C’est en 1953, année charnière, que le lecteur rencontre Léo, héros de la Seconde Guerre mondiale et brillant officier du MGB (entre NKVD et KGB). Léo croit en la révolution soviétique, il est persuadé que cette forme de gouvernement mènera au bonheur du peuple russe tout entier, même si cela impose certains sacrifices.
« Sans se poser de questions il s’était engagé, la tête haute, sur la voie indiquée par ses supérieurs. Son pays aurait pu lui demander n’importe quoi, il aurait dit oui. Si on lui en avait donné l’ordre, il aurait même pris la tête d’un goulag au milieu de la toundra dans la région de la Kolyma. Il n’avait d’autre ambition que de servir son pays, un pays qui avait vaincu le fascisme, qui permettait à chacun de s’instruire et d’être soigné gratuitement, qui défendait les droits des travailleurs du monde entier… »
Pour protéger la révolution, il traque ses opposants, ceux qu’on lui désigne, comme cet Anatoli Brodsky qu’il poursuit jusqu’au fin fond du pays car il l’a laissé s’échapper, il ne l’a pas arrêté trois jours plutôt comme demandé, il a préféré réunir des preuves. Par contre, quand on lui demande d’aller visiter la famille du petit Arkady retrouvé mort, il n’a pas besoin de preuves : l’enfant a été écrasé par le train. Ça n’est pourtant pas ce que pense la famille, persuadée qu’il a été assassiné. Malgré tout, le doute s’installe progressivement.
L’entêtement de Léo et la haine d’un collègue lui vaudront d’être rétrogradé et envoyé très loin de Moscou, où il découvrira que d’autres enfants ont été retrouvés morts dans le même état que le petit Arkady : nu, la bouche remplie d’écorce, éventré, estomac disparu. Léo persévère dans son enquête, contre son intérêt mais pour la vérité car à l’évidence, Arkady fut la quarante-quatrième victime d’un tueur en série. Mais l’Etat soviétique affirme que le crime et la délinquance n’existent pas car dans un état sans classe, il n’y a pas d’envieux, tout le monde étant parfaitement heureux d’être logé à la même enseigne.
La Russie stalinienne est à l’évidence un cadre parfait pour ce roman noir terriblement oppressant. Tom Rob Smith soigne son ambiance : si la situation dramatique est palpable dès le début du roman, ce n’est qu’à la moitié du roman que Léo et sa femme Raïssa se mettent en chasse du tueur. Il est clair que l’enquête n’est pas la priorité, même si quand elle débute vraiment, elle est très efficace. Le voyage au cœur noir de la Russie soviétique m’a encore plus convaincue que les péripéties du couple, la révélation finale (c’est-à-dire les motivations du tueur) me paraissant un chouïa tirée par les cheveux, de même que l’évasion du train.
Tom Rob Smith sait très bien construire des scènes très visuelles, notamment dans l’immense espace russe : la scène d’ouverture est marquante (superbe scène de poursuite d’un chat dans la neige), de même que celle de la traque du suspect, que Léo suit jusque dans la rivière gelée et auquel il sauve la vie pour qu’il puisse être torturé. Les scènes de confinement ne sont pas moins réussies. Le roman avance par tableaux successifs dans la première partie, montrant que l’intérêt n’est pas tant dans l’enquête elle-même que dans le contexte social et politique. Avec Léo, le lecteur découvre les méthodes de la police secrète soviétique. C’est bien sûr effrayant de réalisme et terriblement angoissant. A chaque page, on sent le poids du secret, du silence. La peur est au cœur de chaque habitant, même innocent car personne n’est à l’abri. Etre suspect, c’est déjà être coupable, et n’importe qui peut-être suspecté sur simple dénonciation.
Très noir roman historique au cœur des individus et de l’appareil d’Etat qui transporte immédiatement le lecteur : une réussite.
Enfant 44
Tom Rob Smith traduit de l’anglais par France Camus-Pichon
Belfond, 2009
ISBN : 978-2-7144-4438-7 – 398 pages – 22 €
Child 44, parution en Grande-Bretagne : 2008
Ton billet me donne envie de découvrir ce roman. j’apprécie assez peu les polars sauf s’ils sont bien ancrés dans un contexte historique, donc celui-là semble parfait.
En effet, celui-là devrait te plaire.
J’avais moi aussi tiqué sur la fin. Et je me souviens que, si j’avais beaucoup aimé le côté historique et le polar, j’avais trouvé un peu dommage que les deux ne soient pas plus mélangés. Mais c’était du chipotage, c’était un bon roman à défaut d’un grand roman. La suite « Kolyma » m’avait bien plu également. Je crois savoir qu’un 3e volet est sorti, formant une trilogie. Mais je ne me souviens plus du titre.
Oui c’est vrai, on chipote un peu, mais bon, cette histoire de frère…hum… j’ai lu que dans la suite, Léo se transformait en enquêteur « officiel », c’est peut-être plus classique, je trouve pas mal pour la tension dramatique qu’il soit un ennemi du régime.
Officiel, officiel, c’est vite dit ça 🙂 Mais je n’en dis pas plus et te laisse découvrir !
J’ai été tout à fait prise par ce récit, je l’ai en fait écouté et non pas lu mais l’effet était le même, un récit fort et bien mené. Un bon souvenir
Je n’ai pas encore sauté le pas du livre audio (livre récent j’entends), mais j’en ai justement emprunté un dernièrement à la bibliothèque. je suppose que la qualité de la lecture est importante pour apprécier…
J’en garde un bon souvenir de lecture, moi aussi…
Il parait qu’il va y avoir un film, il pourrait aussi être pas mal : avec l’image des grands espaces enneigés, ça ne peut être que saisissant.
J avais beaucoup aimé ce roman -pourtant je ne suis pas une fan du genre- j ‘ai moins aimé le second qui est dans la suite de celui-ci.
et évidemment la période stalinienne se suffit bien à elle-même pour l’impression d’horreur qu’elle peut faire éprouver, en faire un ressort pour une intrigue policière m’a gênée dans le deuxième roman , mais absolument pas pour « Enfant 44 »
Luocine
C’est avant tout un roman noir et un roman historique à mes yeux, ça ne m’étonne pas que les non amateurs de polar apprécient. Je verrai pour la suite, j’ai aussi une BD sur la mort de Staline sous le coude, point trop n’en faut 🙂
Bonjour Ys, pas mal mais avec des raccourcis scénaristiques un peu invraisemblables mais le contexte est original. Lire mon billet http://dasola.canalblog.com/archives/2009/03/19/13016516.html du 19/03/09. Bonne après-midi.
C’est dommage ces raccourcis car le contexte et la psychologie sont réussis.
Je n’avais pas été convaincue. C’était oppressant et le côté historique était intéressant. Mais par contre, la scène du train et certains autres aspects étaient limite hollywoodiens.
Peut-être l’a-t-il écrit en pensant déjà au scénario…
J’avais bien accroché à ce polar, surtout pour le fond historique, mais l’intrigue est très bien aussi. Je n’ai aps essayé de lire la suite toutefois.
C’est sûr que c’est prenant, on a envie de savoir ce que c’est que cette histoire d’enfants, mais bon, la raison ne m’a pas complètement convaincue, je pense que c’est trop énorme à mettre en oeuvre dans un pays tel que celui-là à cette époque justement si surveillée.
Un roman que j’avais beaucoup aimé. La suite, en revanche, bof.
Les avis semblent partagés…
Un roman noir et oppressant à l’époque de Stalline, ça n’a rien pour m’attirer, même si c’est une réussite.
Connaissant un peu tes goûts à présent, je pense aussi qu’il ne te conviendrait pas.
Je l’ai lu et je sais qu’il m’avait bien plu mais plus d’un an après il ne l’en reste pas grand chose.
Il est sur les étagères de ma bibliothèque depuis des siècles mais je retarde le moment de le lire … ça a l’air très bien pourtant !!!
Ah, je ne pensais pas qu’il était sorti depuis si longtemps..; 😀
Un roman que j’ai beaucoup aimé. Un très bon souvenir de lecture. Beau billet gentille dame.
Tu dois donc faire partie de celles qui m’ont donné envie de le lire 😉
noté et vite noyé dans la masse des romans historiques qui me font envie… une petite piqûre de rappel (d’autant que je suis en train de replonger dans de l’historique en ce moment!)
Je suis dans le barcelonais en ce moment, mais je me remets ensuite au roman historique : que de belles découvertes à faire.