Deux hommes dans Berlin à l’hiver 1944. Ruprecht Haas, à la faveur d’un bombardement allié, a réussi à s’échapper de Buchenwald où il était enfermé pour avoir crié, un soir d’égarement et de douleur, sa haine de la guerre et d’Hitler qui lui avaient pris toute sa famille. Hans Kalterer, de la police du Reich puis, depuis la guerre, de la Sureté de l’Etat. Blessé au front, il se remet dans un hôpital militaire quand on vient le chercher : il doit reprendre son ancien métier de flic pour trouver le meurtrier d’un vieux membre du parti, un combattant de la première heure, Egon Karasek.
Ce Karasek était le propriétaire de l’immeuble où vivait Haas avant d’être arrêté puis déporté. D’autres habitants de ce même immeuble vont être retrouvés assassinés, roués de coups et Kalterer va faire le rapprochement. Le lecteur aussi car Haas a promis de se venger : il veut savoir qui l’a dénoncé, qui a rapporté ses propos et a ensuite fait main basse sur son commerce et son appartement. Quand il apprend que sa femme et son fils ont été tués car ils se trouvaient hors de l’abri au moment d’un raid, il cherche aussi à savoir ce qui s’est passé ce jour-là.
Dans Berlin qui s’écroule peu à peu au rythme des bombardements alliés, les deux hommes cherchent des meurtriers. Quêtes bien futiles alors que les nazis exterminent en masse, alors que la police c’est ce Kalterer, lui-même officier SS et assassin de sang-froid d’une fillette qui hante ses rêves. Qu’est-ce que la justice dans un État assassin ?
Deux dans Berlin est un roman policier à l’intrigue impeccable qui dérange et interroge. Bien des points vont à l’encontre de ce qui s’écrit généralement, de ce qu’on voudrait lire et croire. Haas est un déporté qui s’en est sorti mais qui se transforme en tueur violent au nom de sa propre justice. Sa femme est-elle une victime elle aussi ? Kalterer est un salopard de nazi mais c’est lui qui cherche la vérité et c’est lui qui aime (sa femme Merit qui le rejette pour ce qu’il a accepté de faire). Si sûr de lui au départ (il n’a fait qu’obéir aux ordres), il sent la peur grandir au fur et à mesure que s’approche la défaite totale.
Les descriptions de Berlin qui sombre sont à la fois tragiques et magnifiquement crépusculaire : bombes, cris et cendres, la ville s’écroule en tuant sans distinction. Le thème de la reconversion des anciens nazis est finement mis en œuvre sur fond de corruption des dirigeants. On est loin, très loin de l’affrontement entre les méchants nazis et les gentils alliés ou autres résistants. C’est tout le prisme des positions intermédiaires qui est balayé révélant de nombreuses nuances de gris allant du profit illicite à la dénonciation en passant par le marché noir.
Grâce au roman qui permet au lecteur de suivre au plus près ces deux protagonistes si différents, les auteurs permettent au lecteur d’appréhender ces deux figures a priori opposées, de pénétrer dans leur tête, pour peut-être tenter de comprendre leurs motivations. Bien sûr, il s’agit là de fiction mais Richard Birkefeld et Göran Hachmeister sont tous deux historiens, spécialistes de l’histoire culturelle et sociale du XXe siècle, autant dire qu’ils cernent au plus près les mentalités. En tant que romanciers, ils les restituent avec une vraisemblance qui emporte l’adhésion. De même qu’ils reconstituent les conditions de vie dans la ville bombardée avec précision mais sans didactisme. En lisant ces pages, j’ai beaucoup pensé à Black Out de Connie Willis qui elle aussi raconte une capitale sous les bombes : Londres en 1940.
Deux dans Berlin
Richard Birkefeld et Göran Hachmeister traduits de l’allemand par Georges Sturm
Le Masque, 2012
ISBN : 978-2-7024-3698-1 – 430 pages – 22 €
Wer übrig bleibt, hat Recht, parution en Allemagne : 2002
Pourquoi pas ? Mais sans doute parce que c’est le même éditeur, ça me rappelle la Trilogie berlinoise à laquelle je n’ai pas trop accroché. Je ne dois pas être faite pour les polars historiques…
J’ai lu le premier Kerr et en suis restée là. Mais je reprendrai peut-être. Ce roman-là est plus… nerveux.
je ne sais pas si j’ai envie de lire ce roman(un peu sombre pour moi en ce moment) mais ton billet est vraiment intéressant
Luocine
Sûr que ce n’est pas un roman feel good 😉
Ton billet donne très envie et pourtant ce n’est vraiment pas une période qui m’attire. Du coup j’hésite…
Rien n’est attirant dans la Seconde Guerre mondiale, et l’effondrement d’une ville comme Berli encore moins. Mais ces deux auteurs ont fait de ce drame quelque chose de prenant, d’émotionnel et aussi historiquement riche. On en sort moins bête, en tout cas pour moi. Mais ce n’est pas divertissant, et plutôt plombant, je comprends donc qu’on ne se jette pas dessus…
Houla bien noir tout cela, d’un autre côté j’ai rarement lu de roman sur la guerre écrits par des allemands, c’est un peu ce qui me tente là 🙂 (a part Schlink evidemment)
C’est un des intérêts du livre, en effet.
Je me laisserai bien tentée, il y a longtemps que je n’ai rien lu sur cette période.
Le roman noir s’avère être un bon axe pour cette période.
Ce roman a l’air génial ! Très dense et ambigüe. Très tentée, je note le titre !!!
C’est un livre très dense en effet, qui te plaira certainement.