Hilarion, l’énigme des fontaines mortes est un roman policier historique rien moins qu’excellent dont je n’ai entendu parler absolument nulle part. Je l’ai découvert car il a remporté le peu médiatique Prix du Roman Policier de la revue Historia en 2012. Si le chevalier Hilarion ne fait pas autant d’adeptes que son contemporain Nicolas Le Floch, la raison n’est à chercher que dans la grande exigence historique de l’auteur qui ne simplifie rien, dans la complexité et l’originalité de l’intrigue et dans son style, à cent lieues des clichés du genre.
Le jeune chevalier Hilarion arrive à Aix en octobre 1776. « Rejeton d’une des plus anciennes familles de Provence », il est d’autant plus respecté qu’il est envoyé par le jeune roi Louis XVI pour veiller à la restauration des Parlements et asseoir son autorité. Hilarion aura bien besoin de ce royal parrainage pour s’imposer face aux magistrats qui sont la justice. Car voilà qu’un jeune noble vient d’être retrouvé assassiné en pleine ville : sodomisé, étranglé et émasculé. Autant dire que le crime agite la ville entière. Le lieutenant criminel s’adjoint les services d’Hilarion qui n’hésite pas à remuer la fange, en se rendant par exemple à Toulon où il découvre que le mort et certains de ses amis avaient des relations contre-nature sur le port avec de jeunes prostitués. Et que l’un de ces gitons a été assassiné lors du précédent passage des jeunes aristocrates dans la ville portuaire. Bientôt, un deuxième fils de grande famille est retrouvé assassiné dans les mêmes conditions…
L’intrigue est on ne peut plus originale. Elle permet à l’auteur de fouiller au plus sombre des familles de la noblesse aixoise endeuillées, privées de leurs ultimes rejetons et condamnées à s’éteindre. Car c’est de ça qu’il s’agit : la fin de la noblesse, la fin inévitable car Hilarion, l’énigme des fontaines mortes souligne les travers dans lesquels elle est tombée, sa vanité, son honneur qui n’est plus que de façade, la corruption de ses mœurs. Les débauchés tiennent le haut du pavé et écrasent de leur morgue et de leur puissance tout ce qui n’appartient pas à leur caste ; ils se battent même entre eux, s’entretuant si besoin.
Sans qu’il ait besoin de le souligner à outrance, on comprend que l’auteur dépeint la noblesse de caste fermée, qui ignore les autres, bourgeois ou peuple, sauf s’ils lui sont utiles (pour porter un marquis dans la rue afin qu’il ne se salisse pas par exemple).
Un homme du peuple ne pèse rien. Il est à peine une ombre, une espèce que M. de Buffon aurait pu situer entre l’être humain et l’animal…
Pour ces gens-là, qui n’est pas noble n’existe pas. Et qui est noble est intouchable car la justice n’est faite que pour châtier les pauvres. Tous ces nobles magistrats ne se condamnent pas entre eux car il n’y a que Dieu pour les juger. D’ailleurs, un noble ne s’abaisserait pas à assassiner un de ses semblables, non ? Le meurtrier est nécessairement homme du peuple.
Portrait d’une noblesse décadente donc, qui n’a plus que quelques années pour profiter de ses privilèges.
Un atout à mettre au compte de Christophe Estrada : il n’utilise en rien l’habituel capital sympathie lié au héros. Le lecteur ne saura rien de cet Hilarion : ni qui il est ni d’où il vient ni ce qu’il a fait pour acquérir la confiance du roi. Il est certes plus intelligent que les autres, mais c’est là bien son seul charisme. Il porte perruque poudrée, passe une heure à sa toilette et cultive la susceptibilité de caste. Il demeure, à la fin du roman, aussi énigmatique que le suggère la couverture.
Ce qui captive ici, ce sont l’enquête et le contexte socio-historique. Les descriptions efficaces transportent le lecteur dans les rues sales et encombrées d’Aix ainsi que dans les salons de l’aristocratie locale. Il est plusieurs fois fait allusion à l’expulsion des Jésuites de France sous Louis XV : c’est au lecteur d’aller faire des recherches sur le sujet s’il n’est pas au fait, car rien n’est expliqué. L’auteur s’évite ainsi les longs tunnels explicatifs qui plombent souvent le roman historique. Cette absence d’explications ne nuit pas à l’intrigue qui se développe de façon dynamique grâce à des chapitres très courts (84 chapitres pour 430 pages) et un suspens entretenu jusqu’aux dernières pages.
La jeunesse d’Hilarion, le mystère entourant sa personne et sa grande sagacité pourraient faire de lui un enquêteur récurrent. Il faut donc qu’un grand nombre d’amateurs de roman policier historique le découvrent et l’apprécient, ce qui ne pourra manquer car Hilarion, l’énigme des fontaines mortes est un grand livre du genre.
Christophe Estrada sur Tête de lecture
Hilarion. L’énigme des fontaines mortes
Christophe Estrada
Actes Sud, 2012
ISBN : 978-2-330-00212-1 – 437 pages – 24 €
Les livres dont on n’entend parler nulle part sur les blogs, oui, il y en a, curieusement, en dépit des goûts différents des blogueurs.
Bref, là je peux noter, plus que pour Parot.
Même la couverture est intrigante, comment peut-on passer à côté ?
Parot ne m’avais pas emballée plus que cela. Celui-ci a l’air très enthousiasmant! 😉
Oui, cent coudées au-dessus !
Je n’ai pas encore testé ce genre de roman et vu ton billet ça peut valoir l’essai !
Il faut être quand même amateur d’Histoire à la base. Si c’est ton cas, ce roman devrait te plaire.
l’intrique a vraiment l’air très originale, je vais le noter celui ci, en plus ça fait longtemps que je n’ai pas lu de polar historique et encore plus longtemps que je n’ai pas eu de coup de coeur pour un roman…
Ah oui vraiment, très originale. Les turpitudes de la noblesse, c’est une chose, mais l’homosexualité des fils de famille, le trafic des corps… j’aimerais en dire plus mais il ne faut pas pour ne pas gâcher le plaisir de la découverte…
C’est « marrant » parce qu’en fonction des lectures des libraires et/ou bibliothécaires, un roman peut avoir un franc succès dans un endroit géographique très précis et très petit et ressortir un ou deux ans plus tard ailleurs par hasard…
En fait ce roman fut un des très très grands coup de coeur d’une de mes anciennes collègues à sa sortie (je crois il y a environ un an et demi) et beaucoup de clients de la librairie l’ont lu et apprécié. Et puis la librairie a fermé…
même si je n’ai pas lu ce livre, je suis contente que tu l’aies autant apprécié pour que sa notoriété puisse continuer avec par un autre chemin !
J’espère au moins que ta collègue a trouvé à prodiguer ses excellents conseils ailleurs car il lui faut du bouche à oreille, c’est certain.
Oh, c’est ma foi super tentant! Je prends en note, j’aime beaucoup les polars historiques!
Alors celui-là te plaira certainement : à ne pas rater !
Je vais essayer bien que fatigué (un peu) de Nicolas. Disons que je me fatigue facilement.
Amicalement
Le Papou
Celui-là te réconciliera si besoin avec le polar historique du XVIIIe siècle.
Bonjour Ys, merci pour ce conseil, je le note tout de suite. Je n’avais absolument pas entendu parler de ce roman. Bon dimanche.
Je serais ravie de faire des adpetes. Bon dimanche à toi aussi.
Ah ben grâce à toi, il fera peut-être enfin partie de la grande culture blogosphérique.^^ Ceci dit, des livres qui valent le détour et dont on parle peu sur le net, il y en a énormément en réalité.
Moi au début, je pensais que la blogosphère était très variée. Mais en fait non, pas vraiment, en tout cas pas autant qu’elle le pourrait. mon grand exemple c’est Philippe Sollers : il vend beaucoup de livres mais personne, jamais personne n’en parle sur la blogosphère. J’en conclus que les gens qui lisent Sollers ne tiennent pas de blogs, c’est valable pour beaucoup d’autres auteurs, j’imagine.
je ne résiste jamais à tes coeurs, c’est une question de principe 🙂
Voilà qui me fait bien plaisir 😉
Ah déjà que j’aime bien les polars historiques, autant en noter un bon (je n’avais pas été très loin dans Le Floch un peu poussif mais j’aime bien le XVIIIe 🙂 )
Alors n’hésite plus !
Il me le faut absolument celui-ci ! Ca tombe bien, une petite visite chez le libraire est prévue incessamment sous peu… 😉
Vas-y avec un grand sac 🙂
Lu 2 fois : 1 fois pour moi, 1 fois pour les non-voyants.
Très prenant !
Un super-plus pour les Aixois !
La ville est le théâtre d’événements sanglants, mais je ne doute pas que les habitants apprécient qu’un roman aussi réussi se déroule dans leur ville. J’espère qu’il y a du succès.
Et bien-entendu, je note …
Celui-là me semble tout à fait incontournable.
Bonjour Sandrine, je suis en train de le lire en « Babel noir » (il vient de paraître). Les 300 premières pages me plaisent énormément, merci. J’avais retenu ton conseil de lecture. Je l’ai commencé dimanche dernier. Bonne journée.