Long week-end de Joyce Maynard

Joyce MaynardDans ce roman, Joyce Maynard donne la parole à Henry, adolescent de treize ans. Mais un adolescent devenu grand, devenu père et qui retrace les événements de ce long week-end de 1987, celui du Labor Day (fin août).

On ne comprend d’abord pas pourquoi. Pourquoi Adele, la mère d’Henry, accepte de ramener chez elle un inconnu ensanglanté qui lui a demandé de l’aide au supermarché. Elle déteste sortir, n’entretient aucun rapport d’amitié avec qui que se soit, ne vit que par et pour son fils. Et pourtant, docilement, elle obéit à ce parfait inconnu, même après avoir appris qu’il vient de s’échapper de prison et qu’il est activement recherché par la police. C’est que Frank, tel est son nom, n’a rien d’un preneur d’otage ou d’un meurtrier en cavale. Il se révèle attentionné, prévenant, et bientôt bien plus que ça.

Le jeune narrateur de Joyce Maynard ne porte pas un regard innocent sur sa mère qui est le centre de sa vie depuis que son père est parti avec sa secrétaire, surtout depuis qu’il a eu un autre enfant, Chloe. D’abord Henry est lui aussi charmé par cet homme attentif ; il voit comme sa mère change à son contact, combien elle semble reprendre goût à la vie. Mais son sentiment va changer. D’abord parce qu’il entend Frank et sa mère faire l’amour de l’autre côté de la cloison alors qu’il est seul et obnubilé par ses propres envies sexuelles. Ensuite parce qu’il rencontre Eleanore, adolescente perturbée qui pense tout savoir et lui explique que cet homme qui s’est introduit chez lui va lui voler sa mère. Et qu’il faut qu’Henry se débarrasse de lui. La jalousie menace de faire voler en éclats la fusion mère-fils, de même que la relation privilégiée instaurée avec Frank.

Les très beaux personnages de Joyce Maynard forment un tableau terriblement humain, émouvant, tout simplement vivant. On a envie de leur parler, de leur dire « non, ne fait pas ça »… car ce qui domine chez eux, c’est leur fragilité. Celle de la mère d’abord, cette femme triste hantée par les bébés qu’elle n’a pas pu avoir ; celle de Frank, un homme bon victime d’une femme idiote et des circonstances ; celle d’Henry enfin, être en transition qui n’a aucun moyen de faire les bons choix. Des êtres trop sensibles pour une société d’apparences et de droit. Ensemble, ils essaient de se créer un petit bonheur rien qu’à eux, mais ils sont bousculés par leurs sentiments contraires ainsi que par l’ordre établi.

Joyce Maynard nous emmène dans une banlieue résidentielle, au cœur d’un couple divorcé et d’un ado en pleine mutation. Mais au lieu de nous servir les clichés liés au contexte, Joyce Maynard les traite tous à rebrousse-poil pour dessiner de magnifiques portraits de personnages à la marge. La mère, dont la personnalité hors normes ne se comprend que peu à peu, ne tient debout que par amour, entre rêve et folie douce.

On pense à Joyce Carol Oates en lisant Joyce Maynard, car toutes deux construisent des personnages qui ne sont pas taillés pour la vie, trop fragiles, trop entiers pour la cruauté du monde. Des êtres aussi dépassés par leurs pulsions et la difficulté de plier la réalité à leurs désirs. Elles montrent combien pour ces gens qui débordent des normes habituelles, c’est difficile d’être juste heureux.

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Long week-end

Joyce Maynard traduite de l’anglais par Françoise Adelstain
Philippe Rey, 2010
ISBN : 978-2-84976-155-8 – 285 pages – 19 €

Labor Day, parution aux Etats-Unis : 2009

35 commentaires sur “Long week-end de Joyce Maynard

  1. J’ai adoré ce roman ! J’avais prévu de lire Les Filles de l’Ouragan pour célébrer comme il se doit l’anniversaire de Joyce Maynard, mais je n’ai pas eu le temps… Ce sera pour plus tard !

  2. Tiens, c’est intéressant ce rapprochement que tu fais avec Oates… Ca ne m’avait pas frappé à la lecture. Je trouve que Maynard est quand même plus dans l’empathie avec ses personnages que Oates, non ? Et puis, Oates n’y connait rien en tartes aux pommes 😉

    1. Je suis d’accord avec In Cold Blog. J’aime les deux Joyce mais Oates est plus sombre, plus tordue. II y a un côté malsain chez elle qu’on ne retrouve pas chez Maynard. Des personnages fragiles effectivement chez les deux auteures mais Maynard leur laisse une chance là où Oates les « condamne ».
      Par contre, on parle de tartes aux pêches là hein, pas aux pommes ^^

      Il me reste « Baby Love » et « Une adolescence américaine » à découvrir. J’espère qu’elle continue d’écrire 🙂

      1. Crois-tu que les trois personnages de Long week-end aient une chance à un moment ou un autre ? Je ne crois pas, en tout cas, je ne l’ai pas lu comme ça. Le fait de faire raconter l’histoire par l’adolescent devenu adulte donne un ton particulier, mélancolique qui fait qu’on comprend qu’ils n’arriveront jamais à partir. Mais le lecteur l’espère oui.

    2. Oui bien sûr, tu as raison, Oates a une vision plus pessimiste de la vie. Si j’avais le choix, je préférerais être un personnage de Maynard plutôt que de Oates. Ceci dit, la société est aussi castratrice pour les uns que pour les autres, il y a une sorte d’inadéquation fondamentale entre l’individu et le monde…

    1. Quelle belle découverte nous venons de faire là ! A te lire, je ne doute pas que Les filles de l’ouragan me plaira aussi, je crois que je vais devenir inconditionnelle…

      1. Tu comprends pourquoi j’ai du mal avec les challenges… Je viens de découvrir qu’un de mes billets de la semaine dernière rentrait dans un challenge auquel je pense être inscrite…
        Il faudrait que je relise ta liste de temps en temps. Non, pas de réveil! ^_^

  3. Je n’ai pas participé pour cet anniversaire, mais il est vrai qu’il ne me reste plus beaucoup de Maynard à lire : plus que Et devant moi le monde et Une adolescence américaine, qui n’ont pas encore trouvés le chemin de ma PAL… J’ai été un peu moins emballée par Baby love, mais Long week-end et Les filles de l’ouragan m’ont enthousiasmée !

    1. Et devant moi le monde est dans ma PAL depuis un peu de temps… Je ne l’ai pas choisi car il est épais et je n’avais pas assez de temps mais il est certain qu’après cette découverte, j’ai envie de lire d’autres titres, dont celui-là.

  4. J’ai adoré ! Je trouve que Mainard laisse une belle place à l’amour comme rédemption, malgré la grande mélancolie il y a un bel optimisme. Pour ce qui est des avis masculins, je n’en ai qu’un, celui de mon homme qui n’a pas accroché… J’étais pourtant sûre qu’il lui plairait, comme quoi !

  5. Juste pour te remercier pour cette recommandation, j’ai également beaucoup aimé ce roman. Et puisque j’y suis merci pour ton blog, c’est un peu ma bible tu sais…

    1. Ça me fait bien plaisir Emilie, merci. Comme tu le sais, on est un peu seul en tant que blogueur, on ne sait pas bien si nos goûts sont partagés, appréciés, suivis… alors je suis contente quand on me dit que oui. Merci.

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