Isabelle Marsay imagine dans ce roman qu’un des enfants que Jean-Jacques Rousseau a abandonné aux Enfants-Trouvés a miraculeusement survécu et ce qu’aurait été sa vie. Ce destin imaginaire lui permet, et peut-être était-ce là le propos du roman, de décrire la vie des paysans français au XVIIIe siècle, en l’occurrence en Picardie. La démarche est largement sociologique, doublée d’un point de vue littéraire puisque entre les chapitres consacrés au fictif Baptiste s’intercalent des extraits de textes du bien réel et bien geignard philosophe.
Comme d’autres avant elle, Isabelle Marsay met en opposition les textes de Jean-Jacques Rousseau : ceux, comme L’Emile, qui se veulent éducatif et prônent telle ou telle méthode… et ceux, essentiellement des lettres, dans lesquels il explique pourquoi il a été contraint d’abandonner ses cinq enfants nés de ses amours illégitimes avec celle qui l’a supporté toute sa vie et qu’il n’a pas été fichu d’épouser.
Grâce à ses justifications qui n’en sont pas, on comprend mieux les chiffres effrayants rapportés par Isabelle Marsay : plus de trois mille bébés abandonnés chaque année à Paris, par des gens comme ce philosophe incapable d’assumer leurs actes. Car malgré ce qu’il prétend, Rousseau n’était pas plus pauvre que les paysans auxquels ses enfants ont été confiés (s’ils ont survécu à leurs premiers jours). A défaut de père, puisqu’il ne s’en sentait pas capable, ils auraient eu une mère, cette femme qu’il a dépossédée de ses enfants. Au lieu de ça, il passe son temps à se plaindre, à étaler ses malheurs, forcément pires que ceux des autres, à se dire faible, malade, mal aimé. Paranoïaque et hypocondriaque.
C’est à la vraie vie que le petit Baptiste va devoir faire face. Déposé à l’hospice des Enfants-Trouvés de l’Hôtel-Dieu, il en réchappe, ce qui est déjà un exploit
L’hospice fondé par saint Vincent de Paul au siècle passé était en 1746, un immense mouroir. Les parents pouvaient-ils l’ignorer ? Pouvaient-ils ignorer que l’abandon, fût-ce dans une charitable institution, constituait un infanticide à peine déguisé ?
Il est mis en nourrice en Picardie auprès d’une femme qui compte sur ce salaire pour survivre avec sa famille mais ne s’occupe pas de l’enfant, laissé quasi à l’abandon. La nourrice retourne d’ailleurs régulièrement à Paris chercher un nouvel enfant, le précédent étant décédé. Mais Baptiste est une force de la nature qui survit à ce deuxième foyer. Grâce aux bons soins du curé local qui le découvre, il est placé chez Jeanne, une jeune femme qui vient de perdre son enfant. C’est une femme douce et aimante, une mère idéale. Mais son mari meurt et elle se retrouve seule avec Marie sa fille, Baptiste de trois ans et un autre enfant qu’elle a pris en nourrice. Roland le guérisseur local la demande en mariage : les deux familles s’unissent et forment une famille quasi modèle, toute en travail, générosité et attention. Baptiste grandit et apprend le métier de guérisseur, mais les choses ne vont pas se passer aussi bien car le frère de Roland, avare et manipulateur va s’en mêler.
Dans Le fils de Jean-Jacques, Isabelle Marsay n’a même pas besoin de prendre parti pour ou contre Rousseau, sa mauvaise foi parle pour lui. Face à ce père dénaturé se dessine un autre portrait de père, celui de Roland le guérisseur qui s’attache à ce fils qui n’est pas le sien, lui transmet son savoir, le nourrit, le protège. Jeanne est quant à elle l’incarnation de l’amour maternel, inconditionnel. Ces deux pauvres gens sont même trop beaux pour y croire, presque trop modernes dans leur psychologie. C’est sur un mode presque pictural, se succèdent les scènes de la vie quotidienne des pauvres paysans.
Au final, on en a agréablement appris beaucoup sur le sort des enfants abandonnés au XVIIIe siècle (Isabelle Marsay intègre très bien les données à son roman) et on zigouillerait volontiers Rousseau une deuxième fois si on l’avait sous la main.
Le fils de Jean-Jacques
Isabelle Marsay
Balland, 2002
ISBN : 2-7158-1422-4 – 235 pages – 18.50 €
Rousseau n’est pas ton copain! C’est sûr que sur ce coup là on aurait du mal à l’excuser….
C’est sa mauvaise foi totale et sa façon de toujours se plaindre de son sort qui agacent…
Ah tu l’as déjà trucidé une première fois ? coup double donc, j’ai vu ce livre en effet il est tentant
C’est qu’il est déjà mort, mais la formule n’est pas heureuse, tu as raison…
Tempting. Quand j’avais appris ce fait sur Rousseau aux études, j’avais subitement décidé que lui, il ne valait pas la peine d’être lu ni même écouté. Du coup, je ne sais pas trop ce qu’il dit!
Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est le cas de la dire. Rousseau est un de nos grands philosophes, mais ici, l’auteur fait tout pour qu’on déteste l’homme, c’est très réussi.
Rousseau n’est pas mon pote non plus !!!!
J’ai bien aimé Les Confessions.
L’an dernier on a fêté par chez moi le tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau. Si j’avais su que tu étais fan à ce point, je t’aurais envoyé le programme, il y a eu plus de 100 manifestations en tout 😉
Au bout de 100, j’aurais bien fini par lui trouver des qualités 😀
Son hypocrisie aussi! Finalement il tue ses enfants (pas directement, certes, mais c’est encore lui qui est à plaindre. Et puis comment peut-on écrire l’Emile après avoir commis un tel acte?
Les textes qu’Isabelle Marsay reproduit ici sont essentiellement des lettres dans lesquelles il se justifie et ça, c’est carrément insupportable !
Parce que tu l’avais déjà zigouillé, Jean-Jacques ?
En fait, j’ai beaucoup apprécié Les Confessions, justement pour le ton. Mais ici, non, on ne peut pas en sourire…
L’un de mes coups de coeur de l’an dernier !
C’est peut-être chez toi que je l’ai noté…
j’ai lu à sa parution Fils unique, de Stéphane AUDEGUY, dans lequel il imagine de destin d’un supposé frère aîné de JJ Rousseau. Roman malicieux par moments cru, par un auteur dont j’avais beaucoup aimé La théorie des nuages;
Merci de ce conseil Brigitte et bienvenue ici.
Bonsoir, et merci pour cet article! Merci de parler de ce roman auquel je tiens avant la sortie de Rue des dames » ( Ginkgo ) la semaine prochaine. Yspaddaden a écrit un article engagé qui sied parfaitement au projet, avec beaucoup de perspicacité et d’âme…A bientôt.
Je souhaite beaucoup de succès à votre nouveau roman, merci pour ce commentaire.
C’est effectivement ce que je ferais aec Rousseau qui a eu de beaux discours sur les femmes aussi. Il fut important cependant par sa pensée politique du contrat social mais pour le reste c’était plutôt un sale type.
C’est surtout sa mauvaise foi qui me gène : comment peut-on être aussi intelligent et aussi bête à la fois, aveugle ? C’est le genre de contradictions que me dépassent…