre. Je ne doute pas de l’apprécier plus encore avec le temps.