La méprise de Vladimir Nabokov

La méprise de Vladimir NabokovIl est des romans qu’on lit, relit puis qu’on lit à nouveau sans jamais se lasser. Les romans cultes d’un panthéon personnel qu’on se construit livre après livre. La méprise de Vladimir Nabokov est un de ces livres-là pour moi, même s’il n’est pas son plus grand, son plus ceci ou son moins cela. Première lecture en 1996 (la deuxième aussi certainement, agrégation de lettres oblige…) puis plusieurs fois depuis. Et alors que c’est un roman qui joue sur la surprise, je ne me lasse pas. Et ne me lasserai jamais je crois d’apprécier le talent narratif de l’encore russe Nabokov, qui devient Hermann avant Humbert…

Hermann… Difficile de présenter le narrateur de La méprise de Vladimir Nabokov, roman construit sur un narrateur, disons peu fiable. Ce Russe qui s’est fait berlinois et homme d’affaires dans le chocolat, se promène dans les collines entourant Prague. Le voilà qui butte sur un clochard endormi, et là, surprise :

Il apparaissait à mes yeux comme mon double, c’est-à-dire comme une créature physiquement identique à moi-même. C’est cette identité absolue qui me faisait frémir si profondément.

La vie d’Hermann en sera définitivement bouleversée car il ne cesse de penser à cet homme, Félix, qui lui ressemble si exactement. Un vagabond en plus, sans le sou et sans travail, comme un autre lui-même socialement déchu alors que lui a si bien réussi. Encore que… l’entreprise de chocolat semble montrer des signes de faiblesse et Ardalion, son beau-frère, qui vit au crochet d’Hermann et de sa femme Lydia, lui coûte cher. Encore que…

Oui, « encore que… » Car qui croire ? Hermann est-il le narrateur fidèle et a postériori de sa propre histoire ? Il veut persuader le lecteur qu’il a raison : « Comme je brûle de vous convaincre ! Et je vous convaincrai, je vous convaincrai ! Je vous forcerai à croire, vous tous, coquins que vous êtes ! ». Il est si déterminé à prouver sa bonne foi qu’on le devine dans une situation difficile au moment de la rédaction de son récit, alors qu’il s’en tien « strictement à la vérité ».

C’est pourtant bien lui, Hermann, qui amène le lecteur à douter de sa fiabilité, soulignant qu’il est sujet à la dissociation, égarant son lecteur à force de digressions et embrouillant son récit de quelques erreurs.

Est-ce que cela s’est vraiment passé ainsi ? Est-ce que je suis fidèlement le fil de ma mémoire, ou bien d’aventure, ma plume se trompe-t-elle de pas et danse-t-elle à sa fantaisie ?

Le plaisir de lire pour la première fois La méprise réside en cet embrouillamini narratif, ces digressions, élucubrations et assertions d’Hermann, si sûr de lui et si désireux de convaincre son lecteur. Les lectures suivantes procurent un plaisir plus esthétique je crois, comme de contempler un feu d’artifice : connaissant le fin mot de l’histoire, le lecteur admire le talent de Nabokov qui manipule son lecteur. C’est intelligent, brillant et drôle. Cet insupportable Hermann bouffi d’orgueil est une réjouissante prouesse littéraire, une mise en scène du narrateur qui finit par ses mots :

C’est tout. Merci. Voilà, maintenant je peux sortir.

La méprise

Vladimir Nabokov traduit de l’anglais par Marcel Stora
Gallimard (Folio n°2295), 1991
ISBN : 2-07-038402-0 – 251 pages – épuisé dans cette édition

Otchayanié (puis Despair), première parution : 1932

18 commentaires sur “La méprise de Vladimir Nabokov

  1. Je cherche depuis quelques semaines « Invitation au supplice », je sens que je vais rajouter celui-là à la liste des Nabokov à lire (dans laquelle se trouve « Ada » également).

    1. Pas lu Invitation au supplice, mais tentée bien sûr. Quant à Ada, il est inscrit sur la liste à peu près depuis que j’ai lu La méprise pour la première fois… C’est un texte bien plus tardif, je me suis toujours dit que je n’y retrouverais pas ce Nabokov-là…

  2. Décidement Nabokov me poursuit en ce moment, c’est le deuxième billet que je lis sur un de ses romans qui me donne envie de le lire plus avant
    je l’ai peu lu, quelques nouvelles, un ou deux romans et surtout ses souvenirs « Autres rivages » qui m’ont enchanté
    C’est noté je suis suffisamment intriguée pour aller y voir de plus près

  3. J’avais été très impressionnée par « Lolita » quand je l’ai lu (il y a 15 ans déjà !) et je me suis promis de le relire un jour. J’ai aussi lu « L’enchanteur » l’année dernière mais je n’en ai pas parlé dans un billet. Il ressemble très fort à Lolita d’après mon souvenir mais je voudrais relire le premier avant de dresser des parallèles.
    Celui-ci me tente bien car j’adore être manipulée par un auteur 🙂

    1. Les livres dans lesquels l’auteur manipule le lecteur sont ceux que je prends plaisir à relire, pour la beauté technique. Je pense par exemple, dans un registre totalement différent, au Meurtre de Roger Ackroyd : brillant !

      1. Je suis du même avis que toi, je viens d’écrire presque exactement cette phrase dans un de mes articles. Et je note la Méprise (je n’ai lu de lui que l’arbre qui cache la forêt : Lolita)

  4. Il se trouve que je viens de lire une nouvelle de Nabokov et que j’ai tellement aimé que je me suis dis qu’il faudrait que je lise un de ses romans. A ma grande honte, c’est la première fois que je découvrais cet auteur.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s